Après la résolution 1973 du Conseil de Sécurité le 17 mars 2011, les frappes aériennes ont donc été autorisées pour interdire le ciel de Libye aux forces fidèles à Mouammar Kadhafi et ce, afin notamment de protéger les populations. L’urgence de la protection des populations, qui est réelle, semble plutôt être un bel argument pour justifier l’absence de réaction de notre gouvernement aux graves violations des droits humains en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Depuis le début du printemps Arabe, qui a vu naître les mouvements populaires de Tunisie, d’Égypte, du Bahreïn, du Koweït, du Yémen de Syrie… ce même gouvernement n’avait pas jugé bon de parler d’une quelconque intervention pour protéger les populations.
Une fois de plus donc, des avions militaires français ont bombardé des positions tenues par un gouvernement étranger sans qu’il y ait eu un débat, ni même un vote, au sein de l’Assemblée Nationale. Dommage car le débat démocratique est parfois l’occasion d’apprendre un peu plus de nos erreurs passées et permet de se préserver de toute diplomatie mondaine[1]. Mis à part le ridicule de cette diplomatie, celle ci se paye largement en vies humaines, dans un temps moins immédiat, lorsque les caméras sont reparties vers de nouvelles urgences[2]. Ce débat aurait pu être l’occasion de retrouver les questions qui avaient surgi par exemple en 1991 lors de la guerre d’Irak :
« Quels sont les pays qui ont transféré cet arsenal au gouvernement de Mouammar Kadhafi et quand ? »
Pour la France la réponse se trouve en partie dans les rapports au Parlement sur ses exportations d’armes. S’il n’y avait pas eu, du moins à notre connaissance, d’exportations d’armes en direction de la Libye entre 1994 et 2006, l’année 2007 annonce une reprise de celles ci. Le rapport de 2007 annonce des exportations de quelques 15,5 millions d’euros[3] qui se répartissent entre des équipements pour avions et du matériel de mesure / contre mesures militaires[4]. Ce qui signifie, par exemple, que les mirages français achetés dans les années 1970 par la Libye, et qui étaient hors d’état de nuire faute d’entretien et de pièces de rechanges, ont pu être remis en état de marche et être ainsi utilisés contre la population.
Mais qui au sein de la CIEEMG[5] a pu prendre cette décision ?
Alors que les critères du code de conduite (CdC) de l’Union Européenne[6] alertaient chaque pays sur le risque d’usage des armes, une décision politique a été prise en complète contradiction.
Qui a accordé ces autorisations d’exportations[7] de matériels de guerre qui sont aujourd’hui utilisés contre les populations ?
Qu’en est il de la responsabilité du politique qui a pris cette décision ?
Les arguments d’urgence cachent mal l’absence de vision politique du gouvernement français sur le devenir des populations. Mais aussi une absence de stratégie internationale à moyen terme sur le futur de la Libye, qui se révèle par une décision de « bombardements ciblés » afin d’obtenir ou ne pas obtenir le départ de Kadhafi.
S’il y avait au moins une fois dans l’histoire l’exemple d’une intervention militaire extérieure qui ait apporté la liberté et le respect des droits humains aux populations d’un pays, cela se saurait. Mais cette même histoire montre que les États préfèrent trop souvent mettre de côté le respect des droits humains dans leurs décisions d’exporter les armes.
C’est en cela que le traité international sur le commerce des armes (TCA) est une occasion pour la France de retrouver une légitimité aux yeux des populations du monde. Car le futur TCA ne s’inscrit pas dans une logique punitive mais dans une dynamique préventive. Il posera aussi la question de la responsabilité des États dans l’évaluation des risques d’usages de ces armes, dans la délivrance au cas par cas, des autorisations d’exportations.
Benoît Muracciole
Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER)
[1] Comme la déclaration de la reconnaissance du «gouvernement provisoire de la Libye libre» par un représentant du nouveau concept de «philosophe tacticien militaire ».
[2] De la Côte d’Ivoire à la République Démocratique du Congo, en passant par le Sri Lanka, Ghaza, la Somalie ou la Colombie ou les graves violations des droits de la personne, voire des crimes contre l’humanité, continuent dans l’indifférence des médias… et des mondains.
[3] Voir le rapport au parlement sur les exportations d’armes de la France de 2008
[4] Voir le rapport au parlement sur les exportations d’armes de la France de 2008 : ML9 : 32 250€ ML10 : 16 025 667€ ML11 : 594 000€ ML15 : 1 011 000 € pour un total = 17 662 917 €
[5] Commission inter ministérielle d’étude des exportations de matériel de guerre qui dépend du Premier Ministre.
[6] Ils sont au nombre de 8 dont le premier qui concerne le respect des droits de l’homme dans le pays récipiendaire. Depuis décembre 2008 le CdC est devenu une Position Commune de l’Union Européenne, donc un instrument juridiquement contraignant.
[7] Les livraisons d’armes sont : de 15,7 M€ en 2007 / de 12,3 M€ en 2008 / de 44,3 M€ en 2009 dont 60 fusils, 50 pistolets mitrailleurs…