50ème ratification du traité sur le commerce des armes classiques (TCA), qui entrera en vigueur dans 90 jours

24 09 2014

ASER_BD

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

Ce jeudi 24 septembre 2014 à New-York (USA), 7 nouveaux pays[1] déposeront les outils de ratification du premier traité international sur le commerce des armes (TCA) de l’histoire.  Au terme de ce dépôt, le chiffre officiel sera atteint permettant en conséquence l’entrée en vigueur effective du TCA le 23 décembre prochain.

 

ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines), qui a contribué à ce travail en relation avec de nombreux gouvernements, salue ces nouvelles ratifications et la portée universelle du droit international présent au cœur des critères du TCA, comme meilleur garant de la protection des droits de l’Homme.

C’est un évènement extraordinaire pour les millions de femmes, d’enfants et d’hommes qui subissent au quotidien les violences directes et indirectes perpétrées à l’aide des armes. ASER attend des gouvernements désormais engagés qu’ils mettent en œuvre rigoureusement les articles 6 et 7 du TCA et cessent donc tout transfert irresponsable d’armes classiques. Ceci est essentiel notamment en Centrafrique, au Mali et en Lybie, en Irak et en Syrie, en Israël et en Palestine, au Soudan du Sud, en Ukraine, tout comme au Guatemala, au Honduras et au Brésil, tous pays où de graves violations des droits de l’Homme, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont perpétrés contre les populations.

Adopté par l’ONU le 2 avril 2013 après sept années de discussions et négociations entre les états membres, le TCA constitue l’acte juridique international le plus important de ce début de XXI° siècle. Ce texte définit les nouvelles normes internationales relatives au contrôle des transferts d’armes classiques. Les pays qui l’ont ratifié s’engagent à transposer le TCA dans leur ordre juridique interne et à appliquer, notamment, le principe de l’évaluation du risque d’usage des armes dont ils autoriseraient l’exportation.

Mais ce traité engage également les États qui transfèrent des armes à ceux qui soutiennent des gouvernements ou des groupes armés coupables de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, comme en Ukraine, à Gaza et en Syrie par exemple.

 

 

Membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères, ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines) lutte pour le respect des droits de l’homme dans les transferts d’armes et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces de police. ASER est accrédité ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies.

[1] Argentine, Bahamas, Portugal, République Tchèque, Saint Lucie, Sénégal et Uruguay.

 

 

Contacts : http://aser-asso.org/index.php

Pour demandes d’interview ou participation à une émission sur la question des armes : Stéphane Muracciole : +336 99 75 41 80





Les exportations d’armes de la France respectent- t-elles ses obligations internationales ?

17 09 2014
Eurosatory 2014. Photo Benoît Muracciole

Eurosatory 2014. Photo Benoît Muracciole

 

La France fut un des brillants « ingénieurs » du traité sur le commerce des armes (TCA) adopté en avril 2013 notamment sur la question de la transparence, pourtant notre pays semble transi par ce simple exercice sur ses propres exportations d’armes classiques. En effet, malgré un chapitre sur la transparence[1], le rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France sorti début septembre 2014, ne donne qu’une indication vague des armes exportées. Il prend pour cela appui sur la liste de l’Union Européenne qui est composée de 21 classifications très larges. On y retrouve par exemple pour la première catégorie (ML1) :

Armes à canon lisse d’un calibre inférieur à 20 mm, autres armes et armes automatiques d’un calibre inférieur ou égal à 12,7 mm (calibre 0,50 pouce) et accessoires, comme suit, et leurs composants spécialement conçus :

  1. fusils, carabines, revolvers, pistolets, pistolets mitrailleurs et mitrailleuses[2].

 

Pourtant, une description plus distinctive est techniquement possible, puisque la France le fait quand elle déclare les matériels exportés au registre des armes classiques établi par l’organisation des Nations unies[3]. Dans les rapports mis en ligne par le Secrétaire Général de l’ONU, il est en effet possible de connaître non seulement la catégorie du matériel exporté, mais aussi les quantités et leur description avec le nom du matériel. Par exemple pour 2012, la France déclare avoir exporté au Mexique un véhicule de combat VBL Mk2, un véhicule de combat VBL Gavial pour l’Allemagne ect…[4]

Quant à la consultation de la société civile citée, elle a été quasi-inexistante avec le ministère de la défense depuis la ratification par la France du TCA en décembre 2013.

 

A cela s’ajoutent quelques carences notables quant aux informations liées aux matériels livrés. Alors que le Président François Hollande avait annoncé une réforme du contrôle des exportations d’armes classiques de la France qui laissait espérer une plus grande cohérence dans son exercice, les exportations de matériels de sécurité et de police sont tout simplement absents du rapport.

