
Véhicule Blindé Léger MK2 Panhard vraissemblablement utilisé par les troupes françaises au Mali. Photo Benoît Muracciole
Presque toutes les interventions militaires depuis la fin de la seconde guerre mondiale ont posé la question de l’efficacité de la puissance militaire face aux résistances nationales. La Corée, le Vietnam, l’Irak ont été des défaites pour les pays occidentaux engagés et encore plus pour les droits de l’Homme. Mais c’est sans doute avec l’Afghanistan que le paradigme puissance technologique + coalition militaire et contrôle d’un pays, voire même d’une partie du pays, s’effondre. Face à une des plus importantes coalition militaire mondiale, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en terme technologique et soldatesque[1], peu de gens doutent aujourd’hui de la victoire prochaine des Talibans et de leurs alliés[2]. La résistance de ces groupes armés afghans semble avoir marqué la fin de l’histoire de ces interventions.
L’intervention de l’Otan en Lybie appartient également à cette même famille. Depuis que les Etats de la région et les occidentaux ont abandonné ce pays, la Lybie continue de connaître des affrontements entre milices, et un niveau d’insécurité en matière de droits de l’Homme très élevé[3]. Ce pays a disparu des écrans des médias occidentaux et de ses icônes mondaines, pourtant il était à prévoir que les armes livrées avant la chute de Kadhafi continuent d’avoir un impact destructeur sur la région. En effet, les transferts d’armes de l’Union Européenne en direction de la Lybie s’élevaient à plus de 73 millions € pour les années 2006 à 2008[4], et à plus de 270 millions € pour 2009-2010[5]. Le matériel de guerre exporté allant des armes légères et de petits calibres avec leurs munitions – dont les missiles sol air – jusqu’aux avions à usage militaire ainsi que des matériels de mesures et de contre mesures[6]. La France signa même un accord de coopération dans le domaine de la défense et du partenariat industriel de défense avec Kadhafi en 2007[7].
L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, l’Espagne, La France, la Grande Bretagne, la Grèce, l’Italie, Malte, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Slovaquie ont exporté du matériel de guerre. C’est par une interprétation pour le moins souple du critère 2 de la Position Commune de l’Union Européenne des exportations d’armes que ces transferts ont été autorisés. Pourtant est inscrit dans son deuxième critère :
« le respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et le respect du droit humanitaire international par ce pays…»[8]
La Chine, les Etats Unis[9] et la Russie[10], ont également participé à la fête sans plus se poser de questions sur le devenir de ces armes.
Pourtant, dès 2007, nous avions alerté les autorités françaises sur les risques d’usage de ces transferts d’armes classiques[11] en matière de graves violations des droits de l’Homme. Nous avions écrit une lettre au Président Sarkozy et publié un communiqué de Presse faisant part de nos préoccupations[12]. Nous n’avions alors pas imaginé le renversement du « guide de la révolution », mais plutôt un risque manifeste que ces armes puissent être re-transférées en direction de groupes armés peu respectueux des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Nous n’étions malheureusement pas loin de la réalité puisque se sont ces mêmes armes qui se retrouvent sans contrôle entre les mains de trafiquants ou/et de djihadistes radicaux.
Nous ne connaissons pas la quantité et la qualité des armes livrées depuis le début de la révolution aux libyens qui ont renversé le régime de Kadhafi. Il serait cependant intéressant de savoir si ces armes ont été dument répertoriées avant leur livraison, afin de voir si là encore, elles ont été utilisées ou ont facilité de graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire[13].
Ce sont donc ces éléments connus, et que nous avions déjà évoqués ici, qui auraient du alerter les pays exportateurs, les rassembler dans une récupération effective des armes livrées. C’est en cela que le traité sur le commerce des armes peut apporter une lecture plus responsable des « risques prédominants» de l’usage de ces armes dans la délivrance des autorisations d’exportation. Car si la cause du conflit malien revêt de multiples facteurs, l’armement de ces groupes armés[14] a permis leur entrée en action et une efficacité militaire autrement impossible.
L’intervention militaire au Mali :
Après la prise de nombreuses villes du nord du pays par des groupes djihadistes radicaux[15] – et profitant du premier coup d’Etat du Capitaine Sanogo à Bamako[16] – la situation de cette région du Mali est passée de l’oubli à la lumière :
– De l’oubli, car malgré les promesses répétées de la capitale Bamako, cette zone du pays a été laissée aux trafiques en tous genres. Quelques officiers de l’armée malienne en ont profité au détriment d’une population plongée dans la misère.
