
Ambassadeur Bafetigue Ouattara Côte d’Ivoire, Ambassadeur Jean Hugues Simon Michel France, Benoît Muracciole ASER, Brian Wood et Ara Marcenval Amnesty International. Évènement ASER / CARITAS ONU 21 mars : Quels défis pour un TCA fort et efficace. Photo Conor Fortune AI
Ce mois d’avril, au siège des Nations unies à New York, le premier Traité sur le Commerce des Armes classiques (TCA) de l’histoire de l’humanité a été adopté par une immense majorité des Etats membres (154). La détermination du président de la conférence finale sur le TCA, l’Ambassadeur australien Peter Woolcott, et la stratégie employée – trois textes présentés en 9 jours, se renforçant à chaque nouvelle version – auront donc été opérantes. Peter Woolcott a ainsi réussi à conduire l’ensemble des Etats jusqu’à un texte intégrant les points essentiels que les membres de notre organisation, Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER), avec ses partenaires, ont portés au cours de ces longues années d’âpres négociations.
D’abord, encore et toujours les droits de l’Homme – dont les droits économiques, sociaux et culturels – et le droit international humanitaire (DIH). Un droit auquel une très large majorité d’états a souscrit, qui oblige à refuser des transferts d’armes classiques dès lors qu’elles pourraient être utilisées dans la violation de l’une ou l’autre de ses prescriptions. L’on trouve cette « marque génétique » du TCA dans son article 6 où sont notamment incluses, dans les « obligations pertinentes » à respecter, la Convention contre la torture et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Malgré la complexité du texte – il ne s’agit pas ici d’« interdiction » mais bien de « régulation » des transferts d’armes classiques – ASER et ses partenaires ONG ont obtenu qu’y soit inscrite la pleine responsabilité des états dans l’évaluation du risque d’usage des armes transférées. Ainsi le cœur du texte énonce-t-il, parmi les critères d’évaluation du risque listés dans l’article 7, non seulement le respect des droits de l’Homme et du DIH, mais aussi les actions de criminalité organisée, la corruption et le blanchiment d’argent. La France, qui avait poussé en ce sens avec nous, ne peut aujourd’hui que s’en réjouir.
L’engagement par les états de leur responsabilité dans la décision d’autoriser ou de refuser un transfert d’armes classiques, va susciter un changement radical dans de nombreux pays qui ne disposaient pas jusqu’ici de contrôle national, les amenant à s’en doter. Il va également consolider les états déjà membres d’accords régionaux – comme la Convention de la CEDEAO ou la Position Commune de l’Union Européenne – dans leur mise en œuvre, et leur permettre une appréciation plus aigüe des risques d’usage d’armes dont ils font le commerce.
Les états africains – et non l’Union Africaine en tant que telle – ont définitivement contribué à la réussite du processus de la conférence finale sur le TCA. Grâce, notamment, au travail de la Côte-d’Ivoire (présidente de la CEDEAO) qui, avec ses partenaires des Caraïbes, a véritablement fait bouger certains états jusqu’à il y a peu encore hostiles à ce traité. Pour diverses raisons, dont certaines tenant à la question de ressources naturelles convoitées, la Chine, l’Inde, les Etats Unis, et peut-être même la Russie, ont su « entendre » les messages de l’Afrique, et se sont ainsi résignés à ne pas bloquer la dernière phase des négociations. De son côté, le Maroc a fait un très utile travail de facilitateur. Les pays de l’Union Européenne, ainsi que la grande majorité des pays d’Amérique Latine, ont été pour leur part d’un appui conséquent tout au long de ce processus. Mais l’on peut clairement dire aujourd’hui que le TCA est un fruit du continent africain, de par l’investissement et la légitimité alors reconnue de ses états. En cela, ce traité reflète opportunément une redistribution des rapports de force au sein même des Nations unies.
Il nous reste encore du travail, du fait de l’absence de référence faite au développement économique et social, d’une liste des armes concernées insuffisante – même si les munitions, pièces et composants d’armement sont soumis aux critères droits de l’Homme et DIH – et d’une nécessaire transparence dans la publication des rapports annuels encore à développer. Cela sera possible dès la première conférence de révision où le traité pourra être renforcé par des amendements votés à une majorité des trois quarts. Voilà pourquoi nous tenons à saluer cette première conquête historique d’un contrôle international du commerce des armes classiques. Parce qu’il s’agit d’un formidable signe d’espoir adressé aux millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui, en Afghanistan, Syrie, Mali, Côte d’Ivoire, Honduras, Venezuela, et tant d’autres pays encore, sont chaque jour victimes ou sous la menace directe ou indirecte d’armes classiques.
De mes missions en République Démocratique du Congo (RDC), où plus de 5 millions d’êtres humains ont péri entre août 1998 et 2013, j’ai ramené cette profonde conviction que sans un traité efficace il n’y aurait pas d’avenir pour les citoyens de cet immense pays. Il nous reste maintenant à rendre pleinement opérant ce traité. En créant tout d’abord les conditions favorables à son entrée en force dans les pratiques géopolitiques par sa prompte ratification par au moins 50 états. A ceux qui en ont soutenu le principe et qui ont contribué à l’existence de ce traité – dont les plus grands pays exportateurs d’armements – d’assumer alors l’immense mais généreuse obligation d’une rapide mise en œuvre de la promesse ainsi faite aux citoyens du monde, avec ce TCA, d’un avenir plus respectueux de leurs droits fondamentaux.
Benoît Muracciole