Les impasses de la politique extérieure de la France 

1 03 2023

De tout temps il y eut des dictatures respectées ou honnies selon la politique des gouvernements français et ces dernières années n’ont pas fait exception à la règle. Cependant c’est à la fin du XXème siècle que cette politique apparaît publiquement avec l’intervention militaire de 1991 en Irak. D’abord adulé dans les années 1980, période pendant laquelle la France avait armé ce régime dans le cadre du conflit avec l’Iran[1] (1980-1988), Saddam Hussein fut ensuite abominé et les populations irakiennes furent soumises à une succession d’interventions militaires où le droit international fut rarement présent. L’opinion publique française découvrit alors l’ampleur des ventes de matériels de guerre et le cynisme avec lequel les gouvernements avaient soutenu Saddam Hussein. Trois années plus tard c’est au tour de Paul Kagame Président du Rwanda. Vilipendé depuis 1994, il reçoit l’imprimatur d’Emmanuel Macron en 2018, il est pourtant responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés en République démocratique du Congo (RDC)[2]. En 2003 en Côte d’Ivoire c’est le Président Laurent Gbagbo qui passe de la lumière à l’ombre de la répression de l’armée française. Presque dans la continuité et toujours dans cette implacable logique Mouammar Kadhafi, qui avait été reçu avec les honneurs par le gouvernement de Sarkozy en 2007, a été assassiné en 2011, par une coalition armée co-dirigée par ce même Président Français. Puis vint le tour de Bachar al Assad qui « ne méritait pas d’être sur terre » selon le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius en 2012, soutenu par l’ensemble du gouvernement, alors que 4 années auparavant il était invité d’honneur pour le défilé du 14 juillet. En 2020 il semble que les mêmes se soient accommodés  du « dictateur sanguinaire » syrien. Enfin lors de l’année 2022 les gouvernements Malien et Burkinabé, issus de coups d’État récents, expulsent l’armée française après des années d’immixtions de celle-ci dans les affaires de ces deux pays. Leurs nouveaux dirigeants deviennent aussitôt les démons des ex-pré-carrés Français. 

Ces changements d’alliance de la France, surtout lorsqu’elles entrainent des guerres, furent désastreux pour les populations de tous les pays cités. Non seulement leurs droits fondamentaux ont été bafoués mais la promesse de paix et de sécurité fut une honteuse tromperie. 

Or depuis le début du XXIème siècle le discours des autorités françaises a changé avec l’apparition de la responsabilité de protéger. Ce nouveau concept poussé par des ONGG (Organisations non gouvernementales « gouvernementales ») en mal de financements et donc d’images, a remplacé le respect des droits de l’Homme qui a peu à peu disparu des éléments de langage du gouvernement. Souvent trop précis, trop encadrés par de nombreuses conventions, ces droits longtemps mis en avant avait fait leurs temps pour les gouvernements et les ONGG. La forfaiture de la France « patrie des droits de l’Homme » avait été démasquée par les jeunesses des pays du sud. Il fallait trouver une échappatoire pour cacher la misère de « l’expertise France ». C’est ainsi que s’élabora avec François Hollande un nouveau récit des interventions françaises comme en République Centrafricaine. L’intervention devait prévenir un génocide auquel beaucoup de Centrafricains, dont des leaders religieux, ne croyaient pas. Par contre il fait peu de doute que les ressources naturelles du pays, dont l’uranium, ainsi que le marché centrafricain intéressaient les entreprises françaises[3]. C’est aussi pour défendre ses intérêts financiers et industriels que la France est intervenue militairement au Mali. Pourtant aucune colonne « djihadiste » ne menaçait Bamako[4], nulle preuve d’une menace sur le gouvernement malien n’a été présentée aux citoyens·nes français·es, ni aux parlementaires.

