Les droits de l’Homme et internet : Chine, Etats Unis, Russie, même combat ?

27 06 2013

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Depuis l’élection de Barak Obama, 6 citoyens[1] des Etats Unis ont été poursuivis par le Espionnage ACT de 1917[2], Edward Snowden est le septième. Pour un Président des Etats Unis couronné par un prix Nobel de la Paix: « Pour ses efforts extraordinaires afin de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples »  ce n’est pas un mince succès. Car au moins dans 6 cas sur 7 – Thomas Drake de la NSA[3], John Kiriakou de la CIA, Shamai K. Leibowitz du FBI[4],  Bradley Manning de l’armée étasunienne, Jeffrey Sterling de la CIA[5] et Edward Snowden contractant de la CIA – les personnes attaquées en justice ont agi par convictions pour la défense des droits de l’Homme.

Pour John Kiriakou, Shamai K. Leibowitz ,  Bradley Manning, il s’agissait de dénoncer des actes illégaux du gouvernement étasunien dans les interrogatoires ou dans l’usage des armes. John Kiriakou avait dénoncé des graves violations des droits de l’Homme avec l’utilisation de la torture[6] par le gouvernement, il a été condamné à 30 mois de prison qu’il purge à la Federal Correctional Institution de Loretto[7]. Shamai K. Leibowitz lui, en est sorti après 20 mois d’incarcération. Enfin Bradley Manning, dont les informations avaient permis notamment de prendre connaissance des graves violations du droit international humanitaire perpétrées par l’armée étasunienne en Irak, passe en jugement après avoir subi des actes de torture pendant sa détention.

Thomas Drake et Edward Snowden ont eux voulu dénoncer les manquements graves du gouvernement des Etats Unis face à ses propres engagements nationaux et internationaux[8] en espionnant ses citoyens. Le  premier amendement de la Constitution des Etats Unis  demande que rien ne puisse interférer avec : « la liberté parole des individus, la liberté de la presse et avec le fait d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation de ses torts ».  En cela le voyage que s’est organisé Edward Snowden pour échapper à  la chasse que le gouvernement a lancé contre lui, ne serait il pas une invitation à analyser les différences de protection de la vie privée en Chine, aux Etats Unis et en Russie[9] ?

Les écoutes de téléphones et d’internet sont presque une vieille histoire, puisqu’avec le programme Echelon, le journaliste Duncan Campbell avait déjà révélé l’ampleur de « l’attraction espionite » des gouvernements étasunien, japonais, australien, britannique et chinois dès 1988[10]. Cette obsession, du contrôle et de ses moyens, avait été largement renforcée du temps des conservateurs affairistes sous la Présidence de Georges W Bush[11]. Il n’est donc pas étonnant de voir ces moyens aujourd’hui encore exister, même si l’on avait peut être pu espérer un peu plus de retenue et de transparence de l’administration de Barak Obama. Quant à l’aimable collaboration de Microsoft, Yahoo[12], Google,  Facebook, Skype, PayTalk, You Tube, Skype, AOL, Apple elle s’inscrit dans la logique étasunienne du « business as usual »  rien de franchement surprenant non plus.

Mais là où les révélations d’Edward Snowden sont plus préoccupantes, comme le relève Russell Tice[13] un ancien analyste de la NSA à la retraite, c’est que : « ce qui existe est plus important et systématique que ce que l’on pouvait imaginer ou même suspecter ». Ce programme, que Al Gore qualifie sur twitter  « d’outrageusement obscène »[14], nous laisse entrevoir une partie conséquente du corps politique étasunien gangréné par la paranoïa de « l’ennemi est partout ». Pourtant le nombre d’agences et de sociétés qui travaillent aujourd’hui dans ce contrôle accentue  les failles de cette grande démocratie. D’une part parce qu’avec leurs moyens les différentes agences de renseignements et leurs consultants ont un pouvoir de manipulation sur l’exécutif, d’autre part parce que le poids économique de ces sociétés[15] en fait un véritable levier de pression sur ce même exécutif. Et ce n’est pas fini car avec plus d’un million de personnes travaillant sur ce programme[16] il n’y a plus de secret. En plus de quelques centaines de services de renseignements, les mafias et autres cartels doivent eux aussi avoir leurs entrées et eux ne vont pas le crier sur les toits…