 

Il n’y a pas non plus une information sur les exportations de biens à doubles usages[5] « c’est-à-dire les éléments, composants ou systèmes pouvant être utilisés pour un usage civil ou militaire », ni sur les autorisations d’exportation de poudres et substances explosives (AEPE) qui concernent notamment les matériels de sécurité et de police (comme ce fut le cas des gaz lacrymogènes MP7 en direction de la Tunisie en 2011. Ils avaient été bloqués par les douanes pour une raison administrative[6]). C’est la même chose pour le Règlement du Conseil de L’Union Européenne concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[7]. Ces matériels peuvent pourtant avoir un impact important sur le respect du droit international relatif aux droits de l’Homme comme nous continuons de le voir, notamment dans les révolutions arabes.

Enfin, bien que la France était jusqu’ici un des rares État capable de donner des informations sur les matériels livrés, un net recul est opéré par rapport aux années précédentes puisque cette information a disparu du rapport (à l’exception des armes légères dans l’annexe 10) et ne se retrouve que dans un récapitulatif très général. Nous n’avons plus non plus le nombre et le montant des autorisations d’exportation de matériels de guerre (AEMG) pour la seule année 2013. Seule nouveauté : l’annexe 9 « Les Autorisations de transit de matériel de guerre (ATMG) ». Mais là encore les chiffres sont indicatifs[8].
Pourquoi la transparence est-elle si importante ?

La transparence est un dispositif essentiel car il permet aux élus, ainsi qu’aux membres de la société civile, de connaître les types de matériels exportés ainsi que les pays destinataires. La transparence est également un outil d’échange entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, élément de base d’une démocratie, afin de vérifier si notre pays respecte bien ses obligations au regard du droit international auquel la France est Partie.

Prenons l’exemple des exportations d’armes classiques de la France à Israël. Le rapport nous dit qu’en 2009 il a été exporté pour plus de 26 millions d’euros, (35,2 en 2010, 20,5, 11 et plus de 14 millions d’euros en 2013[9]). Hors depuis 2006 les interventions de l’armée israéliennes ont été entachées de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité et de graves violations du droit international relatif aux droits de l’Homme[10]. Même si le montant des transferts a diminué depuis 2009 – sauf avec une légère augmentation en 2013 – il n’est pas possible de savoir de quelles armes il s’agit et si ces armes ont été ou non utilisées par l’armée israélienne. En ce qui concerne la dernière guerre de juillet 2014 et les attaques de l’armée israélienne, de nombreux observateurs s’interrogent sur les possibles crimes de guerre, crimes contre l’humanité et graves violations des droits de la personne contre la population civile à Gaza[11].

 

Ces questions se posent également pour des destinations tout aussi problématiques comme notamment : l’Algérie, l’Angola, Bahreïn, la Gambie et l’Egypte en matière d’usage disproportionné de la force et des armes à feu par les représentants de l’ordre; sur le Tchad dans le cadre de ses interventions militaires au Mali et son soutien à la Seleka en Centrafrique et ur l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar et la Turquie dont nous savons qu’ils ont soutenu :

  • soit les fondamentalistes au Mali et dans la bande sahélienne
  • soit les fameux fondamentalistes de l’EI en Syrie et Irak .

 

 

Les obligations de la France en terme d’exportation d’armes classiques 

Avec la ratification du traité sur le commerce des armes, la France se devrait d’en respecter les critères, même s’il n’a pas encore rassemblé les 50 ratifications qui vont permettre son entrée en vigueur le 90ème jours suivant[12]. De ce point de vue aussi le rapport présente une erreur : se référant aux critères d’évaluation du risque du TCA, il est fait référence aux « graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme[13] ». Pourtant les paragraphes i) et ii) de l’article 7 du TCA[14] en font mention au singulier. Cela change considérablement la rigueur dans l’évaluation avant la délivrance d’une autorisation d’exportation puisque le risque d’une seule grave violation du droit international humanitaire ou du droit international relatif aux droits de l’Homme est suffisante pour la refuser.

 

Enfin il n’est rien dit non plus du projet de loi sur l’intermédiation en armes que les ONG attendent au moins depuis 2001, ou encore  de la Position Commune de l’Union Européenne en 2005.

