Déjà une année de résistance en Syrie

15 03 2012

Les premières images qui viennent à l’esprit sont celles de la répression terrible du régime syrien face à ses citoyens.  Les manifestations pacifiques réprimées systématiquement dans le sang, les tirs de snipers sur des civils, les corps suppliciés et abandonnés, dont ceux d’enfants, par les nombreuses forces de sécurités de Bachar el Assad.  La répétition de tels actes sont les signes patents de crimes contre l’humanité qu’Amnesty International dénonce encore une fois dans son rapport sur la torture en Syrie[1]. Plus de trente techniques de tortures sont utilisées, comme du temps du règne du père Hafez El Assad dès les années 1970. Des services de renseignements, les « moukhabarat » à la garde républicaine  du frère Maher en passant par la police politique ou des services de renseignements de l’armée de l’air du major général Jamil Hassan, les institutions impliquées dans les tortures et exécutions extra judiciaires sont nombreuses. Il y a dans ce pays une véritable continuité dans la culture de la torture et de la répression qui n’aurait pas du prendre en défaut en 2008 le gouvernement français[2].

Même si, encore une fois, il est difficile de faire le bilan exact du nombre de morts – l’Observatoire syrien des droits de l’Homme l’évalue à plus de 8 500 – l’ampleur de la violence illégitime de l’Etat est ahurissant. Les chiffres terribles des victimes de torture que l’ont retrouve dans les rapport d’ONG[3] dépassent les dizaines de milliers. Les « outils » utilisés par les service du régime de Bachar Al Assad n’ont rien a envier à ceux utilisés dans les guerres du XX° siècle. Ces « outils » n’ont pas besoin d’être toujours sophistiqués quand les victimes témoignent d’avoir été battues sauvagement avec de simples bâtons, des câbles électriques, des crosses de fusils ou alors électrocutées, violées…

Quid d’une intervention militaire ?

L’exemple libyen continue de peser sur la situation et explique le blocage d’une action de la communauté internationale en Syrie. D’abord, et comme nous l’avions écrit[4], pour des raisons de non respect de la résolution 1973 par les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne. Mais aussi parce qu’aujourd’hui la guerre civile en Libye affecte – par la dissémination des stocks d’armes achetées par le régime de Kadhafi aux pays occidentaux et à la Russie – toute la région allant du sud de l’Algérie au Niger, nord Mali, Mauritanie et Nigéria. Les groupes armés de cette région pourraient disposer maintenant d’armes classiques[5].

Le principe d’une intervention militaire semble arranger quelques Etats, dont l’Arabie Saoudite et le Qatar aux pouvoirs sunnites[6]. Mais le risque de déstabilisation régionale a plus qu’effleuré les esprits des Etats de l’intervention libyenne[7]. Par chance leurs capacités d’intervention militaire sont aussi diminuées. Une étude de l’université de Columbia, pour des observations qui vont de 1900 à 2006, semble donner raison aux tenants de l’action diplomatique. Les éléments rassemblés par les auteurs leur permettent d’écrire que plus la violence est utilisée dans le renversement d’un régime totalitaire, plus les risques de reproduction de cette même violence par le nouveau régime, existent[8].

Si l’on veut garder une Syrie unie  – dans un environnement régional déjà fragile avec les pays voisins du Liban et d’Israël – la solution ne pourra être que diplomatique et politique. La Chine, l’Iran et la Russie doivent comprendre, avec l’aide des pays arabes et des pays émergents comme la Turquie, qu’ils ont un intérêt commun à une résolution politique du conflit. Qu’ils pourraient aussi payer très cher leur soutien aux crimes contre l’humanité du régime de Bachar el Assad.

Quel enjeu pour le traité sur le commerce des armes ?

Il est clair que les armes, que se devra de contrôler le futur traité, sont utilisées dès le début de la répression des manifestations par les différentes forces de sécurité syriennes. Mais c’est aussi dans les enlèvements et les disparitions de civils ainsi que dans les temps de rafles, précédent l’action de torture, qu’elles sont indispensables aux militaires ou policiers syriens.

