La tenue du 18ème salon Milipol rappelle l’urgence d’un contrôle cohérent du matériel de sécurité intérieure

18 11 2013

ASER_BD

Ce mardi 19 novembre s’ouvre à Villepinte (Seine-Saint-Denis, France) le salon international du matériel de sécurité intérieure des États : le Milipol. Tous les deux ans,  des milliers de sociétés présentent ici des types de matériels utilisés dans le cadre du maintien de l’ordre. De la société française Amesys, qui avait vendu du matériel d’interception internet et téléphonique au régime de Kadhafi, à Magforce, qui présentait dans son catalogue des matériels interdits par la régulation ‘’(CE) N°1236/2005’’ du Conseil de l’Union Européenne, il apparait qu’une grande partie de ces sociétés fasse peu de cas des risques d’usage de leur matériel en termes de graves violations des droits de l’homme.

 

ASER (Action Sécurité Ethique Républicaines), qui travaille depuis de longues années sur le respect des droits de l’Homme dans l’exercice du maintien de l’ordre, tient à alerter les autorités françaises : ces matériels – qui dépendent pour beaucoup de la régulation du Conseil de l’UE concernant ‘’le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants’’ – doivent être soumis au contrôle du Secrétariat Général de la Sécurité et de la Défense Nationale, au même titre que tout matériel à usage militaire.

 

Il y a deux ans, déjà, la Fondation Omega et ASER avaient saisi les autorités françaises sur la présence au salon Milipol de sociétés chinoises, sud-coréennes et israéliennes qui y vendaient des matériels interdits par la régulation ‘’(CE) n° 1236/2005’’ du Conseil de l’UE. A la suite de quoi, un contrôle des catalogues de vente et du respect des règles communautaires aurait été diligenté. ASER entend qu’une nouvelle fois les autorités françaises marquent, à l’occasion de ce Milipol, leur volonté d’un contrôle strict des sociétés participantes et des matériels proposés.

 

Sous prétexte que ces armes ne sont pas létales par destination, ces matériels sont exportés vers des pays comme Bahreïn, Egypte, Arabie Saoudite, peu regardants en matière de respect des droits de la personne. Des sociétés françaises, par leurs exportations, ont ainsi participé aux violentes répressions internes de régimes parfois issus d’un coup d’état, comme c’est le cas de l’Egypte. De récents événements dans ces pays, tels qu’exécutions extra judiciaires, tortures et usage disproportionné du recours à la force et à l’usage des armes à feu[1], devraient inciter ces marchands d’armes à adhérer à la position de la France qui a suspendu les exportations de tout matériel de ce type en direction de l’Afrique du nord et du Moyen Orient depuis février 2011.

 

L’association ASER (Action Sécurité Ethique Républicaines) lutte pour le respect des droits de l’Homme dans les transferts d’armes et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces armées et de police.

ASER, membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères (RAIAL), est accréditée ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies (ONU).


[1] En violation des principes de base des Nations unies : http://www2.ohchr.org/french/law/armes.htm

Contacts:

Demande d’interview ou participation à une émission sur le problème des armes : Stéph. Muracciole : +336 99 75 41 80

Toute l’information sur les négociations du TCA : http://aser-asso.org/index.php





Une deuxième personne décédée en France après l’usage du Taser.

12 11 2013
Taser : Fusil X12 et pistolet X 26. Photo Benoît Muracciole

Taser : Fusil X12 et pistolet X 26 et leurs munitions. Photo Benoît Muracciole

Loïc Louise, 21 ans est mort le 6 novembre dernier après l’utilisation par un gendarme de son arme, un pistolet à impulsion électrique de marque Taser.

 

En 2005 lorsque nous avions alerté les autorités françaises sur les dangers du Taser, nous avions bien senti chez nos interlocuteurs du ministère de l’intérieur une conscience de la dangerosité de cette arme. Fort des rapports d’Amnesty International qui alertaient sur les dangers du Taser[1], nous avions demandé une doctrine d’emploi stricte qui se limite à la légitime défense comme dernier recours avant l’usage d’une arme à feu. Le principe du dernier recours avant l’arme à feu ne fut pas retenu, le Ministre de l’époque, Nicolas Sarkozy, était plus friand d’images fortes que de mesures de prévention de violations des droits de l’Homme.  Cette demande était pourtant en cohérence avec les principes de base de l’ONU sur le recours à la force et à l’usage des armes à feu par les responsables de l’application des lois[2] ainsi que du code de déontologie de la Police Nationale[3] qui oblige à la proportionnalité dans les interventions de la force publique. La dotation de cette arme fut donc finalisée ainsi que la formation des tireurs en oubliant malheureusement ces principes.

