Les premières images qui viennent à l’esprit sont celles de la répression terrible du régime syrien face à ses citoyens. Les manifestations pacifiques réprimées systématiquement dans le sang, les tirs de snipers sur des civils, les corps suppliciés et abandonnés, dont ceux d’enfants, par les nombreuses forces de sécurités de Bachar el Assad. La répétition de tels actes sont les signes patents de crimes contre l’humanité qu’Amnesty International dénonce encore une fois dans son rapport sur la torture en Syrie[1]. Plus de trente techniques de tortures sont utilisées, comme du temps du règne du père Hafez El Assad dès les années 1970. Des services de renseignements, les « moukhabarat » à la garde républicaine du frère Maher en passant par la police politique ou des services de renseignements de l’armée de l’air du major général Jamil Hassan, les institutions impliquées dans les tortures et exécutions extra judiciaires sont nombreuses. Il y a dans ce pays une véritable continuité dans la culture de la torture et de la répression qui n’aurait pas du prendre en défaut en 2008 le gouvernement français[2].
Même si, encore une fois, il est difficile de faire le bilan exact du nombre de morts – l’Observatoire syrien des droits de l’Homme l’évalue à plus de 8 500 – l’ampleur de la violence illégitime de l’Etat est ahurissant. Les chiffres terribles des victimes de torture que l’ont retrouve dans les rapport d’ONG[3] dépassent les dizaines de milliers. Les « outils » utilisés par les service du régime de Bachar Al Assad n’ont rien a envier à ceux utilisés dans les guerres du XX° siècle. Ces « outils » n’ont pas besoin d’être toujours sophistiqués quand les victimes témoignent d’avoir été battues sauvagement avec de simples bâtons, des câbles électriques, des crosses de fusils ou alors électrocutées, violées…
Quid d’une intervention militaire ?
L’exemple libyen continue de peser sur la situation et explique le blocage d’une action de la communauté internationale en Syrie. D’abord, et comme nous l’avions écrit[4], pour des raisons de non respect de la résolution 1973 par les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne. Mais aussi parce qu’aujourd’hui la guerre civile en Libye affecte – par la dissémination des stocks d’armes achetées par le régime de Kadhafi aux pays occidentaux et à la Russie – toute la région allant du sud de l’Algérie au Niger, nord Mali, Mauritanie et Nigéria. Les groupes armés de cette région pourraient disposer maintenant d’armes classiques[5].
Le principe d’une intervention militaire semble arranger quelques Etats, dont l’Arabie Saoudite et le Qatar aux pouvoirs sunnites[6]. Mais le risque de déstabilisation régionale a plus qu’effleuré les esprits des Etats de l’intervention libyenne[7]. Par chance leurs capacités d’intervention militaire sont aussi diminuées. Une étude de l’université de Columbia, pour des observations qui vont de 1900 à 2006, semble donner raison aux tenants de l’action diplomatique. Les éléments rassemblés par les auteurs leur permettent d’écrire que plus la violence est utilisée dans le renversement d’un régime totalitaire, plus les risques de reproduction de cette même violence par le nouveau régime, existent[8].
Si l’on veut garder une Syrie unie – dans un environnement régional déjà fragile avec les pays voisins du Liban et d’Israël – la solution ne pourra être que diplomatique et politique. La Chine, l’Iran et la Russie doivent comprendre, avec l’aide des pays arabes et des pays émergents comme la Turquie, qu’ils ont un intérêt commun à une résolution politique du conflit. Qu’ils pourraient aussi payer très cher leur soutien aux crimes contre l’humanité du régime de Bachar el Assad.
Quel enjeu pour le traité sur le commerce des armes ?
Il est clair que les armes, que se devra de contrôler le futur traité, sont utilisées dès le début de la répression des manifestations par les différentes forces de sécurité syriennes. Mais c’est aussi dans les enlèvements et les disparitions de civils ainsi que dans les temps de rafles, précédent l’action de torture, qu’elles sont indispensables aux militaires ou policiers syriens.
C’est aussi l’exercice même de la menace de leur usage qui peut constituer, dans le cas de la Syrie, des graves violations des droits humains[9]. Le système de terreur fonctionne sur la confiscation de la violence armée par le pouvoir syrien. C’est dans ce domaine que le futur traité pourra être le plus efficace à condition qu’il pose l’obligation des Etats à ne pas exporter des armes s’il y a un risque substantiel qu’elles puissent être utilisées ou facilitent de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. En l’occurrence la culture d’oppression en place dans ce pays depuis les années du père Hafez El Assad, constituait des éléments substantiels pour les Etats, de refuser toute exportation d’armes vers la Syrie.
Ces éléments caractérisent clairement la dimension grave des violations des droits de la personne et semblent réunir de nombreux Etats de la communauté internationale dans cette évaluation.
Le dernier Comité Préparatoire du mois de février dernier avait encore montré les réticences de certains Etats à s’engager sur les droits de l’homme[10]. Le cas de la Syrie va peut être les aider à retrouver le sens de leurs engagements devant la Charte des Nations unies. Le caractère préventif est premier dans l’efficacité recherchée de ce futur instrument juridiquement contraignant. Il s’agit pour nous les ONG de convaincre au plus vite les Etats de s’engager fermement dans ce sens avant l’ouverture de la prochaine conférence de juillet 2012.
Benoît Muracciole
[1] http://www.amnesty.org/en/news/syria-new-report-finds-systemic-and-widespread-torture-and-ill-treatment-detention-2012-03-13
[2] Bachar el Assad avait été invité d’honneur pour le défilé du 14 juillet 2008 à Paris.
[3] Voir Human Right Watch http://www.hrw.org/node/103558/section/1 et Amnesty International http://www.amnesty.org/en/ai_search?keywords=syria&op=Search&form_id=search_theme_form&form_token=b6ecf7c8cf79349629af5def7664e09a
[4] https://armerdesarmer.wordpress.com/2011/11/30/la-libye-contre-la-syrie/
[5] voir notamment : http://www.hrw.org/news/2011/10/25/libya-transitional-council-failing-secure-weapons et http://www.reuters.com/article/2012/02/10/us-mali-libya-idUSTRE8190UX20120210
[6] Histoire d’envoyer un message ferme au pouvoir chiites voisin l’Iran.
[7] Qui aurait fait au moins 30 000 victimes libyenne pour une population d’un peu plus de 6 millions de personnes, environ le tiers de la population syrienne
[8] Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan
[9] Article 1° de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
: http://www2.ohchr.org/french/law/cat.htm
[10] Voir blogs février