C’est aussi l’exercice même de la menace de leur usage qui peut constituer, dans le cas de la Syrie, des graves violations des droits humains[9]. Le système de terreur fonctionne sur la confiscation de la violence armée par le pouvoir syrien. C’est dans ce domaine que le futur traité pourra être le plus efficace à condition qu’il pose l’obligation des Etats à ne pas exporter des armes s’il y a un risque substantiel qu’elles puissent être utilisées ou facilitent de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. En l’occurrence la culture d’oppression en place dans ce pays depuis les années du père Hafez El Assad, constituait des éléments substantiels pour les Etats, de refuser toute exportation d’armes vers la Syrie.

Ces éléments caractérisent clairement la dimension grave des violations des droits de la personne et semblent réunir de nombreux Etats de la communauté internationale dans cette évaluation.

Le dernier Comité Préparatoire du mois de février dernier avait encore montré les réticences de certains Etats à s’engager sur les droits de l’homme[10]. Le cas de la Syrie va peut être les aider à retrouver le sens de leurs engagements devant la Charte des Nations unies. Le caractère préventif est premier dans l’efficacité recherchée de ce futur instrument juridiquement contraignant. Il s’agit pour nous les ONG de convaincre au plus vite les Etats de s’engager fermement dans ce sens avant l’ouverture de la prochaine conférence de juillet 2012.

Benoît Muracciole


[1] http://www.amnesty.org/en/news/syria-new-report-finds-systemic-and-widespread-torture-and-ill-treatment-detention-2012-03-13

[2] Bachar el Assad avait été invité d’honneur pour le défilé du 14 juillet 2008 à Paris.

[3] Voir Human Right Watch http://www.hrw.org/node/103558/section/1 et Amnesty International http://www.amnesty.org/en/ai_search?keywords=syria&op=Search&form_id=search_theme_form&form_token=b6ecf7c8cf79349629af5def7664e09a

[4] https://armerdesarmer.wordpress.com/2011/11/30/la-libye-contre-la-syrie/

[5] voir notamment : http://www.hrw.org/news/2011/10/25/libya-transitional-council-failing-secure-weapons et http://www.reuters.com/article/2012/02/10/us-mali-libya-idUSTRE8190UX20120210

[6] Histoire d’envoyer un message ferme au pouvoir chiites voisin l’Iran.

[7] Qui aurait fait au moins 30 000 victimes libyenne pour une population d’un peu plus de 6 millions de personnes, environ le tiers de la population syrienne

[8] Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan

[9] Article 1° de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

: http://www2.ohchr.org/french/law/cat.htm

[10] Voir blogs février





Attendu qu’une menace à la vie et à la sécurité des responsables de l’application des lois doit être tenue pour une menace à la stabilité de la société dans son ensemble

10 03 2012

De gauche à droite Geoffrey et Pierre deux victimes de tirs de lanceur de balle de défense. Photo Benoît Muracciole

Les 6 et 7 mars 2012 s’est déroulé à Nantes le procès de Léglise, gardien de la paix de 30 ans. Il est accusé d’avoir tiré le 27 novembre 2007, avec un lanceur de balle de défense, sur Pierre Douillard, et de l’avoir touché à l’œil. La légitime défense est invoquée par son avocat pour demander la relaxe du gardien de la paix Léglise.  Pierre Douillard a lui perdu 80% de la vision de son œil droit.

Si l’on arrête là le récit, le lecteur pourrait s’attendre à découvrir l’interpellation difficile d’un membre du grand banditisme, il n’en est rien. Pierre Douillard, 16 ans en 2007, participait à une manifestation de protestation, plutôt bon enfant, comme l’on en voit beaucoup avec ces collègues lycéens et des étudiants. Des jeunes gens qui rentrent par effraction dans le parc du rectorat de Nantes pour y faire quelques jongles et protester contre la politique du gouvernement[1].

Petit rappel sur le pourquoi et le rôle des services de police en France :

L’article XII de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui établit la force publique dont l’équivalent est aujourd’hui la police et la gendarmerie, dit : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

C’est donc à partir de cet article que se pense pour la France, le rôle de la police et la gendarmerie. Ce rôle sera bien plus tard consolidé grâce aux réflexions d’officiers de police et de militants des droits humains qui vont aboutir à deux textes adoptés au sein des Nations unies:

I) Le code de conduite pour les responsables de l’application des lois en 1979[2].