Mais les changements sémantiques de la politique extérieure du gouvernement français se voulant le champion du « droit de protéger », n’intéressent aujourd’hui plus grand monde et le discours du Président Macron, en date du 27 février 2023, entérine définitivement cet état de fait. Son nouveau partenariat avec l’Afrique ignore la singularité des cultures et des peuples de ce continent ainsi que leurs droits fondamentaux.  Il sonne creux comme le bois dévoré par les termites ou comme la pensée stratégique de la France.  Une surdité ultime malgré les mots forts du pape François en RDC à l’égard des pays extérieurs au continent : « Ôtez vos mains de l’Afrique ».

Jean Claude Alt

Benoît Muracciole


[1] Et en même temps  l’Iran de l’ayatollah Khomeini avec Luchaire et Matra

[2] Pays pour lequel International Rescue Committee recense 5,4 millions de morts directes et indirectes entre 1998 et 2007 par toutes les parties impliquées dans le conflit.

[3] Dont Orange, Bolloré/MSC, Total, MOCAF (Groupe Castel, les boissons), SUCAF (Groupe SOMDIIA, sucre), Powers Security (Groupe SERIS, sécurité), OLEA (assurances), Air France et Areva

[4] https://www.lopinion.fr/international/mali-les-colonnes-jihadistes-foncant-sur-bamako-en-2013-une-legende Jean Dominique Merchet, L’Opinion, 12 février 2021





Dons de 30 Rafales à l’Egypte par le gouvernement français

4 05 2021
Rafale - copie

Le 3 mai 2021 Disclose a révèlé une nouvelle « vente » de Rafales au gouvernement égyptien dirigé par le Président Al Sissi. Ce gouvernement est responsable de crimes contre l’humanité vers le peuple égyptien dans le temps de la répression contre les partisans de Morsi ainsi qu’un usage quasi systématique de la torture contre les opposants au régime. Il est également responsable de crimes de guerre en Libye avec un soutien à Haftar et de crimes contre l’humanité au Yemen comme ASER le dénonce dans un rapport paru le 10 décembre 2020.

Mais cela ne suffit pas pour les entreprises Dassault et MBDA, pour les responsables politiques français du Président Macron au Premier ministre Castex ainsi que des ministres des Armées Parly et des Affaires Etrangères Le Drian. Ils sont complices car ils ont connaissance des ces graves violations du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire dénoncé dans les rapports des Nations Unies !

Ces transferts d’armes sont également une violation flagrante de l’Article 6 du traité sur le commerce des armes !

Ce contrat représente près de 4 Milliard€ qui s’ajoutent aux 6,55 Milliard€ que n’a toujours pas réglé le gouvernement égyptien et qui correspondent au contrat de 2015 (24 Rafales, une Frégate FREMM et 2 Mistrals).

En 6 ans ce commerce des armes irresponsable coûte plus de 10 Milliard€ aux contribuables français·es alors que la France traverse une crise sociale et sanitaire sans équivalent depuis la V° République.

Les citoyens·es devraient demander aux élus de la Nation l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire afin de connaître les conditions de ces contrats et de vérifier s’ils sont en conformité avec les engagements internationaux de la France

Benoît Muracciole





Yémen : «On pourrait parler d’une bavure si elle était isolée»

2 09 2019





“STOP ARMING YEMEN – THE VIEW FROM PARIS”

2 03 2019

A 330 MRTT 2

All parties involved in the war in Yemen continue to plunge the population into what the United Nations Secretary General has denounced as « the planet’s worst humanitarian crisis.” One estimate put the death toll at nearly 60,000 since 2016. Hostilities between the Saudi Arabia-led Coalition and the Houthi and other armed groups, have become increasingly muddled as loyalties have shifted, armed groups and militia proliferated and factions fragmented. The Coalition includes Bahrain, Egypt, Jordan, Kuwait, Morocco, Saudi Arabia, Sudan, and the United Arab Emirates. It supports the beleaguered Yemen government and its militia.Despite a fragile ceasefire agreed in December, clashes have continued, as have attacks on civilians by Yemeni government militia, the Coalition forces and the armed groups.

