Depuis l’élection de Barak Obama, 6 citoyens[1] des Etats Unis ont été poursuivis par le Espionnage ACT de 1917[2], Edward Snowden est le septième. Pour un Président des Etats Unis couronné par un prix Nobel de la Paix: « Pour ses efforts extraordinaires afin de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples » ce n’est pas un mince succès. Car au moins dans 6 cas sur 7 – Thomas Drake de la NSA[3], John Kiriakou de la CIA, Shamai K. Leibowitz du FBI[4], Bradley Manning de l’armée étasunienne, Jeffrey Sterling de la CIA[5] et Edward Snowden contractant de la CIA – les personnes attaquées en justice ont agi par convictions pour la défense des droits de l’Homme.
Pour John Kiriakou, Shamai K. Leibowitz , Bradley Manning, il s’agissait de dénoncer des actes illégaux du gouvernement étasunien dans les interrogatoires ou dans l’usage des armes. John Kiriakou avait dénoncé des graves violations des droits de l’Homme avec l’utilisation de la torture[6] par le gouvernement, il a été condamné à 30 mois de prison qu’il purge à la Federal Correctional Institution de Loretto[7]. Shamai K. Leibowitz lui, en est sorti après 20 mois d’incarcération. Enfin Bradley Manning, dont les informations avaient permis notamment de prendre connaissance des graves violations du droit international humanitaire perpétrées par l’armée étasunienne en Irak, passe en jugement après avoir subi des actes de torture pendant sa détention.
Thomas Drake et Edward Snowden ont eux voulu dénoncer les manquements graves du gouvernement des Etats Unis face à ses propres engagements nationaux et internationaux[8] en espionnant ses citoyens. Le premier amendement de la Constitution des Etats Unis demande que rien ne puisse interférer avec : « la liberté parole des individus, la liberté de la presse et avec le fait d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation de ses torts ». En cela le voyage que s’est organisé Edward Snowden pour échapper à la chasse que le gouvernement a lancé contre lui, ne serait il pas une invitation à analyser les différences de protection de la vie privée en Chine, aux Etats Unis et en Russie[9] ?
Les écoutes de téléphones et d’internet sont presque une vieille histoire, puisqu’avec le programme Echelon, le journaliste Duncan Campbell avait déjà révélé l’ampleur de « l’attraction espionite » des gouvernements étasunien, japonais, australien, britannique et chinois dès 1988[10]. Cette obsession, du contrôle et de ses moyens, avait été largement renforcée du temps des conservateurs affairistes sous la Présidence de Georges W Bush[11]. Il n’est donc pas étonnant de voir ces moyens aujourd’hui encore exister, même si l’on avait peut être pu espérer un peu plus de retenue et de transparence de l’administration de Barak Obama. Quant à l’aimable collaboration de Microsoft, Yahoo[12], Google, Facebook, Skype, PayTalk, You Tube, Skype, AOL, Apple elle s’inscrit dans la logique étasunienne du « business as usual » rien de franchement surprenant non plus.
Mais là où les révélations d’Edward Snowden sont plus préoccupantes, comme le relève Russell Tice[13] un ancien analyste de la NSA à la retraite, c’est que : « ce qui existe est plus important et systématique que ce que l’on pouvait imaginer ou même suspecter ». Ce programme, que Al Gore qualifie sur twitter « d’outrageusement obscène »[14], nous laisse entrevoir une partie conséquente du corps politique étasunien gangréné par la paranoïa de « l’ennemi est partout ». Pourtant le nombre d’agences et de sociétés qui travaillent aujourd’hui dans ce contrôle accentue les failles de cette grande démocratie. D’une part parce qu’avec leurs moyens les différentes agences de renseignements et leurs consultants ont un pouvoir de manipulation sur l’exécutif, d’autre part parce que le poids économique de ces sociétés[15] en fait un véritable levier de pression sur ce même exécutif. Et ce n’est pas fini car avec plus d’un million de personnes travaillant sur ce programme[16] il n’y a plus de secret. En plus de quelques centaines de services de renseignements, les mafias et autres cartels doivent eux aussi avoir leurs entrées et eux ne vont pas le crier sur les toits…
Mais dans ce monde de brutes, la surprise peut encore venir des citoyens étasuniens. Un petit peu comme dans le mythe du Western où d’un seul coup l’impossible devient possible grâce à une majorité de citoyens qui décident de faire triompher le bien… Bien sûr nous n’en sommes pas encore là, mais des sondages donnent des indications contradictoires sur les réactions des étasuniens[17]. Et ce, malgré la mobilisation des autorités, de quelques médias[18] et de la grande majorité des élus du pays qui se retrouvent parfaitement dans cette culture espionite quasi systématique[19]. Il pourrait donc y avoir quelques nouvelles surprises venant de la société civile même si L’ACLU – qui avait déposé une plainte en 2008 contre le FISA Amendments Act of 2008 avec une coalition de juristes et d’ONG – s’est encore fait retoquer en février dernier[20].