II) Les principes de base sur le recours à la force et l’usage des armes à feu par les responsables de l’application des lois  en 1990[3]

Pour la France c’est en 1986 que l’on observera l’établissement du code de déontologie de la police[4] qui reprend d’ailleurs dans son article 2, l’article XII de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

Voilà pour le contexte général en remarquant qu’il est constamment demandé aux responsables de l’application « de protéger la dignité humaine et défendre les droits fondamentaux de toute personne[5] » et qu’il « auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d’armes à feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré[6]. »  Et qu’enfin l’article 1° de la Charte des Nations unies engage les Etats à développer et encourager « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion[7] ».

J’en termine avec la note de service du ministère de l’intérieur de 2009 sur la doctrine d’utilisation du lanceur de balle de défense[8] qui explique que cette arme est crée pour répondre aux nombreux phénomènes de violences par des groupes déterminés extrêmement violents, organisés et s’adaptant aux tactiques et techniques déployées.

Lanceur de balle de défense 40

Au vue des images diffusées et des témoignages de toutes les parties, il est évident que nous étions très loin de ce contexte.

 
« Tout cela n’aura pas du arriver » :

Que dire de l’institution policière qui semble faire obstruction dans la remise des preuves au tribunal :

a)     il n’a pas été possible de présenter l’arme

b)    les vidéos des services de police n’ont pas fonctionné

c)     il n’a pas été possible d’analyser les défaillances du matériel

Une institution policière qui ne s’interroge pas sur le manque de formation pour l’usage de cette arme[9] ? Qui ne se questionne toujours pas devant les nombreux refus de policiers d’utiliser cette arme ? Qui semble plutôt promouvoir les officiers de police en charge à l’époque des événements[10] ?

Que dire de la hiérarchie policière qui dés le départ des évènements est en dehors du rôle assigné par l’Etat : «  protéger la dignité humaine et défendre les droits fondamentaux de toute personne »

Une hiérarchie policière qui a manqué de discernement et de responsabilité. Qui a pris de mauvaises décisions et donné des ordres inadéquates, voir illégaux, pour des réponses disproportionnés dans l’usage des armes ?

Que dire d’un témoin, agent de la Brigade anti-criminalité (BAC) qui, s’il remarque que ce ne sont que des enfants, leur tire dessus à hauteur des jambes par précaution sans reconnaître : « …un groupe déterminé extrêmement violents, organisé… ».

Que dire de la défense d’un jeune gardien de la paix qui semble perdu dans ce tribunal et à qui le procureur enlève formellement la capacité de discerner un ordre légal d’un ordre illégal[11] ?

Un gardien de la paix qui dit tirer quand on lui envoie une pierre ?

Un gardien de la paix qui en arrive à nier l’évidence dans une défense peu crédible :

« …quand j’ai tiré il était à environ 20 mètres et mesurait environ 1,80m » le jeune se présente et mesure 1,70m.

« … je le reconnais à sa veste… » puis quand la veste ne correspond pas « je le reconnais à ces sourcils noirs » alors même qu’il dit se trouver à environ 20 mètres ?

Mais comment est il possible de tirer avec discernement à cette distance après 17h10 au mois de novembre ou le soleil se couche à 17h20  et repérer les sourcils de la personne visée ?

A la fin du procès il reste une impression d’un immense gâchis où un jeune a perdu bien plus qu’un œil parce qu’adolescent, comme beaucoup d’entre nous l’avons fait avant lui, il avait manifesté un désaccord avec l’autorité dont le premier devoir était de le protéger.

Benoît Muracciole


[1] Vous pourrez retrouver le déroulement des évènements avec notamment une présentation qui permet efficacement de les visualiser sur le blog du comité de travail du 27 novembre : http://27novembre2007.blogspot.com/

[9] Le manque de formation est aussi reconnu par la défense.

[10] Notamment Yves Monart nommé au cabinet du ministre de l’intérieur (JO du 11 mars 2011)

[11] L’article 122-4 « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal.