La France fut un des brillants « ingénieurs » du traité sur le commerce des armes (TCA) adopté en avril 2013 notamment sur la question de la transparence, pourtant notre pays semble transi par ce simple exercice sur ses propres exportations d’armes classiques. En effet, malgré un chapitre sur la transparence[1], le rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France sorti début septembre 2014, ne donne qu’une indication vague des armes exportées. Il prend pour cela appui sur la liste de l’Union Européenne qui est composée de 21 classifications très larges. On y retrouve par exemple pour la première catégorie (ML1) :
Armes à canon lisse d’un calibre inférieur à 20 mm, autres armes et armes automatiques d’un calibre inférieur ou égal à 12,7 mm (calibre 0,50 pouce) et accessoires, comme suit, et leurs composants spécialement conçus :
- fusils, carabines, revolvers, pistolets, pistolets mitrailleurs et mitrailleuses[2].
Pourtant, une description plus distinctive est techniquement possible, puisque la France le fait quand elle déclare les matériels exportés au registre des armes classiques établi par l’organisation des Nations unies[3]. Dans les rapports mis en ligne par le Secrétaire Général de l’ONU, il est en effet possible de connaître non seulement la catégorie du matériel exporté, mais aussi les quantités et leur description avec le nom du matériel. Par exemple pour 2012, la France déclare avoir exporté au Mexique un véhicule de combat VBL Mk2, un véhicule de combat VBL Gavial pour l’Allemagne ect…[4]
Quant à la consultation de la société civile citée, elle a été quasi-inexistante avec le ministère de la défense depuis la ratification par la France du TCA en décembre 2013.
A cela s’ajoutent quelques carences notables quant aux informations liées aux matériels livrés. Alors que le Président François Hollande avait annoncé une réforme du contrôle des exportations d’armes classiques de la France qui laissait espérer une plus grande cohérence dans son exercice, les exportations de matériels de sécurité et de police sont tout simplement absents du rapport.
Il n’y a pas non plus une information sur les exportations de biens à doubles usages[5] « c’est-à-dire les éléments, composants ou systèmes pouvant être utilisés pour un usage civil ou militaire », ni sur les autorisations d’exportation de poudres et substances explosives (AEPE) qui concernent notamment les matériels de sécurité et de police (comme ce fut le cas des gaz lacrymogènes MP7 en direction de la Tunisie en 2011. Ils avaient été bloqués par les douanes pour une raison administrative[6]). C’est la même chose pour le Règlement du Conseil de L’Union Européenne concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[7]. Ces matériels peuvent pourtant avoir un impact important sur le respect du droit international relatif aux droits de l’Homme comme nous continuons de le voir, notamment dans les révolutions arabes.
Enfin, bien que la France était jusqu’ici un des rares État capable de donner des informations sur les matériels livrés, un net recul est opéré par rapport aux années précédentes puisque cette information a disparu du rapport (à l’exception des armes légères dans l’annexe 10) et ne se retrouve que dans un récapitulatif très général. Nous n’avons plus non plus le nombre et le montant des autorisations d’exportation de matériels de guerre (AEMG) pour la seule année 2013. Seule nouveauté : l’annexe 9 « Les Autorisations de transit de matériel de guerre (ATMG) ». Mais là encore les chiffres sont indicatifs[8].
Pourquoi la transparence est-elle si importante ?
La transparence est un dispositif essentiel car il permet aux élus, ainsi qu’aux membres de la société civile, de connaître les types de matériels exportés ainsi que les pays destinataires. La transparence est également un outil d’échange entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, élément de base d’une démocratie, afin de vérifier si notre pays respecte bien ses obligations au regard du droit international auquel la France est Partie.
Prenons l’exemple des exportations d’armes classiques de la France à Israël. Le rapport nous dit qu’en 2009 il a été exporté pour plus de 26 millions d’euros, (35,2 en 2010, 20,5, 11 et plus de 14 millions d’euros en 2013[9]). Hors depuis 2006 les interventions de l’armée israéliennes ont été entachées de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité et de graves violations du droit international relatif aux droits de l’Homme[10]. Même si le montant des transferts a diminué depuis 2009 – sauf avec une légère augmentation en 2013 – il n’est pas possible de savoir de quelles armes il s’agit et si ces armes ont été ou non utilisées par l’armée israélienne. En ce qui concerne la dernière guerre de juillet 2014 et les attaques de l’armée israélienne, de nombreux observateurs s’interrogent sur les possibles crimes de guerre, crimes contre l’humanité et graves violations des droits de la personne contre la population civile à Gaza[11].
Ces questions se posent également pour des destinations tout aussi problématiques comme notamment : l’Algérie, l’Angola, Bahreïn, la Gambie et l’Egypte en matière d’usage disproportionné de la force et des armes à feu par les représentants de l’ordre; sur le Tchad dans le cadre de ses interventions militaires au Mali et son soutien à la Seleka en Centrafrique et ur l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar et la Turquie dont nous savons qu’ils ont soutenu :
- soit les fondamentalistes au Mali et dans la bande sahélienne
- soit les fameux fondamentalistes de l’EI en Syrie et Irak .