 

Mobilization by civil society and calls by parliamentarians in many countries following reports of civilian atrocities by NGO, media and UN experts of atrocities have put pressure on governments to stop the flow of all arms that would be used in Yemen. Shock at the brazen assassination of exiled Saudi Arabian journalist, Jamal Khashoggi, by a Saudi state murder squad on 2 October 2018 heightened such calls. In response, States such as Austria, Denmark, Finland, Flanders, Germany, the Netherlands, Norway and Switzerland have announced they will suspend arms exports to Saudi Arabia. This suggests that some governments are beginning to accept responsibility to take measures to ensure respect of international law, particularly that of human rights and international humanitarian law (IHL). However, the United States, France, Italy, Canada and the United Kingdom governments continue as the main suppliers of war material to the Saudi Arabia-Led Coalition and the United States and the United Kingdom, among other States, continue to advise the Coalition.

 

According to a detailed report by the UN High Commissioner for Human Rights Group of Experts in August 2018, the Coalition has continued a pattern of air strikes and military operations causing most of the documented civilian casualties in Yemen. In the past three years, such air strikes using precision munitions have hit residential areas, markets, funerals, weddings, detention facilities, civilian boats and even medical facilities. The use in some cases of “double strikes” close in time, which affect first responders, raises grave concern. The UN Experts Group report accused the Saudi-led coalition of routinely having failed to consult its own “no-strike list” of more than 30,000 sites in Yemen, including refugee camps and hospitals. The Group also said the Saudi Air Force had not cooperated with investigators about its targeting procedures. Similar findings were reported from a UN Security Council panel of experts on Yemen in January 2018.

 

The mounting evidence indicates that these actions are repeatedly violating the fundamental principles of distinction, proportionality and precaution when conducting hostilities, acts which constitute serious violations of the 1949 Geneva Conventions, and may amount to war crimes and even crimes against humanity. Unicef’s Middle East and North Africa director, Geert Cappelaere, said: “Not enough has changed for children in Yemen since the Stockholm agreement on 13 December 2018. Every day since, eight children have been killed or injured. Most of the children killed were playing outdoors with their friends or were on their way to or from school” (The Guardian, 26 February 2019).

 

At the same time, the UN calculated that in 2018 nearly 60% of the aid to alleviate suffering in Yemen came from Saudi Arabia, the UAE and the US. The UK is also now stepping up its aid to Yemen. The UN says about 22 million people out of a population of 29 million need help to secure food this year in Yemen, including nearly 10 million who are just a step away from famine. Nearly 240,000 are facing “catastrophic levels of hunger.” More than 250 humanitarian organisations are operating in the country.The UN Experts Group said that millions of civilians were also suffering “devastating effects” from the coalition’s arbitrary restrictions on shipping and air travel because food, medicines and fuel were needed to fend off starvation and diseases. The Coalition’s screening of ships was supposed to prevent arms smuggling to the armed groups but had become a “de facto blockade’ while the UN searches had found no weapons on ships.

 

The United States, France, Italy, and the United Kingdom are signatories to the Arms Trade Treaty (ATT). As such they are obliged to respect its object and purpose which is to establish the highest possible common international standards for improving the regulation of the international trade in conventional arms, and to reduce human suffering. Moreover, France, Italy and the United Kingdom are legally bound as State Parties to the ATT to respect all the obligations under the Treaty. Those legal obligations include a duty to prohibit any arms transfers if their State knows that the arms would be used for such violations or international crimes.  They and the Saudi Coalition blame the government of Iran for continuing to arm the Houthi forces, as if two wrongs make a right. The UN Expert Group accused Houthi fighters and their allies of violating IHL, including by shelling residential areas, impeding humanitarian aid and using child soldiers. Houthi and other armed groups appear to have acquired most of their arms from Yemeni government stocks and from illicit markets in the region.