 

Voilà, c’est avec une sensation d’omissions volontaires persistantes et de petites imprécisions que nous recevons ce rapport 2014. Ces approximations dans la vision et le rôle des exportations d’armes dans les relations internationales et stratégiques semblent avoir également touché le Président François Hollande sur le dossier irakien. En effet dans un entretien au Monde[15] le Président français a « omis » de faire mention de l’obligation du gouvernement de faire une évaluation du risque d’usage des armes par les Kurdes irakiens, dans la décision de leur en livrer, conformément aux critères de la Position Commune de l’UE et du TCA.

 

Espérons que le ministre de la Défense et les Parlementaires reprennent la main afin de renouer avec une dynamique plus vertueuse dans ce difficile exercice de la transparence en matière d’exportation d’armes classiques. La France en a bien besoin, notre monde aussi.

Benoît Muracciole

[1] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014 ; page 26 « 1.3. Dans le domaine des exportations d’armement, la France applique la plus grande transparence à l’égard de la communauté internationale et de la société civile ».

[2] Journal officiel de l’Union européenne ; page 8 : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2014:018:FULL&from=EN

[3] United Nations Register of Conventional Arms ; Report of the Secretary-General 2012 : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212 . Ce qui ne fut pas le cas pour 2013. La France qui reste selon les années le 4° ou 5° exportateur mondial d’armes classiques, a faillit dans cet exercice de base onusien ce qui fait peu sérieux. D’après les rapports du Secretary-General pour 2013 la France n’avait pas fait de déclaration ; United Nations Register of Conventional Arms : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/68/138/Add.1 ; http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/68/138 ; http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212/Add.2

[4] United Nations Register of Conventional Arms ; Report of the Secretary-General 2012 page 12 : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212 .

[5] Règlement communautaire n°428/2009 du 5 mai 2009 : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:134:0001:0269:fr:PDF  modifié qui intègre notamment les dispositions de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies relative au renforcement de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de la lutte contre le terrorisme : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1540(2004)

[6] https://armerdesarmer.wordpress.com/?s=tunisie

[7] Règlement d’exécution (UE) no 775/2014 de la Commission du 16 juillet 2014 modifiant le règlement (CE) no 1236/2005 : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L:2014:210:TOC

[8] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; annexe 9 page 78.

[9] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; annexe 8 ; page 76.

[10] Amnesty International : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCMQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.amnesty.org%2Ffr%2Flibrary%2Finfo%2FMDE02%2F033%2F2006%2Ffr&ei=lZAZVObzN8mp7AbnlYGICg&usg=AFQjCNFpARmdzvooBVMMd_auqAigos-Dzg&sig2=mX3JvJ7J5hLA0KqhTv_Taw&bvm=bv.75558745,d.ZGU et http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE15/012/2009

[11] Amnesty International : http://www.amnesty.org/en/news/stop-us-shipment-fuel-israels-armed-forces-evidence-gaza-war-crimes-mounts-2014-08-04 et Human Right Watch : http://www.hrw.org/news/2014/09/11/israel-depth-look-gaza-school-attacks et le rapport Goldstone : http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/12session/A-HRC-12-48_ADVANCE1_fr.pdf

[12] Nous en sommes à 118 signatures et 45 ratifications. Les 5 prochaines ratifications sont annoncées dans les deux mois qui suivent : http://www.un.org/disarmament/ATT/

[13] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; page 28

[14] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/texte-final-tca-2-avril-13-1.pdf

[15] Le Président fait référence à « un matériel conforme aux engagements européens » : http://www.elysee.fr/interviews/article/interview-de-francois-hollande-accordee-au-monde/





La partition, une solution pour le respect des droits de l’Homme des Soudanais du Sud ?

6 09 2014

197384_South_Sudan_conflict_-_small_arms_proliferation_0

 

Depuis décembre 2013 l’affrontement entre les troupes du président Salva Kier et celles du vice-président Riek Machar, ont repris dramatiquement. Sur le terrain les crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont malheureusement légion. Déjà en mars 2014, Amnesty International dans son rapport « Nowhere Safe Civilians under attack in South Sudan[1] » dénonçait ces crimes exécutés par les deux parties en guerre. Se sont des milliers de civils massacrés, l’usage d’enfants soldats et des viols « qui ont été une constante caractéristique de ce terrible conflit »  selon la mission des Nations unies au Soudan du Sud.

En cela la violence contre les civils Dinka, Nuer ou Shilluk n’a rien a envier à celle commise par les fondamentalistes de l’État Islamique qui sévit en Irak et en Syrie.

