Cela n’a pas manqué, à peine quelques jours après les promesses du gouvernement socialiste de garder intacte les libertés individuelles, celui-ci se lance dans une « guerre » contre le terrorisme. Cette radicalisation sémantique, qui a montré pourtant son inanité aux États Unis[1], pourrait apparaître comme un vieil artifice pour ce gouvernement d’éviter les questions de fond que posent les attentats terroristes du début janvier. En effet, jusque dans l’histoire récente les guerres apportent toujours une respiration à tous les gouvernements en place, des États Unis de George W Bush au lendemain du 11 septembre à la Russie de Poutine après l’annexion de la Crimée, il n’y a pas de moyen plus efficace à très court terme de faire croire à l’instauration d’une unité sociale et nationale. Le moment est propice non seulement pour étouffer toute dissidence dans l’analyse des mesures que le gouvernement presse de prendre – tout parole risque au mieux l’accusation de naïf, au pire celle d’antipatriote ou même de complice du terrorisme – mais aussi pour renforcer un contrôle et une diminution strict des libertés publiques et privées. En cela, certains franchissent le même Rubicon que tous les dictateurs du monde entier et appellent à la mise en place d’un contrôle de nos faits et gestes par les objets comme une sorte de future prison «High Tec » pour « surveiller tout comportement suspect »[2]. Le discernement de ce qui est un comportement suspect et de ce qui ne l’est pas, au diable les droits fondamentaux, voilà également un beau programme qui portera sans doute quelques millions de personnes dans le commissariats, c’est la guerre !!! Comme ce gamin de 8 ans interrogé par un officier de police judiciaire à Nice et qui aurait fait « l’apologie du terrorisme »… A 8 ans il est en avance car même les États membres de l’ONU ne se sont toujours pas mis d’accord sur la définition même du terrorisme[3].
Cette rhétorique de guerre inadaptée, simpliste et inefficace[4] est considérée comme rassurante par ceux qui nous gouvernent. Même si le nombre de victimes dû aux attentats terroristes est presque infime comparé à celui des dernières guerres occidentales[5]. Pierre Conesa dans un rapport récent pour le compte de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme va plus loin. Il estime non seulement il ne s’agit pas d’une guerre, mais en plus la question de la lutte contre le recrutement pour des groupes fondamentalistes adoptant la technique des actes terroristes ne doit pas se faire sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur[6] où même de la Défense. Il parle de la cohérence d’une politique en France, mais aussi de la politique de la France à l’étranger[7]. Il insiste également sur les confusions répétées des officiels et des journalistes autour de l’Islam « un ciblage permettrait dans un premier temps de casser le sentiment de stigmatisation collectif des musulmans- souvent à fleur de peau- que des termes comme « Islamisme » ou « terrorisme islamiste » entretiennent »[8].
Ce n’est donc pas une guerre contre le terrorisme dont nos sociétés ont un besoin urgent, mais d’un véritable aggiornamento sur la mise en œuvre des droits de l’Homme, de tous les droits de l’Homme. Celui d’être traité avec respect quelque soit son origine sociale, culturelle ou ethnique, celui de pouvoir bénéficier d’une véritable éducation, celui d’avoir un travail, un toit, un minimum d’espérance[9]. S’il est bien sûr impossible de réduire la lutte contre les actes de terrorismes à ces questions, il serait irresponsable (criminel ? ) de ne pas les mettre en œuvre. Non pas de les dénoncer dans des communications pour le moins légères – le premier ministre redécouvre les inégalités en France susceptibles de création d’une violence armée – mais de donner les moyens de la mise en place de cette lutte et d’y engager tous les français et résidents en France avec les ressources nécessaires. Et la question n’est pas financière – au niveau de l’UE les centaines de milliards donnés aux banques ; en France les 40 milliards donnés aux entreprises ; les plus de 100 milliards € de fraude (fiscales, URSSAF, sécurité sociale…) estimée en France sont là pour le prouver[10] – mais bien politique.
Nous avons besoin d’une véritable rupture dans les actes face aux discours d’exclusions[11] et à la politique du grave renforcement des inégalités engagée depuis 20 ans. 20 ans cela représente une génération qui se construit dans le vivre ensemble ou se déconstruit dans la violence des armes[12].
Nous avons besoin d’un soulèvement populaire des consciences pour arrêter le flux dangereux des projets divers et inutiles qui se préparent aujourd’hui sans aucune consultation des citoyens. Les législateurs et le gouvernement sont dans leur fébrilité, les nouveaux affidés du docteur Folamour. Un amendement glissé subrepticement dans un projet de loi Macron sur l’économie rendrait impossible tout travail d’investigation des journalistes sur les entreprises[13].