 

The UN Security Council has been slow and one sided. In 2013 the Council had condemned the illicit transfer, destabilizing accumulation and misuse of small arms and light weapons in Yemen, and in April 2015 imposed an arms embargo only targeted on the Houthi armed opposition. Total embargoes had been imposed on UN-designated terrorist groups such as Al-Qaida in the Arabian Peninsula (AQAP) and the Islamic State in Iraq and the Levant (ISIL) affiliate in Yemen, which have become actively engaged in attacks on Coalition as well as armed opposition forces and civilians. In January 2018 the Security Council’s expert panel accused Iran of transferring some missiles and unmanned aerial vehicles used by Houthi forces, although it also reported that been no reported maritime seizures of weapons and ammunition during 2017, and only very limited seizures of arms-related material have been identified on the main land supply route. However, the Security Council has not imposed an embargo on arms transfers to Yemen as such.

 

Civil society organizations, parliamentarians and governments that respect the international rule of law can further step up political pressure as well as take legal actions to compel arms supplying States to implement their ATT obligations and suspend transfers to the Saudi Coalition. Some NGOs have attempted to challenge their home governments in the courts.

 

In the case of France, Article 55 of the Constitution gives supra-legislative status to treaties ratified by Parliament. In the 2018 complaint filed by Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER) against the French government’s continued arms exports to the Saudi Arabian-led Coalition, the General Secretariat for Defence and National Security disputed the direct effect legal status of the ATT in its defence brief.

 

A decisive point in the case remains the choice of which article of the ATT applies to the transfer of arms to the Saudi Arabia-led Coalition given the strong prima facie evidence of atrocities being committed with those arms in Yemen. Should the case be based first and foremost on Article 6, which prohibits a potential arms transfer if the State Party “has knowledge” that the arms would be used for the commission of serious violations of IHL or war crimes? Or should the case first rest on Article 7, which requires the exporting State Party to assess whether there is an “overriding risk” that the potential arms export would be used to commit or facilitate serious violations of IHL or of international human rights law, despite “available mitigation measures” first taken by the exporting and importing States?

 

ATT Article 6, paragraph 3 specifies that: « A State Party shall not authorize any transfer of conventional arms or items…[covered by the Treaty] if it has knowledge at the time of authorization that such arms or items would be used to commit genocide, crimes against humanity, grave breaches of the Geneva Conventions of 1949, attacks directed against civilians or civilian objects and protected as such, or other war crimesas defined by international agreements to which it is a Party.”

 

ASER’s opinion is that before the start of full-blown hostilities in March 2015, litigation based upon the risk assessment procedures required by ATT Article 7 to approve or deny arms exports to Saudi Arabia could have been justified.  Each exporting State Party to the ATT had to assess the risks of using potential exports of weapons in the light of the information it was then aware of.

 

However, Article 7 only applies if a potential export is not prohibited by Article 6, and since 2015, factual evidence of the Coalition’s flawed ‘rules of engagement’ in this armed conflict had quickly become a proven reality. Repeated cases pointing to serious violations of human rights and international humanitarian law have been widely documented in United Nations and NGO reports. In particular the UN reports of January 2017, January 2018 and August 2018 provide details of air strikes on civilian targets and other attacks on civilians by Saudi Arabian-led Coalition forces, as well as by Houthi and other armed groups. It is therefore Article 6 of the ATT that must first be applied in litigation efforts in countries that are ATT States Parties.

 

Some NGOs in the European Union began their litigation efforts over the past two years in a general way by referring to ATT Articles 6 and 7 as well as to the EU Common Position on arms exports. Criterion 2 of the Common Position requires that Member States deny an arms export licence “if there is a clear risk that the military technology or equipment to be exported might be used in the commission of serious violations of international humanitarian law.” Although the wording in the Common Position and the ATT is slightly different, Criterion 2 presents similar challenges to ATT Article 7. Neither should be the starting point of litigation ahead of Article 6.

 

Such legal action by NGOs should of course be accompanied by a mobilisation of civil society at the political level. The French Government’s refusal to allow the judiciary any right of scrutiny over the regularity and conformity of French arms export procedures is essentially political and in ASER’s view it contravenes the French Constitution. It reveals a vision of the 19th Century in which citizens were not allowed to speak or question decisions of government that appear illegal or immoral.

