Le rapport de Human Right Watch : « All According to Plan: The Rab’a Massacre and Mass Killings of Protesters in Egypt[1] » pointe avec une grande conscience les graves manquements de la police et de l’armée égyptienne dans le contrôle des manifestations du Caire, entre juillet et d’août 2013. En effet le récit de l’action des forces publiques auprès des manifestations dépasse l’entendement pour un pays qui revendique un passage dans la modernité et une place dans le concert des Nations[2].
Le premier constat de ce rapport est que l’armée égyptienne, comme la police, ont délibérément violé les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feu[3] à commencer par son article 4 qui précise :
« Les responsables de l’application des lois, dans l’accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d’armes à feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré. »
Mais dans ce document Human Right Watch montre qu’en plus d’avoir agi dans une terrible disproportion, la violence utilisée par les représentants de l’ordre égyptiens contre les manifestants, dont une immense majorité était pro-Morsi, semble avoir été planifiée par les responsables politiques du moment. En effet les déclarations du ministre de l’Intérieur Mohamed Ibrahim qui demande de « purifier le bâtiment » ; de l’ancien ministre de la Défense, général commandant des forces armées, Président du conseil suprême des forces armées, Premier ministre adjoint chargé des questions de sécurité et actuel président de la République Abdel Fatah al Sissi qui mobilise ses supporters pour « affronter le terrorisme » et du le responsable des Forces Spéciales Egyptiennes Medhat Menshawy qui précise qu’ils attaqueront les manifestants « quel qu’en soit le coût » donne une idée des dispositions dans lesquelles les responsables politiques ont préparé cette répression[4]. L’absence à ce jour de toute poursuite envers les responsables de l’armée ou de la police égyptienne, confirme également l’implication des plus hauts responsables du régime.
Enfin, le bilan de l’intervention des forces publiques égyptienne aurait fait plus de 1000 morts parmi les manifestants. Beaucoup d’entre eux moururent parce que les ambulances, parfois bloquées par la police, n’ont pu avoir accès à temps aux blessés[5], et certains même ont été achevés dans l’hôpital où ils avaient été recueillis[6]. D’autres enfin auraient été exécutés sommairement par les représentants de l’autorité égyptienne. Parmi les 22 000 emprisonnés, nombreux sont ceux qui ont été victimes de tortures.
Ce fut le cas notamment pour 45 d’entre eux, le 18 août 2013, aux abords de la prison Abou Zaabal au Caire[7]. La police avait lancé des grenades lacrymogènes dans un camion exigu dans lequel ils étaient retenus depuis 6 heures sous une chaleur de 40° ce qui constitue un cas de torture patent en contradiction avec la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dont l’Egypte est Partie[8]. La mort de 37 personnes ce jour là s’apparente aussi à une exécution extra judiciaire, sommaire et arbitraire[9].
C’est pourquoi l’organisation étasunienne des droits de l’Homme demande qu’une enquête internationale et impartiale soit diligentée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU afin de déterminer les responsabilités et la nature des crimes commis par les représentants de l’ordre.
Crimes contre l’Humanité ?
La définition de la cour pénale internationale, semble bien confirmer que les attaques généralisées ou systématiques contre les manifestants égyptiens et en connaissance de ces attaques constituent des crimes contre l’humanité.
De plus, la liste de ces actes recouvre, entre autres, les pratiques suivantes :
- meurtre ;
- extermination ;
- réduction en esclavage ;
- déportation ou transfert forcé de population ;
- emprisonnement ;
- torture ;
- viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
- persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste;
- disparition forcée de personnes ;
- crime d’apartheid ;
- autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale[10].
Le traité sur le commerce des armes
Durant les 8 années de discussions et négociations du traité sur le commerce des armes aux Nations unies, les délégués égyptiens ont été parmi les plus grands opposants à ce projet de régulation des transferts d’armes classiques. Il était bien sûr difficile d’imaginer une telle ampleur dans la répression d’opposants d’un régime issue d’un coup d’État, mais il n’est pas trop tard pour les principaux pays exportateurs d’armes d’envoyer un signal fort aux nouvelles autorités égyptienne en suspendant tous les transferts d’armes classiques en direction de l’Egypte.