– A la lumière, une lumière crue sur ces groupes armés, pas proprement inspirés par la déclaration universelle des droits de l’Homme[17]. Puis sur la misère de la population – notamment songhaïs, touaregs et arabes – qui luttaient pour faire face à l’absence d’un quelconque développement économique et social de cette partie nord du pays.
Mais la situation est bien loin d’être aussi simple car ce pays connaît depuis quelques années un immobilisme politique important. Avec une jeunesse qui est pratiquement interdite de prise de responsabilités, et un pouvoir vieillissant et attaché au statut quo décrit plus haut, le terrain était aussi fertile à toute pression de l’intérieur : Deux coups d’Etat en quelques mois.
C’est donc dans cet « état » du Mali que les forces armées françaises ont repoussé les groupes djihadistes radicaux hors des principales villes du nord. L’occasion était belle de chasser les méchants groupes djihadistes radicaux bien armés[18] aux motivations pour le moins diverses – pour protéger les bons, la population malienne.
Et comme dans les premiers jours des interventions militaires extérieures l’action est pour le moment efficace, tant sur le plan militaire que médiatique[19], les opinions publiques dans leurs majorités suivent. Les exécutions extrajudiciaires de l’armée malienne n’ont pas encore entamé ce crédit[20], ni l’arrivée de l’armée tchadienne, dont on ne peut pas dire qu’elle soit un exemple de respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire[21].
Face au soulagement d’une partie de l’opinion publique française et de la population malienne, il reste un certain nombre de questions à poser :
Quelle est la légitimité de l’intervention de la France sur le plan du droit international ?
Quel est la légitimité du pouvoir malien aujourd’hui ?
Quel signe politique est donné aux citoyens maliens sur la capacité de leurs autorités à défendre les droits de l’Homme ?
Quels sont les intérêts que la France est venue défendre[22] ?
Que restera-t-il de cette intervention quand les militaires français vont repartir du pays ?
Quelles seront les avancées en terme de droits de l’Homme – dont les droits économiques, sociaux et culturels – pour les citoyens maliens et les citoyens de la sous région ?
Benoît Muracciole
[1] On a compté au plus fort de l’opération de l’Otan environ 140 000 militaires et 185 000 soldats de l’Armée Nationale Afghane.
[2] Il est bien difficile de trouver des études sur les forces en présence, il y aurait à une coalition d’environ 20 000 Talibans plus des forces alliées opportunistes comme celles du Hezb-e islami de Gulbuddin Hekmatyar
[4] Les chiffres des livraisons d’armes sont difficiles à trouver car peu de pays sont techniquement capables de les produire. Dans les champions il y a la Grande Bretagne qui ignore précisément les armes classiques livrées et ne déclare donc que les commandes. Celles si ne sont pourtant pas systématiquement livrée dans la même année. A part pour la France, qui s’approche le plus du réel des livraisons, le rapport européen donne des chiffres qui sont donc sujet à caution, il s’agit donc de sommes minimum : 738 771€ en 2006, 17 623 958€ en 2007 et 54 983 432 € en 2008 voir :
[5] 173 947 508€ en 2009 et 100 871 872€ en 2010. En 2011 seule la France à déclaré pour 87 307 350 € de livraison d’armes, mais celles ci ont été en partie bloquées dès février 2011, on ne sait pas ce qu’est devenu le reliquat.
[11] J’étais alors responsable de la campagne « Contrôlez les armes » à Amnesty International France,
[12] 12 décembre 2007 SF07M115 27° bulletin de la commission armes du 29 décembre 2007
[13] En juin 2011, ASER, Omega et PRIO ont écrit au ministère des affaires étrangères sur les types d’armes livrées ainsi que de leur immatriculation et nous n’avons toujours pas reçu, à ce jour, de réponse.
[15] Le mouvement national de la libération de l’Azawad (MNLA) n’est pas d’obédience djihadiste radicale et a été très vite marginalisé puis expulsé de cette coalition hétéroclite. Nous n’utiliserons pas le terme « islamiste » qui regroupe tout et n’importe quoi et qui apparaît comme une fois encore jeter l’opprobre sur les croyants de la religion musulmane. Il est surprenant de voir Amnesty International et Human Right Watch faire aussi ce type de confusion.
[18] Ansar Dine, le mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique (Mujao), Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)…
[22] Dont au moins les mines d’Uranium du Niger exploité par Areva…