Quand ASER, avec un certains nombre d’ONG, avait demandé l’intégration du matériel – pouvant être utilisé à des activités d’espionnage internet et téléphone dans la liste des exportations soumis au contrôle de l’Union Européenne[21] – nous étions dans le vrai. Il s’agit maintenant d’obliger les Etats à encadrer juridiquement et scrupuleusement leur utilisation. Car je ne suis pas sûr que les réponses données aux journalistes par Barak Obama, soient véritablement rassurantes[22].
Benoît Muracciole
[6] Qui contrevient au huitième amendement de la Constitution étasunienne qui stipule que l’on ne doit pas infliger un traitement cruel et inhabituel aux individus. Et bien sûr à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : http://www2.ohchr.org/french/law/cat.htm
[7] https://s3.amazonaws.com/s3.documentcloud.org/documents/705038/john-kiriakou-letter-from-loretto-1.pdf
[8] Déclaration Universelle des droits de l’Homme, Article 1 de la Charte des Nations unies, les principes de Johannesburg… http://www.article19.org/data/files/pdfs/standards/joburgprinciples.pdf
[9] http://www.guardian.co.uk/world/2009/nov/16/barack-obama-criticises-internet-censorship-china et En juillet 2012 https://www.fcc.gov/document/chairmans-statement-russian-federations-website-legislation
[10] http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://duncan.gn.apc.org/echelon-dc.htm&title=Somebody%27s%20listening
[11] Et notamment avec le FISA Amendments Act of 2008 http://www.govtrack.us/congress/bills/110/hr6304/text
[12] Tient au fait ce n’était pas complétement idiot de la part du gouvernement français de refuser de vendre Dailymotion à Yahoo !!!
[14] « In digital era, privacy must be a priority. Is it just me, or is secret blanket surveillance obscenely outrageous? https://twitter.com/algore/status/342455655057211393
[15] Booz Allen Hamilton, où travaillait Edward Snowden, a passé en 2011 un contrat de 3.85 milliard de $ avec le gouvernement étasunien : http://washingtontechnology.com/toplists/top-100-lists/2012.aspx
[16] En plus du Government Communications Headquarters des britanniques : https://www.gov.uk/government/organisations/government-communications-headquarters
[17] http://i2.cdn.turner.com/cnn/2013/images/06/17/rel7a.pdf et http://swampland.time.com/2013/06/13/new-time-poll-support-for-the-leaker-and-his-prosecution/ avec un chiffre terrible pour les autorités étasuniennes puisque 70% des personnes interrogées entre 18 et 34, soutiennent le geste d’Edward Snowden
[19] Le programme avait été récemment ré autorisé par le Congrès
[20] American Civil Liberty Union. C’est par un vote serré que les juges de la cour suprême, 5 voix contre 4, leur ont refusé « l’intérêt à agir »[20], ce qui pour une cour suprême à majorité conservatrice est déjà une grande victoire.
[21] Ce qui fut fait pour la liste de l ‘Arrangement de Wassenaar en décembre 2012 : http://www.wassenaar.org/controllists/index.html