Nous sommes en 2011 : Sans doute que les dirigeants occidentaux pensaient que les graves et systématiques violations des droits de la personne en Afghanistan et en Irak n’atteindraient jamais l’occident, ils ont donc décidé de rajouter de la guerre à la guerre. Selon une bonne logique des siècles passés, en oubliant Carl Clausewitz revu par René Girard[1], ils ont expédié la Lybie, bientôt le Mali[2] et tout cela au nom de la protection des populations civiles. Or dans tous les pays cités, ces interventions ont plongé les populations civiles de ces pays dans la violence des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des graves violations des droits de la personne.
Même politique, même effets en Syrie – que ce soit du côté du régime de Bachar al Assad et de ses alliés russes, iraniens et libanais (pour le Hezbollah) ou de celui des multiples groupes armés soutenus par une coalition internationale aussi hétéroclite qu’invraisemblable – l’action de ces différents camps n’a fait qu’empirer la situation des civils censés être protégés :
- L’estimation des Nations Unies était de plus de 191 000 morts en aout 2014[3], l’Observatoire des droits de l’Homme syrien évalue à plus de 250 000 morts depuis mars 2011 dont plus de 115 000 civils[4],
- 13,5 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire, 4,2 millions de personnes sont réfugiées et 6,5 millions de personnes sont déplacées de force[5]. Dans une logique inéluctable plus les forces en présence ont été armées, plus le nombre de civils touchés a augmenté[6],
Les armes transférées par la coalition construite autour des États Unis « arrosent » les différents groupes armés. La levée de l’embargo sur les armes de l’Union Européenne en 2013 en a été un des marqueurs important. Qu’ils appartiennent : à une des composante kurde[7], à l’armée syrienne libre, au front islamiste, à Al Nosrah (affilié d’Al Qaïda), aux takfiristes de Syrie et d’Irak, ils ont tous reçu directement ou indirectement des armes[8]. Les russes et les iraniens faisant de même en soutien au régime de Bachar al Assad.
Nous sommes donc dans une logique de « montée aux extrêmes » de la part des deux camps. Le flux ne se tari pas et aucun des pays fournisseurs de ces armes, n’est en mesure d’assurer que celles-ci ne sont pas utilisées à de graves violations des droits de la personne. Les USA ont dépensé 500 millions$ pour former une poignée de combattants qui sont passés chez les takfiristes de Syrie et d’Iran[9]… Comme pour l’Afghanistan[10], l’Irak, le Mali[11], où les mêmes phénomènes avaient été observés, les gouvernements ne semblent rien retirer de leurs échecs et leurs transferts d’armes continuent dans une stratégie impossible d’éradication[12]. Et le recrutement des combattants ne connaît pas de répit pour les takfiristes d’Irak et de Syrie…
Quelles stratégies pour sortir de la spirale de la violence ?
Il y a pourtant un chemin que nous indique l’histoire : il existe un espace hors de la logique « pré-talionique » de la vengeance, elle engage à rassembler les peuples dans une désescalade de la violence, pour impulser une sorte « d’anti-crise mimétique » de celle-ci.
Sur le terrain des affrontements guerriers, le traité sur le commerce des armes (TCA) pourrait permettre d’aller dans le sens d’une rémission de la violence par le tarissement, à défaut d’asphyxie, des moyens de combat des adversaires. Pour faire vivre un conflit, il faut des armes et de la finance.
Les armes :
Les combattants, de parts et d’autres, ont récupéré les tonnes d’armes transférées par les pays occidentaux, ainsi que l’Iran et la Russie, aux gouvernements et groupes armés de la région. Mais toute guerre nécessite des tonnes de munitions et de pièces détachées pour s’alimenter[13]. Sur la base des articles 6 et 7 du TCA, il y a suffisamment d’éléments pour stopper tous les transferts dans la région. Que ce soit sur les critères de prévention d’ »une grave violation des droits de l’Homme, du droit international humanitaire ou de paix et de sécurité ». Mais ce travail ne peut se faire que dans une large coalition menée par les pays de la région. Elle se devra d’inclure l’Iran, et nécessitera donc une mise à plat des enjeux sociaux économiques et stratégiques de cette même région.