Mais dans ce monde de brutes, la surprise peut encore venir des citoyens étasuniens. Un petit peu comme dans le mythe du Western où d’un seul coup l’impossible devient possible grâce à une majorité de citoyens qui décident de faire triompher le bien… Bien sûr nous n’en sommes pas encore là, mais des sondages donnent des indications contradictoires sur les réactions des étasuniens[17]. Et ce, malgré la mobilisation des autorités, de quelques médias[18]  et de la grande majorité des élus du pays qui se retrouvent parfaitement dans cette culture espionite quasi systématique[19]. Il pourrait donc y avoir quelques nouvelles surprises venant de la société civile même si L’ACLU – qui avait déposé une plainte en 2008 contre le FISA Amendments Act of 2008 avec une coalition de juristes et d’ONG – s’est encore fait retoquer en février dernier[20].

Quand ASER, avec un certains nombre d’ONG, avait demandé l’intégration du matériel – pouvant être utilisé à des activités d’espionnage internet et téléphone dans la liste des exportations soumis au contrôle de l’Union Européenne[21] – nous étions dans le vrai. Il s’agit maintenant d’obliger les Etats à encadrer juridiquement et scrupuleusement leur utilisation. Car je ne suis pas sûr que les réponses données aux journalistes par Barak Obama, soient véritablement rassurantes[22].

Benoît Muracciole


[6] Qui contrevient au huitième amendement de la Constitution étasunienne qui stipule que l’on ne doit pas infliger un traitement cruel et inhabituel aux individus. Et bien sûr à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : http://www2.ohchr.org/french/law/cat.htm

[8] Déclaration Universelle des droits de l’Homme, Article 1 de la Charte des Nations unies, les principes de Johannesburg… http://www.article19.org/data/files/pdfs/standards/joburgprinciples.pdf

[11] Et notamment avec le FISA Amendments Act of 2008 http://www.govtrack.us/congress/bills/110/hr6304/text

[12] Tient au fait ce n’était pas complétement idiot de la part du gouvernement français de refuser de vendre Dailymotion à Yahoo !!!

[14] « In digital era, privacy must be a priority. Is it just me, or is secret blanket surveillance obscenely outrageous? https://twitter.com/algore/status/342455655057211393

[15] Booz Allen Hamilton, où travaillait Edward Snowden, a passé en 2011 un contrat de 3.85 milliard de $ avec le gouvernement étasunien : http://washingtontechnology.com/toplists/top-100-lists/2012.aspx

[16] En plus du Government Communications Headquarters des britanniques : https://www.gov.uk/government/organisations/government-communications-headquarters

[17] http://i2.cdn.turner.com/cnn/2013/images/06/17/rel7a.pdf et http://swampland.time.com/2013/06/13/new-time-poll-support-for-the-leaker-and-his-prosecution/ avec un chiffre terrible pour les autorités étasuniennes puisque 70% des personnes interrogées entre 18 et 34, soutiennent le geste d’Edward Snowden

[19] Le programme avait été récemment ré autorisé par le Congrès

[20] American Civil Liberty Union. C’est par un vote serré que les juges de la cour suprême, 5 voix contre 4, leur ont refusé « l’intérêt à agir »[20], ce qui pour une cour suprême à majorité conservatrice est déjà une grande victoire.

[21] Ce qui fut fait pour la liste de l ‘Arrangement de Wassenaar en décembre 2012 : http://www.wassenaar.org/controllists/index.html





Depuis le 3 juin 2013, 72 Etats ont signé le traité sur le commerce des armes, quelle est la prochaine étape ?

17 06 2013
Signature de l'Ambassadeur Suédois. Capture d'image

Signature de l’Ambassadeur Suédois Paul Beijer. Capture d’image

Il y a maintenant deux semaines les  premières  signatures du traité sur le commerce des armes des Etats, 67[1] rapidement suivies par 5 autres pays[2], ont montré que l’élan donné il y a plus de 6 ans à l’ONU ne faiblit pas. Les 7 co-auteurs[3] des résolutions du TCA depuis 2006, ont bien entendu tous signé et certains d’entre eux étaient même représentés à un haut niveau. Ce fut le cas avec M. Alfio Piva Mesén, Vice Président du Costa Rica qui continue de marquer avec vigueur son engagement au TCA, projet que son pays avait redynamisé en 1995 avec les prix Nobel de la paix Don Oscar Arias et Amnesty International.  Pour d’autres pays ce sont des ministres qui sont venus parapher ce texte avec en premier lieu l’Argentine et  l’Australie, 2 pays qui avaient successivement présidé les travaux du TCA aux Nations Unies. Avec dans un premier temps, l’ambassadeur Roberto Garcia Moritan, de 2007 à 2012, puis l’ambassadeur Peter Woolcott pour la conférence finale de mars 2013 ; ils sont entrés eux aussi dans l’histoire. La présence des ministres de l’Allemagne, de l’Espagne,  de la Finlande,  de la Grande Bretagne, de Grenade, de l’Irlande, de l’Italie, du Mexique, de la Norvège, de Trinidad et Tobago a signifié avec force l’engagement de ces pays pour le futur du TCA.