 

ASER is determined to convince the judge of the direct effect of the ATT in domestic law and of the illegality of the arms transfers that the government could foresee would be used for atrocities in Yemen. France’s foreign policy affects all citizens living in France, particularly in terms of security and respect for human rights, and that policy must not blatantly violate and be seen to blatantly violate, relevant international law.

 

ASER’s action sets a precedent in France. So far no other French NGO has launched a legal challenge to the State concerning arms export authorisations.

 

For ASER :

Jean Claude Alt

Benoît Muracciole

 





Il faut cesser d’alimenter la guerre au Yémen avec des armes françaises

2 03 2019

A 330 MRTT 2

 

Toutes les parties engagées dans la guerre au Yémen continuent de plonger la population dans une crise humanitaire dont le nombre de mort, plus de 60 000 depuis 2016[1], ne donne pas toute la mesure de la gravité de la situation. Les Nations Unies affirment qu’environ 22 millions de personnes sur une population de 29 millions ont besoin d’aide pour assurer leur sécurité alimentaire cette année au Yémen, dont plus de 12 millions sont à deux doigts de la famine. Près de 240 000 personnes sont confrontées à des « niveaux catastrophiques de carence alimentaire ». Plus de 250 organisations humanitaires opèrent dans le pays. Le groupe d’experts de l’ONU a déclaré que des millions de civils souffraient également des « effets dévastateurs » des restrictions arbitraires, imposées par la coalition, aux transports, maritimes et aériens.  Le contrôle des navires par la Coalition était censé empêcher le trafic d’armes vers les groupes armés[2]mais est devenu un « blocus de facto » pour les produits de première nécessité comme la nourriture, les médicaments et le carburant.

Les dernières décisions des Etats comme l’Allemagne, la Finlande, la Norvège, les Pays Bas et la Suisse, de suspendre les exportations d’armes vers les pays[3]de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, nous indiquent que ces gouvernements, grâce à la mobilisation d’une partie de la société civile, dont des parlementaires et des ONG, se saisissent des questions que pose le droit international – notamment celui des droits de l’Homme et du droit international humanitaire (DIH) – en terme de responsabilité.

Malgré cela d’autres gouvernements  – principalement les Etats-Unis,  la France et la Grande-Bretagne – poursuivent non seulement la vente de tout type de matériel de guerre en direction des pays de la coalition,  mais ils la conseillent également dans leurs interventions sur le terrain.

Depuis le début de son engagement dans la guerre, la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis est pourtant responsable de graves violations des conventions de Genève de 1949, de crimes de guerre[4], voire de crimes contre l’humanité.

Selon un rapport détaillé du Groupe d’experts du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en août 2018, la Coalition a continué à mener des frappes aériennes et des opérations militaires qui ont fait la plupart du temps  des victimes civiles au Yémen. Au cours des trois dernières années, de telles frappes aériennes utilisant des munitions de précision ont frappé des zones résidentielles, des marchés, des funérailles, des mariages, des centres de détention, des bateaux civils et même des installations médicales. L’utilisation, dans certains cas, de « doubles frappes » proches dans le temps, qui affectent les premiers secours,suscite de graves préoccupations. Le rapport du Groupe d’experts de l’ONU accuse la coalition dirigée par l’Arabie saoudite d’avoir systématiquement omis de consulter sa propre « liste d’interdiction de bombardements de sites répertoriés »de plus de 30 000 sites au Yémen, y compris des camps de réfugiés et des hôpitaux. Le Groupe a également déclaré que les Forces aériennes saoudiennes avaient refusé de coopérer avec les enquêteurs au sujet de leurs procédures de ciblage. Un groupe d’experts du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Yémen a présenté des conclusions similaires en janvier 2018.