La place des pays occidentaux et de la Russie dépendra de la demande de cette coalition, mais ils sont au moins dans le besoin d’aligner leurs relations stratégiques avec le droit international.
Le fonctionnement du Conseil de sécurité est inopérant avec ses membres permanents et leurs droits de véto. C’est l’Assemblée générale des Nations Unies qui doit aider à la mise en place d’un embargo économique ciblé pour lutter contre le système économique de rentrée de devises. Il pourrait s’organiser autour d’au moins 3 axes :
- Le trafic du pétrole représenterait plus de 650 millions $ pour 2015[14];
- Le trafic d’antiquités plus de 2 milliards $ de recettes[15];
- Le traçage en vue du blocage des flux financiers[16]
C’est donc un travail qui s’inscrit dans la cohérence et le temps. Les États membres des Nations Unies disposent d’arguments conséquents, aux rendements peu médiatiques certes, pour aller dans ce sens qui pourraient se révéler efficaces.
Benoît Muracciole
[1] René Girard « Achever Clausewitz » édition Carnetsnord, 2007.
[2] Où les affrontements continuent sans interruption ni répit depuis l’intervention armée française avec la récente prise d’otage à Bamako qui a fait au moins 22 morts.
[3] http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=14959&LangID=F
[4] Dont 12 517 enfants, 8 062 femmes, 37010 combattants arabes anti-régime, 52 077 soldats et officiers armée syrienne… : http://www.syriahr.com/en/2015/10/about-20-millions-and-half-killed-and-wounded-since-the-beginning-of-the-syrian-revolution/
[5] http://www.unocha.org/syria
[6] https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/05/13/accord-entre-la-russie-et-les-etats-unis-un-espoir-pour-les-syriens/
[7] Qui ne sont pas forcement alliés : le Parti de l’union démocratique, le Parti des travailleurs du Kurdistan, l’Unités de protection du peuple et le Front islamique kurde (qui est lui membre du Front Islamique : http://www.humanite.fr/en-syrie-sept-groupes-armes-constituent-un-front-islamique )
[8] http://www.nytimes.com/2015/10/13/world/middleeast/syria-russia-airstrikes.html?_r=0
[9] Les USA ont dépensé 500 millions$ pour former une poignée de combattants qui sont passés chez les takfiristes de Syrie et d’Iran… Comme pour l’Afghanistan, l’Irak, le Mali… http://www.nytimes.com/2015/10/10/world/middleeast/pentagon-program-islamic-state-syria.html?_r=0
[10] http://blogs.reuters.com/great-debate/2015/10/05/why-the-u-s-military-cant-succeed-in-training-foreign-armies/
[11] http://www.leblogfinance.com/2013/01/mali-quand-les-instructeurs-militaires-us-formaient-involontairement-les-futurs-rebelles-rappelle-le-nyt.html
[12] http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/sep/19/us-weapons-to-syria-repeats-historical-mistake
[13] Recommandations para 182 Commission des droits de l’Homme des Nations Unies : http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/IICISyria/Pages/IndependentInternationalCommission.aspx et http://www.theguardian.com/world/2015/oct/07/britain-urged-stop-providing-weapons-saudi-arabia
[14] https://www.middleeastmonitor.com/news/middle-east/21888-daesh-earns-50-million-per-month-from-oil-sales et http://www.presstv.ir/detail/2014/09/15/378801/eu-members-purchased-oil-from-isil/ et http://www.mediapart.fr/journal/international/260914/du-petrole-de-letat-islamique-achete-par-des-europeens-bruxelles-sous-pression , http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2015/11/19/29006-20151119ARTFIG00006-petrole-taxes-donations-trafics-d-humains-comment-daech-se-finance.php#xtor=AL-155-[Twitter]
[15] https://consortiumnews.com/2015/11/20/the-saudi-connection-to-terror/ et https://eca.state.gov/files/bureau/final_presentation_to_met_on_isil_antiquities_trafficking_for_das_keller_9.29.2015_.pdf
[16] http://www.syriahr.com/en/2015/11/australia-cracks-down-on-daesh-funding-38mil-in-suspected-support/