La France qui ne partage pas cette vision sur l’importance des symboles, signa par l’intermédiaire de son ambassadeur aux Nations unies. Dommage car l’expertise de ce pays ainsi que sa place, un temps, de co leader du processus aurait mérité une représentation plus significative.  Enfin l’absence des Etats Unis n’est pas une surprise et correspond à la difficulté que ce pays a eu pour entrer dans les négociations.  Mais ce n’est qu’une histoire de temps et John Kerry, que l’on entend plus que Laurent Fabius sur ce sujet, à déclaré que son pays signerait : « lorsque le processus d’homologation des traductions officielles serait achevé  ». Un langage diplomatique pour laisser retomber le soufflet des opposants étasuniens au TCA et de donner du temps aux juristes du département d’Etat et du Pentagone de se rassurer sur le texte. Quant aux 2 autres membres permanents du Conseil de Sécurité il y a d’abord la Chine. Celle ci qui s’était retranchée derrière une histoire de procédure pour ne pas voter le 2 avril, devrait signer avec l’aide de l’Afrique. Enfin pour la Russie, au cœur de l’actualité avec son soutien en terme de livraison d’armes au régime syrien. Le G8, qui s’ouvre aujourd’hui en Irlande du Nord, pourrait être une occasion de rassurer ce pays sur les vraies intentions du TCA. Rêvons un peu, cela pourrait passer par une reconnaissance du dépassement de la résolution 1973 par l’OTAN en Libye… En d’autres termes il faut donner des gages au gouvernement russe, tout en maintenant la pression des pays arabes sur elle, pour lui permettre de sortir la tête haute de cette situation. Je continue de penser que leur projet de conférence de paix à Genève, sur la Syrie, peut s’inscrire dans un processus positif de résolution de ce conflit[4].

Même si certaines ONG espéraient un nombre plus important, ce chiffre est significatif au moins parce qu’il dépasse le nombre d’Etats nécessaire à son entrée en force[5]. L’article 22 du traité précise en effet qu’il entrera en vigueur 90 jours après la 50° ratification. Celle ci viendra après un vote des Parlements nationaux.

Il s’agit maintenant de pousser à signer les Etats  qui ont voté le texte le 2 avril dernier – avec une adoption par 156 voix il reste donc 84 pays à  ce jour – car leur adhésion sera également une pression supplémentaire sur ceux qui se sont abstenus. C’est au niveau des capitales que ce travail doit d’abord se faire. Les nombreuses ONG qui ont été engagées ces dernières années dans la campagne ont, bien sûr, un rôle important à jouer. Mais il ne faut pas oublier non plus tous les réseaux diplomatiques des Etats, à commencer par celui des pays co-auteurs et aussi celui de la France. Il y a également les instances régionales comme la CEDEAO et la CARICOM ainsi que le Protocole de Nairobi et la SACD, qui furent une force pendant les négociations. Enfin des organisations régionales qui ont des moyens comme l’Organisation des Etats Américains, l’Union Européenne  se doivent d’être un relais efficace pour ce nouveau temps du TCA. C’est au plan régional que ce travail de conviction pourra avoir de la force sur les pays qui ont hésité comme l’Inde. Les Etats africains encore une fois, et dans la logique de cette dernière année de négociation, sont devenus le principal moteur de conviction pour ce TCA.

Enfin l’élection de Hassan Rohani pourrait aussi faire bouger les lignes de l’Iran sur le TCA. Pendant toutes ces années de rencontres et discussions avec les délégués iraniens au Nations unies, je n’ai jamais senti une opposition absolue aux objectifs ni aux principes, dont les droits de l’Homme, du TCA. L’Iran m’a semblé plus régler ses comptes avec un occident qui de nombreuses fois a été pour le moins partial dans ses interventions régionales[6]. Le temps nous éclairera sur les nouvelles dispositions de l’Iran, mais la place laissée à l’Iran dans la résolution du conflit syrien  sera un signe probant de la capacité de l’occident à se projeter dans une logique d’apaisement.