 

Les preuves de plus en plus nombreuses indiquent que ces actions violent de manière répétée les principes fondamentaux de distinction, de proportionnalité et de précaution dans la conduite des hostilités, actes qui constituent des violations graves des Conventions de Genève de 1949 et peuvent constituer des crimes de guerre et même des crimes contre l’humanité. Le directeur de l’Unicef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Geert Cappelaere, a déclaré : « Depuis l’accord de Stockholm du 13 décembre 2018, il n’y a pas eu de véritable changements pour les enfants du Yémen. Depuis cet accord, huit enfants continuent chaque jour d’être tués ou blessés. La plupart des enfants tués jouaient dehors avec leurs amis ou se rendaient à l’école ou en revenaient  » (The Guardian, 26 février 2019).

Or les Etats-Unis, la France, l’Italie et la Grande-Bretagne pays  sont au moins signataires du Traité sur le Commerce des Armes (TCA).En tant que tels, ils sont tenus de respecter son objet et son but  qui sont d’établir les normes internationales communes les plus élevées possibles aux fins de réglementer et d’améliorer la réglementation du commerce international des armes classiques et réduire la souffrance humaine.  Les gouvernements français, italiens et britanniques sont en tant que parties au TCA tenus au respect de l’ensemble des articles du traité. Ces obligations comprennent celles d’interdire tout transfert d’armes s’ils ont connaissance que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre de graves violations du DIH ou de crimes internationaux.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a été particulièrement lent et partisan dans ses décisions concernant la guerre au Yémen. En 2013, le Conseil a condamné le transfert illicite, l’accumulation déstabilisatrice et l’utilisation abusive d’armes légères et de petit calibre au Yémen et, en avril 2015, a imposé un embargo sur les armes qui ne visait que l’opposition armée Houthi. Des embargos totaux ont été imposés à des groupes désignés par l’ONU comme « terroristes », tels qu’Al-Qaida dans la péninsule arabique AQPAet les takfiristes (DAESH) au Yémen. Ces derniers ont particulièrement attaqué les civils. En janvier 2018, le groupe d’experts du Conseil de sécurité a accusé l’Iran de transférer des missiles et des drones utilisés par les forces Houthis. Il a également indiqué qu’aucune saisie d’armes  n’avait été signalée en 2017 sur les voies maritimes (seules des saisies très limitées ont été faites sur les principaux axes routiers). Toutefois, le Conseil de sécurité n’a pas imposé d’embargo sur les transferts d’armes au Yémen en tant que tel.

La question qui se pose aujourd’hui pour les ONG de la société civile est celle-ci : « Quel rapport de force pouvons-nous créer pour obliger les Etats à suspendre les transferts d’armes vers les pays de la coalition ? »

Au moins deux possibilités d’actions sont à envisager. La première est d’ordre juridique, la seconde d’ordre politique.

Mais sur un fondement juridique les ONG peuvent elles appuyer leur action pour contraindre ou plutôt faire pression sur leurs gouvernements ?

Concernant la France, l’article 55 de la Constitution confère une valeur supra législative aux traités ratifiés par le Parlement. Dans la plainte déposée par Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER) contre le gouvernement français, outre la question de l’effet directen droit interne – que conteste dans son mémoire de défense le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale[5]– le point décisif reste le choix de l’article du TCA s’appliquant à la guerre au Yémen. S’agit il de l’article 6 ou de l’article 7 ?

Selon ASER avant 2015, le recours à l’article 7 (qui ne s’applique que si l’exportation n’est pas interdite par l’article 6) aurait été tout à fait justifié en l’absence d’éléments factuels sur les règles d’engagements de la coalition.  Chaque Etat exportateur devait alors évaluer les risques d’usage des armes à la lumière des informations dont il avait alors connaissance.

Or, depuis 2015, de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par la coalition sont avérées comme l’ont largement étayé les rapports des Nations Unies ainsi que ceux des ONG. Le rapport des Nations Unies de janvier 2017 détaille avec minutie comment les frappes sur des cibles à caractère civil sont répétées, démontrant en cela la volonté des pays de la coalition d’atteindre les populations[6]. C’est donc bien l’article 6 du TCA qui doit s’appliquer.