Un autre projet sur « la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes[14] » – qui a fait réagir quelques parlementaires au delà des groupes[15] – est examiné à l’Assemblée Nationale en procédure d’urgence. Laure de la Raudière, députée de l’opposition, a courageusement relevée les dangers et l’incurie de ce projet présenté dans l’urgence :
« Je constate malheureusement plusieurs choses récurrentes. Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire. »
« Monsieur le ministre, vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour défendre votre mesure de blocage des sites internet. Telle est la réalité ! En effet, le diagnostic sur les techniques de blocage et de filtrage fait l’objet d’un consensus : ces techniques sont totalement inefficaces, et vous le savez. »
Nous avons bien besoin de ce peuple qui était dans la rue il y a quelques semaines pour rendre nos parlementaires un peu plus responsables, garants de notre Constitution.
«La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple[16]. ».
Benoît Muracciole
[1] Depuis le début de cette guerre au terrorisme celui ci « fleuri » allégrement, même dans les lieux où il n’existait pas, et les groupes, adeptes de ces actes terroristes, recrutent avec de plus en plus d’efficacité.
[2] La BCE et le terrorisme ; Jacques Attali le 19 janvier 2015 : http://blogs.lexpress.fr/attali/2015/01/19/la-bce-et-le-terrorisme/
[3] http://www.les-crises.fr/ahmed-8-ans-convoque-pour-apologie-du-terrorisme/ et http://www.les-crises.fr/delation-quand-lecole-trouve-insupportable-que-les-eleves-posent-des-questions-et-en-denonce-40-a-la-police-pour-leurs-propos/
[4] Ceux qui ont fait la guerre ou ceux qui l’ont étudié un tant soit peu vous le diront ce n’est pas la guerre. Les interventions françaises à l’extérieur c’est la guerre, les interventions d’Israël à Gaza c’est aussi la guerre… Voir aussi les bons classiques : Sun Zi « L’Art de la guerre » ; Carl von Clausewitz « De la guerre ». http://www.les-crises.fr/le-terrorisme-ne-se-combat-pas-par-la-guerre-par-pierre-conesa/
[5] Afghanistan, Irak, Lybie, République Démocratique du Congo, Somalie, Soudan, Syrie… cela se chiffre en millions de morts.
[6] « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? » ; Pierre Conesa ; décembre 2014 :
[7] Avec une politique des exportations d’armes qui seraient rigoureuse et respectueuse du traité sur le commerce des armes qui vient d’entrée en vigueur et dont la France est partie. Voir : https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/09/17/i-les-exportations-darmes-de-la-france-respecte-t-elle-ses-obligations-internationales/ et https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/08/20/doit-on-suspendre-les-transferts-darmes-aupres-dun-gouvernement-responsable-de-crimes-contre-lhumanite/
[8] « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? » ; Pierre Conesa ; décembre 2014 :
[9] CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE
Article 14
Droit à l’éducation
- Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue.
- Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire.
- La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.
Article 15
Liberté professionnelle et droit de travailler
- Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.
- Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout État membre.
- Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union.
Article 20
Égalité en droit
Toutes les personnes sont égales en droit.
Article 21
Non-discrimination
Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
Article 34
Sécurité sociale et aide sociale
L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.
- Toute personne qui réside et se déplace légalement à l’intérieur de l’Union a droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales. 3. Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.
Article 35
Protection de la santé
Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.
Article 36
Accès aux services d’intérêt économique général
L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.
[10] http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/la-fraude-fiscale-en-france-coute-60-a-80-milliards-d-euros-a-l-etat_1369872.html ; http://www.franceinfo.fr/actu/economie/article/la-cour-des-comptes-inquiete-pour-la-secu-569663
[11] Nicolas Sarkozy discours de Grenoble, Manuel Valls : http://www.dailymotion.com/video/xf0ih7_nicolas-sarkozy-discours-de-grenobl_news et http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/09/25/roms-la-vocation-de-manuel-valls_3484429_3232.html
[12] Il y a 20 ans, quels âges avaient Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche ? Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ? Tout ceux qui sont partis où veulent partir pour faire la guerre contre les « infidèles » ?
[13] Voir la pétition : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/280115/secret-des-affaires-informer-n-est-pas-un-delit
[14] Exposé des motifs :
[15] http://www.les-crises.fr/delit-apologie-du-terrorisme/ . Voir la pétition : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/280115/secret-des-affaires-informer-n-est-pas-un-delit . Pour les contrevenants à ce projet d’amendement, un maximum de trois ans de prison et 375 000 euros d’amende. La peine pourrait monter à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende en cas d’atteinte « à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France ».
[16] Extrait de l’article 2 de notre Constitution.