Dans les principaux, les États Unis ont suspendu une part de leur aide mais ils ont continué de livrer des armes classiques[11], comme tous les pays de l’Union Européenne[12], ainsi que la Russie[13].
La France qui a défendu avec force les droits de l’Homme dans le processus d’adoption du traité sur le commerce des armes à l’ONU[14] devrait en respecter rigoureusement le paragraphe 2 de l’article 6[15] – que nous avons déjà évoqué ici à propos de la nécessité de suspendre la livraison des navires Mistral à la Russie[16] – qui précise que :
« Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de tout autre bien visé par les articles 3 ou 4 qui violerait ses obligations internationales, résultant des accords internationaux pertinents auxquels il est partie, en particulier celles relatives au transfert international ou au trafic illicite d’armes classiques. »
Dans une situation de crise planétaire – où comme preuve de l’échec patent de l’action des États et des Nations unies les conflits s’enchaînent sur tous les continents – il est plus que temps de reconsidérer les relations internationales avec les outils du XXI° siècle. Car si le droit international a pris une place grandissante dans les discours des chefs d’État, il est encore un lointain concept dans le quotidien de millions de personnes subissant la violence ou la menace de la violence des armes classiques.
Le rôle des Nations n’est-il pas d’être dans la durée d’une pensée pour la recomposition d’un monde où la sécurité et la paix s’adresse à tous sans distinction, plutôt que dans une course où la vitesse devient l’unique but ?
C’est une rupture nécessaire de ces codes anciens qu’offre le traité sur le commerce des armes qui, avec le contrôle de l’accès aux armes classiques, permettrait de diminuer factuellement les niveaux de violence et d’ouvrir ainsi des espaces de paroles. C’est sans doute le plus sûr outil d’une construction durable de la confiance des peuples dans la capacité des gouvernements à tenir leurs responsabilités dans une application « cohérente, objective et non discriminatoire[17] » du traité au regard du droit international.
Benoît Muracciole
[1] « Conformément au plan : Le massacre de Rabaa et les tueries de masse de manifestants en Égypte » : http://www.hrw.org/fr/node/128088
[2] Notamment en accueillant les pourparlers de paix entre les Palestiniens et les Israëliens
[3] http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/UseOfForceAndFirearms.aspx
[4] Pages 99 à 103 : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/egypt0814_ForUpload_0_0.pdf
[5] Page 62 Ibid.
[6] Page 8 ; 38 ; 72 ; 73 ; 74 ; Ibid.
[7] Page 28 Ibid.
[8] Que l’Egypte a ratifié en 1986 : http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CAT.aspx
[9] Qui contrevient à l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’Homme : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » ainsi que de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. » http://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet11Rev.1fr.pdf
[10] http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/about%20the%20court/frequently%20asked%20questions/Pages/12.aspx
[11] Entre juillet et septembre 2013, les États Unis ont livré plus de 2 000 tonnes de matériels de guerre dont des véhicules de combat Humvees, des systèmes de missiles, des pièces et des équipements pour des avions de transport C-130 et d’attaques F-16s, et des hélicoptères d’attaques AH-64 Apache, planes, ainsi que des M109 canons, ainsi que des chars M1A1 Abrams d’après le centre de recherche TransArms : http://america.aljazeera.com/articles/2013/10/11/in-us-military-aidtoegyptbusinessasusual.html
[12] Pour plus de 363 millions d’euros de licences en 2012, dont la France avec plus de 148 millions d’euros ; rapport COARM du 21 janvier 2014.
[13] Pour plus de 3 milliards de $ dont des Mig 29, des hélicoptères d’attaques et des missiles – qui seraient notamment financé par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis : http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2014/08/putin-vows-boost-egypt-arms-sales-20148121660566289.html
[14] Qui l’a ratifié le 2 avril 2014
[15] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/texte-final-tca-2-avril-13-1.pdf
[16] https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/07/30/de-la-responsabilite-des-etats-dans-le-soutien-aux-actes-illegaux-dautres-etats-suite/
[17] Principes du TCA : https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/texte-final-tca-2-avril-13-1.pdf