 

Pourquoi alors nombres d’ONG fondent-elles leurs actions sur la base de la Décision Commune (ancienne Position Commune) de l’UE alors même que celle-ci a une valuer inférieure au TCA ?

Lors des négociations du TCA, nous avions pourtant réaffirmé sa dimension universelle afin notamment de contrer un eurocentrisme dévastateur[8]. Un tel positionnement nous semble donc aller à l’encontre de l’esprit même du TCA.

Les Etats sont très efficaces pour débouter les ONG dans leurs arguments fondés sur la Position Commune de l’UE et de l’article 7 du TCA Ils déclarent en effet respecter la démarche d’évaluation du risque, mais évitent soigneusement de se référer à l’article 6 de ce même traité, qui s’applique naturellement. Avec un certain cynisme les gouvernements demandent des preuves de l’utilisation des armes sachant que les grandes ONG des droits de l’Homme ont considérablement réduit leur recherche pour des raisons politico-budgétaires.

En revanche le mémoire en défense du Secrétariat général à la Défense et la Sécurité Nationale (SGDSN) en réponse à notre saisie en France de l’autorité administrative, ne conteste nullement nos arguments fondés sur les paragraphes 2 et 3 de l’article 6 du TCA ce qui est une belle reconnaissance en soi. En effet le paragraphe 3 précise :

« Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques … s’il a connaissance, au moment où l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre ». Ce que les rapports des Nations Unies et des ONG montrent, sans équivoque depuis l’année 2016.

L’opposition du gouvernement français  à reconnaître au tribunal administratif tout droit de regard sur la régularité et la conformité des procédures d’exportations d’armes françaises est politique et contrevient, de notre point de vue, à notre Constitution ainsi qu’à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités : Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier la non-exécution d’un traité. Cette position révèle une vision du XIX° siècle où les citoyens n’avaient pas le droit à la parole.  Cette représentation de la citoyenneté n’est pas à l’honneur de notre pays  mais nous sommes bien décidés à la faire évoluer et de convaincre le juge de l’effet direct du traité dans le droit interne. La politique étrangère de la France concerne tous les citoyens vivant dans notre pays, particulièrement en terme de sécurité et de respect des droits de l’Homme.

L’action d’ASER crée un précédent en France, aucune ONG n’avait à ce jour osé défier juridiquement l’Etat dans le domaine des autorisations d’exportations d’armes. Mais l’action juridique des ONG doit en outre s’accompagner d’une mobilisation de la société civile à un niveau politique. Nous rejoignons en cela les déclarations des ministres de la Défense affirmant qu’à la fin « toutes décisions d’exportations d’armes de la France est politique ».

C’est en cela que nous espérons que la raison et le bon sens engageront d’autres ONG à nous rejoindre.

Pour ASER :

Jean Claude Alt

Benoît Muracciole

 

[1]https://www.acleddata.com/2018/11/08/fatalities-in-the-yemen-conflict/

[2]Les recherches du groupe d’experts des Nations Unies n’ont trouvé aucune arme sur ces navires

[3]Dont Bahreïn, l’Egypte,  la Jordanie, le Koweït, le Maroc et le Soudan

[4]Rapport final du Groupe d’experts sur le Yémen, janvier 2017, S/2017/81

[5]https://aser-asso.org/wp-content/uploads/2018/12/M%C3%A9moire-en-d%C3%A9fense-du-23-novembre-2018.pdf

[6]https://aser-asso.org/wp-content/uploads/2018/07/Annexe-saisine-Tribunal-Administratif-ASER-07-mai-2018.pdf

[7]La PC de l’UE est pourtant plus faible que l’article 7 du TCA

[8]« Quelles frontières pour les armes » ; Benoît Muracciole ; 2016 Editions A. Pedone

[9] : https://aser-asso.org/transferts-darmes/justice/