
Cette année 2021, c’est le 9e salon Milipol France que nous visitions et pour ce curieux anniversaire nous avons pu observer la concrétisation du changement des matériels présentés commencé il y a une dizaine d’année. Le nombre de stands consacrés aux matériels de sécurité utilisés principalement dans les tâches assujetties aux membres de la force publique – menottes, bâtons, grenades lacrymogènes[1], boucliers, véhicules… – dont les armes dites « intermédiaires » – est en voie de marginalisation au profit de matériels de surveillance. Quant à la part des exposants d’armes légères et de petits calibres présentées cette année, elle a subi, elle aussi, une diminution.
Pour ASER ce mouvement est dû à au moins trois facteurs :
- Un contexte lié à la pandémie qui a entrainé une importante réduction de la représentation des entreprises chinoises spécialisées dans ce type de matériels,
- Après de nombreuses alertes des ONG, dont Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER), le contrôle des matériels exposés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur semble avoir été renforcé et avoir limité l’inscription de sociétés évoluant dans les zones grises. Ce contrôle est lié à l’application du règlement (UE) 2019/125 « du parlement européen et du conseil concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »
- Une évolution dans la conception de la sécurité qui se conçoit par un développement conséquent dans les moyens de prévention des risques, les moyens d’observation et de surveillance.
Nous avons donc orienté nos observations vers les sociétés que nous avions préalablement repéré, soit parce qu’elles fournissaient du matériels de guerre aux pays de la coalition, dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pays responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans la guerre au Yémen, soit parce qu’elles avaient attiré notre attention, ainsi que celle de la justice, quant à une possible complicité dans les crimes de torture particulièrement en Libye en 2007 et en Égypte en 2014.
Pour ce qui est des premières nous sommes passés au stand de Thales (vente notamment du pod Damoclès qui désigne une cible à l’aide d’un faisceau laser) mais la personne avec laquelle nous avons échangé n’avait aucune connaissance de ces matériels de guerre, ni des conséquences de leurs usages sur la population yéménite. Ces compétences semblaient plus orientées vers les processus de surveillance. L’époque semble révolue où il y avait un interlocuteur éthique présent au sein de cette entreprise.
Deuxième visite au stand d’Arquus, qui vend notamment des véhicules blindés à la coalition en guerre au Yémen. ASER avait participé à une mobilisation en février 2019 dans le port de Cherbourg et avait déposé un référé pour bloquer un tel transfert. Durant cette visite, nous avons été accueillis par son directeur des affaires publiques et médias qui a malheureusement très vite perdu son sang-froid lorsque nous avons tenté de l’alerter sur le potentiel usage des blindés au Yémen, en violation du droit international, particulièrement le traité sur le commerce des armes (TCA).
Nous passerons sur les impolitesses de ce monsieur pour nous inquiéter des problèmes auxquels les dirigeants l’entreprise d’Arquus pourraient faire face :
- Poursuites judiciaires, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles,
- Des risques financiers, de moins en moins de banques acceptent de s’impliquer dans ce type de contrat,
- Perte d’image, fermeture de marchés civils, boycott…
- Un changement de gouvernement qui se mettrait à respecter les engagements internationaux de la France, dont le TCA
- Risques auprès des salariés·es du groupe si ces derniers avaient connaissance de l’usage des matériels qu’elles·ils fabriquent.
Nouvelles perspectives pour les ONG :
En plus du travail de suivi des entreprises de défense produisant du matériel de guerre classé dans la liste de l’Union européenne (UE), il y a une urgente nécessité de le faire sur celles qui travaillent sur la prévention des risques, l’observation et la surveillance comme ATOS dont l’activité est régie par le règlement sur les biens à double usage de l’UE. Même si cette dernière nous a été assuré que les liens avaient été coupés avec les sociétés Amesys et Nexa Technologies, il n’est pas impossible qu’à l’avenir de singulières circonstances mettent à jour l’existence de l’usage d’un nouveau logiciel intrusif de leur part.
Nous savons depuis Edward Snowden que ces matériels peuvent permettre des actions intrusives en violation graves des droits de l’Homme, comme ceux utilisés par le fameux logiciel Eagle vendu quelques années plus tôt aux régimes totalitaires, notamment en Libye (2007) ou en Égypte (2014).
Les responsables d’Amesys et Nexa Technologies sont aujourd’hui devant les tribunaux suite à deux plaintes de la FIDH et la LDH pour des faits de complicité de torture et disparitions forcées, mais combien sont-ils à passer entre les gouttes ?
Benoît Muracciole President ASER
Alain Staehlin administrateur ASER
[1] Présence d’Alsetex qui refuse depuis des années tout dialogue avec ASER.