 

Un Nuer témoigne des meurtres de soldats Dinkas et de sa vie sauvée par un autre soldat Dinka :

« Dans l’après-midi du 16 Décembre 2013, j’étais à la maison, dans le quartier de Miami Saba, avec ma famille. Ma femme et nos cinq enfants étaient dans notre maison et j’étais assis à l’extérieur sous un arbre avec des parents hommes. Nous avons entendu des tirs à proximité et j’ai couru à la maison d’un voisin. C’est un soldat et un bon ami Dinka. Je suis resté caché dans sa maison et nous avons vu deux camions, des pick-up Toyota, pleins de soldats. Nous les avons entendus tirer dans ma maison … [Après le départ des soldats] nous avons trouvé 7 de mes parents morts, abattus par les soldats. L’un d’eux … avait reçu une balle dans le dos du cou, alors qu’il se rendait à la maison. Les six autres ont tous été tués près de l’arbre où on les avait  assis… tous ont été touchés à la tête et dans le haut du corps. Nous avons trouvé ma femme terrifiée et mes enfants blottis dans la maison. Les soldats étaient partis, ils avaient pris l’argent, plusieurs téléphones, un ordinateur et le téléviseur. Mon voisin nous a emmenés chez lui pour la nuit. Le jour suivant, il nous a conduit, ma femme et mes enfants à la base de la MINUSS; il nous a sauvé la vie. Il savait que ses collègues étaient venus pour « tuer du Nuer » et il ne pouvait pas les arrêter, en nous cachant dans sa maison il nous a sauvé. Ce jour là, des soldats allaient de maisons en maisons à la recherche de la Nuer »[2]

 

Pour certains Dinkas c’est la même peur qui règne. L’un d’eux raconte qu’il était hospitalisé à l’hôpital Bor de Malakal[3] lorsque le  19 Février 2014 :

« plusieurs groupes de rebelles Nuer vinrent à l’hôpital, ils portaient un mélange d’uniformes et de vêtements civils. J’étais dans la salle de la tuberculose avec quatre autres personnes. Les rebelles ont abattu les quatre personnes dans les lits à côté du mien, y compris Aban, un homme de 65 ans qui était très vieux et malade. J’ai gardé les yeux fermés et je n’ai pas bougé pendant qu’ils tiraient… J’ai vu plus tard  que les quatre autres personnes étaient mortes. Peut-être qu’ils ne m’ont pas tué parce que je ne ressemble pas à un Dinka ou Shilluk, je ne sais pas. Avant de tirer sur les autres, ils ont pris tout mon argent. Il y avait un 550 livres soudanaises du Sud [138 USD], tout l’argent que j’avais. Plus de personnes ont été tuées dans différentes parties de l’hôpital et la cour et beaucoup de gens se sont enfuis à la base des Nations unies. »[4]

 

Une Afrique qui ne sort pas de l’appartenance ethnique ?

Trop souvent encore les analystes occidentaux invoquent des logiques ethniques dans les guerres africaines. Ici ce seraient les Dinkas du président Salva Kier contre les Nuers de son rival Riek Machar, comme s’il fallait toujours réduire les conflits africains à l’appartenance ethnique du chef de guerre. Pourtant les sources des affrontements armés sont profondément ancrées dans notre temps, à savoir le contrôle des ressources naturelles ; en l’occurrence les nombreux champs de pétrole. Aujourd’hui malheureusement ces violations graves et systématiques des droits de l’Homme ont conduit à un repli identitaire et ciblent maintenant les groupes ethniques. Replis identitaires que nous connaissons bien en Europe, les récentes guerres de l’ex Yougoslavie, ainsi qu’aujourd’hui en Ukraine, sont là pour nous le rappeler[5].

Il faut également avoir en mémoire l’autisme des pays membres des Nations unies lorsque  Amnesty International dénonçait dès 2010 les transferts d’armes classiques au gouvernement du Soudan du Sud qui risquaient de déstabiliser la région. En effet, entre 2007 et 2008, avant même la déclaration d’indépendance, des tonnes d’armes avaient été livrées avec de faux certificats d’utilisations finales en direction du Kenya[6] ; comble de l’ironie ou du cynisme, ce pays était un des co-auteurs du traité sur le commerce des armes en discussion aux Nations unies. Le secrétariat international d’Amnesty avait alors reçu des documents qui décrivaient assez précisément les armes réceptionnées à Juba :

Des chars T72 M1 et T72 M1K, des munitions de 125 mm, des lances rockets multiples BM21, au moins 21 canons anti-aériens ZU 23-2 / ZPU-4 ; des lance rockets RPG 7 et entre 10 000 et 40 000 fusils d’assauts AKM qui venaient d’Ukraine[7].