Benoît Muracciole


[1] Allemagne, Argentine, Bahamas, Costa Rica, République dominicaine, Estonie, Finlande, Grenade, Trinité-et-Tobago, Australie, Espagne, Islande, Irlande, Italie, Mexique, Norvège, Royaume-Uni, Albanie, Antigua-et-Barbuda, Autriche, Belgique, Belize, Bénin, Brésil, Burkina Faso, Burundi, Chili, Côte d’Ivoire, Croatie, Chypres, Danemark, Djibouti, France, Grèce, Guyana, Hongrie, Jamaïque, Japon, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Mali, Malte, Mauritanie, Monténégro, Mozambique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Palaos, Portugal, République de Corée, République tchèque, République-Unie de Tanzanie, Roumanie, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Sénégal, Seychelles, Slovénie, Suède, Suisse, Suriname, Togo, Tuvalu, Uruguay .

[2] El Salvador, Liberia, Slovakia, Rwanda et St Kitts and Nevis

[3] Argentine, Australie, Costa Rican Finlande, Japon, Kenya et Royaume-Uni

[5] Il avait fallu une année pour que la CPI réunisse 66 signatures.

[6] En plus du soutien armé aveugle au régime de Sadham Hussein, la résolition 476 de l’ONU qui demande un  cesser le feu sans demander à l’agresseur irakien de se retirer, est encore dans la mémoire collective de ce pays. Cette guerre a fait plus d’un million de morts du coté iranien.





Le premier traité sur le commerce des armes est présenté à la signature des États ce lundi 3 juin 2013 à l’ONU

3 06 2013

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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

Ce lundi 3 juin 2013 à New-York (USA), les États-membres de l’ONU vont être invités à signer le premier traité international de l’histoire sur le commerce des armes (TCA). Par ce geste politique fort, les états signataires concrétiseront une partie de la promesse faite aux millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui subissent au quotidien à travers le monde la violence perpétrée à l’aide d’armes classiques, d’en contrôler les transferts avec le risque de leur usage.

ASER (Action Sécurité Ethique Républicaines), qui a travaillé sur ce texte avec de nombreux gouvernements, leur demande d’être présents à ce rendez-vous pour honorer leurs engagements. Par ce geste, les signataires enverront un signal fort en faveur d’une rapide ratification et d’une mise en œuvre à la hauteur des attentes des populations à travers le monde.

Les 156 États qui ont adopté le texte de ce traité, pourront aussi ainsi inciter les 22 États-membres qui s’étaient alors abstenus à se joindre à eux, pour donner au TCA une dimension quasi universelle. Puisqu’il ne s’agit pas ici d’un accord au profit des pays exportateurs au détriment des importateurs, mais bien d’un texte de plus pour que soient respectés les droits de l’Homme – dont les droits économiques, sociaux et culturels – et le droit international humanitaire pour chaque citoyen, quels que soient son pays de naissance et son lieu de vie.

La levée de l’embargo sur les armes de l’Union Européenne au bénéfice de groupes armés syriens opposés au régime sanguinaire de Bachar Al Assad impose avec encore plus d’acuité l’indispensable et rapide mise en œuvre des engagements contenus dans ce texte. En parfaite logique avec les objectifs du traité, les États signataires se devront, avant tout transfert d’armes classiques vers ces groupes, d’évaluer le risque prépondérant d’un usage de ces armes par leurs destinataires en violation du droit international humanitaire et des droits de l’Homme. Et, dans l’esprit de ce même traité, les groupes bénéficiaires de ces transferts d’armes seront tout aussi engagés au respect des mêmes règles.

La Chine et la Russie, qui pour des raisons différentes se sont abstenues lors du vote du TCA, doivent à ce stade faire preuve de responsabilité.  Pour la Chine, il doit s’agir de pousser à une solution politique du conflit syrien ; pour la Russie, il est urgent de stopper tout transfert d’armes au profit du pouvoir syrien, qui depuis près de deux années commet crimes sur crimes contre l’humanité et multiplie les violations des droits de l’Homme à l’encontre de ses concitoyens.

L’association ASER (Action Sécurité Ethique Républicaines) lutte pour le respect des droits de l’Homme dans les transferts d’armes et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces armées et de police.

ASER est membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères (RAIAL).

ASER est accréditée ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies (ONU).