Les obligations de la France en terme d’exportation d’armes classiques
Avec la ratification du traité sur le commerce des armes, la France se devrait d’en respecter les critères, même s’il n’a pas encore rassemblé les 50 ratifications qui vont permettre son entrée en vigueur le 90ème jours suivant[12]. De ce point de vue aussi le rapport présente une erreur : se référant aux critères d’évaluation du risque du TCA, il est fait référence aux « graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme[13] ». Pourtant les paragraphes i) et ii) de l’article 7 du TCA[14] en font mention au singulier. Cela change considérablement la rigueur dans l’évaluation avant la délivrance d’une autorisation d’exportation puisque le risque d’une seule grave violation du droit international humanitaire ou du droit international relatif aux droits de l’Homme est suffisante pour la refuser.
Enfin il n’est rien dit non plus du projet de loi sur l’intermédiation en armes que les ONG attendent au moins depuis 2001, ou encore de la Position Commune de l’Union Européenne en 2005.
Voilà, c’est avec une sensation d’omissions volontaires persistantes et de petites imprécisions que nous recevons ce rapport 2014. Ces approximations dans la vision et le rôle des exportations d’armes dans les relations internationales et stratégiques semblent avoir également touché le Président François Hollande sur le dossier irakien. En effet dans un entretien au Monde[15] le Président français a « omis » de faire mention de l’obligation du gouvernement de faire une évaluation du risque d’usage des armes par les Kurdes irakiens, dans la décision de leur en livrer, conformément aux critères de la Position Commune de l’UE et du TCA.
Espérons que le ministre de la Défense et les Parlementaires reprennent la main afin de renouer avec une dynamique plus vertueuse dans ce difficile exercice de la transparence en matière d’exportation d’armes classiques. La France en a bien besoin, notre monde aussi.
Benoît Muracciole
[1] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014 ; page 26 « 1.3. Dans le domaine des exportations d’armement, la France applique la plus grande transparence à l’égard de la communauté internationale et de la société civile ».
[2] Journal officiel de l’Union européenne ; page 8 : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2014:018:FULL&from=EN
[3] United Nations Register of Conventional Arms ; Report of the Secretary-General 2012 : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212 . Ce qui ne fut pas le cas pour 2013. La France qui reste selon les années le 4° ou 5° exportateur mondial d’armes classiques, a faillit dans cet exercice de base onusien ce qui fait peu sérieux. D’après les rapports du Secretary-General pour 2013 la France n’avait pas fait de déclaration ; United Nations Register of Conventional Arms : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/68/138/Add.1 ; http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/68/138 ; http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212/Add.2
[4] United Nations Register of Conventional Arms ; Report of the Secretary-General 2012 page 12 : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/212 .
[5] Règlement communautaire n°428/2009 du 5 mai 2009 : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:134:0001:0269:fr:PDF modifié qui intègre notamment les dispositions de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies relative au renforcement de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de la lutte contre le terrorisme : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1540(2004)
[6] https://armerdesarmer.wordpress.com/?s=tunisie
[7] Règlement d’exécution (UE) no 775/2014 de la Commission du 16 juillet 2014 modifiant le règlement (CE) no 1236/2005 : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L:2014:210:TOC
[8] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; annexe 9 page 78.
[9] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; annexe 8 ; page 76.
[10] Amnesty International : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCMQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.amnesty.org%2Ffr%2Flibrary%2Finfo%2FMDE02%2F033%2F2006%2Ffr&ei=lZAZVObzN8mp7AbnlYGICg&usg=AFQjCNFpARmdzvooBVMMd_auqAigos-Dzg&sig2=mX3JvJ7J5hLA0KqhTv_Taw&bvm=bv.75558745,d.ZGU et http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE15/012/2009
[11] Amnesty International : http://www.amnesty.org/en/news/stop-us-shipment-fuel-israels-armed-forces-evidence-gaza-war-crimes-mounts-2014-08-04 et Human Right Watch : http://www.hrw.org/news/2014/09/11/israel-depth-look-gaza-school-attacks et le rapport Goldstone : http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/12session/A-HRC-12-48_ADVANCE1_fr.pdf
[12] Nous en sommes à 118 signatures et 45 ratifications. Les 5 prochaines ratifications sont annoncées dans les deux mois qui suivent : http://www.un.org/disarmament/ATT/
[13] Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France 2014; page 28
[14] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/texte-final-tca-2-avril-13-1.pdf
[15] Le Président fait référence à « un matériel conforme aux engagements européens » : http://www.elysee.fr/interviews/article/interview-de-francois-hollande-accordee-au-monde/
Merci pour ce travail d analyse très complet et pertinent!