Les États Unis aussi, notamment sous la pression des fondamentalistes chrétiens, s’étaient largement engagés dans le soutien  au  Sudan People’s Liberation Army  (SPLA). Les militaires étasuniens avaient formé l’armée du SPLA, pour plus de 100 millions de $ en 2011 et les avaient également équipés en armes. Or il est fort probable que des militaires formés par les États Unis puissent être impliqués dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité dénoncés dans le rapport. Quant aux armes livrées, pour certaines d’entre elles, elles ont été utilisées en 2012, notamment les chars T72 dans des affrontements entre ces mêmes factions[8].

 

L’histoire se répète encore ces derniers mois puisque malgré ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Chine vient de livrer des armes aux deux parties engagées dans le conflit. Selon l’information du département armes d’Amnesty International il s’agit de plus de 1000 tonnes d’armes – dont des lances roquettes, des milliers de fusils d’assauts et de lanceurs de grenades, 20,000 grenades, des centaines d’armes de poing et de mitrailleuses et plusieurs millions de munitions[9] – transportéeq par un navire basé à Hong Kong le « Feng Huang Song ». Il aurait quitté les ports de Dalian le 8 mai puis celui de Zhanjiang le 15 mai 2014[10] pour décharger sa cargaison d’armes le 7 juin à Mombassa au Kenya avant leur transport vers les utilisateurs finaux.

Cette livraison devrait alerter les pays africains pour obtenir de la Chine la suspension immédiate de toute livraison d’armes vers ce pays. C’est ce qu’ont  fait les États Unis depuis décembre 2013 ainsi que l’Union Européenne qui a élargi l’embargo sur le Soudan au Soudan du Sud depuis 2011. Prudente lors des négociations du traité sur le commerce des armes (TCA), les délégués chinois avaient même laissé entrevoir une signature du TCA adopté en avril 2012, leur pratique actuelle est un véritable défi lancé aux peuples africains.

Mais l’arrêt immédiat des livraisons d’armes au Soudan du Sud n’est pas une mesure suffisante car comme en Irak, ce pays est « inondé d’armes » ; pourtant aucune d’entre elles n’ont été fabriquées au Soudan du Sud. Il s’agirait donc pour la communauté internationale et principalement pour les pays qui ont exporté ces armes de prendre leurs responsabilités. Il n’est pas interdit de rêver, le Conseil de Sécurité de l’ONU pourrait appeler à la création d’une large coalition afin de faire respecter un embargo strict sur la région et de proposer une résolution de ce conflit avec un programme de désarmement, démobilisation et de réintégration (DDR) – ainsi que d’identification et de traçage des armes – qui s’inscrive dans le temps avec de véritables moyens de mise en œuvre. Ce serait un acte  clair et identifiable comme une réponse aux pays sceptiques et opposants au TCA qui dénonçaient le risque d’instrumentalisation du droit international.

Une coalition internationale pour « étouffer » un conflit au lieu de le raviver en armant un camp contre un autre voilà une rupture dans la protection des droits de l’Homme qui serait enfin novatrice.

 

Benoît Muracciole

[1] http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR65/003/2014/en/3f5822f7-8594-4a64-a6c8-3ece02be1eca/afr650032014en.pdf

[2] Ibid page 19.

[3] Au nord du Soudan du sud

[4] Page 25 : http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR65/003/2014/en/3f5822f7-8594-4a64-a6c8-3ece02be1eca/afr650032014en.pdf

[5] La désignation des Roms comme un peuple de voleurs ou de profiteurs « qui n’ont pas vocation à s’intégrer » montre bien que ce « lointain » et archaïque réflexe identitaire est aussi utilisé par les politiques européens jusque dans le pays des droits de l’Homme.

[6] http://www.amnesty.org/en/for-media/press-releases/arms-trade-fuels-violations-sudan-conflict-2011-07-08

[7] Il n’est pas établi à ce jour si le gouvernement ukrainien de l’époque savait que la véritable destination de ces armes était le gouvernement du Soudan du Sud.

[8] http://www.amnesty.org/en/news/south-sudan-arms-supplies-fuelling-violations-forgotten-conflict-2012-06-27 et http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR65/002/2012/en/67d8e84c-e990-42de-9a99-1486aab18b1d/afr650022012en.pdf

[9] Contrat signé avec la firme chinoise NORINCO pour plus de 38 millions $.

[10] UN: South Sudan arms embargo crucial after massive Chinese weapons transfer 17 juillet 2014 : http://www.amnesty.org/en/news/un-south-sudan-arms-embargo-crucial-after-massive-chinese-weapons-transfer-2014-07-17