 

D’après les témoignages recueillis  et relayés par les médias,  il s’agissait d’une bagarre entre deux cousins, dont au moins un, Loïc Louise, était fortement alcoolisé. La vie de ce jeune homme aurait été sans doute épargnée si, comme beaucoup de policiers et gendarmes formés aux principes de proportionnalité, ils étaient intervenus avec les techniques appropriées que tout responsable de l’application des lois en intervention se doit de maitriser. La circulaire de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale recommande, en outre, la prudence à l’égard des personnes âgées et des personnes en état d’imprégnation alcoolique[4]. Peut être même qu’un peu de discernement aurait évité de nombreuses questions sur la cause véritable de la mort de Loïc Louise, et sans doute sauvé ce jeune homme de la mort.

 

Depuis l’élection du Président Hollande, de nombreux citoyens avaient espéré un retour à une vision du rôle des forces de l’ordre qui soit conforme aux fondements de la République Française : La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Malheureusement le ministre de l’intérieur Manuel Valls a oublié les missions de la force publique définie dans l’article XII qui précise : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.[5] ». La protection des droits de l’Homme était déjà inscrite dans le rôle de force publique. Cette garantie fut renforcée dans la Charte des Nations unies par un engagement fort des pays membres de l’ONU avec notamment l’article premier et  le paragraphe c de l’article 55. Ce dernier engage les États membres au «  respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. ».

 

Pour prévenir sur les risques de l’usage du Taser s’il en était encore besoin, le Comité de l’ONU contre la torture déclarait à l’intention des autorités portugaises en novembre 2007 : « L’État partie devrait envisager de renoncer à l’usage des armes électriques « TaserX26 » dont les conséquences sur l’état physique et mental des personnes ciblées serait de nature à violer les articles premier et 16 de la Convention. »

Or depuis la recommandation , et malgré les alertes répétées sur les usages disproportionnés du Taser[6], le ministère de l’intérieur n’a toujours pas jugé bon de recadrer l’utilisation de cette arme.

Enfin, lors de mon témoignage au procès que la marque Taser, représentée par Antoine di Zazzo, avait intenté à Olivier Besancenot, j’avais insisté sur le différentiel qu’il y avait entre l’innocuité théorique de cette arme[7] et les 60 morts où, selon les médecins légistes étasunien, il y avait un lien avec l’usage du Taser[8].

Combien de mauvais usages et de morts faudra-t-il au ministre de l’intérieur pour donner les moyens aux représentants des forces de l’ordre – en terme de formation et de doctrine d’usage stricte du Taser – pour leur permettre de porter les valeurs républicaines et d’assurer la garantie des droits de l’Homme pour chaque citoyen ?

 

Benoît Muracciole

 

 


[1] En février 2012, 500 morts étaient comptabilisés suite à l’utilisation du Taser aux Etats Unis.

[4] Rapport sur trois moyens de force intermédiaire ; Défenseur des Droits mai 2013 : http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/rapport_deontologie_sur_trois_moyens_de_force_intermediaire_2.pdf

[7] Même si de nombreux rapports le conteste, dont le Braidwood report: http://www.braidwoodinquiry.ca/report/P1Report.php , le débat ne sera vraisemblablement jamais clôt.

[8] États Unis ; les armes paralysantes dans le maintien de l’ordre décembre 2008 : http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR51/129/2008/en/e6fc6ca4-caa5-11dd-a6a3-63b538f8816c/amr511292008fra.pdf

 





Les Etats Unis ont-ils quelques obligations en droit international quant à d’usage de drones ?

3 11 2013
Drone Prédator. Photo Benoît Muracciole

Drone Prédator. Photo Benoît Muracciole

La récente exécution extra judicaire d’Hakimullah Mehsud, le chef des Talibans dans la province nord Waziristân au nord-est du Pakistan, montre que les États Unis continuent de faire peu de cas du droit international relatif aux droits de l’Homme, et du droit international humanitaire. Dans un excellent rapport Amnesty International[1] montre que le programme drone, qui dépend directement du Président Obama, viole allégrement le droit international. Ces attaques s’inscrivent toujours dans la vision romantique et mythique westernienne selon laquelle ce pays se serait construit dans le respect du droit à la légitime défense ; cette même légitime défense qui justifia un temps le génocide contre les Amérindiens, ainsi que la justice des armes qui s’exprimait dans des duels où nombreuses étaient les victimes tuées d’une balle dans le dos. Enfin légitime défense en dehors des frontières au Viet Nam, en Amérique Latine, en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Yémen…

Depuis l’Irak, un nouveau concept de propagande était diffusé : « les frappes chirurgicales », et les drones devaient en être le parfait bon exemple. En plus de celui d’Amnesty International, le rapport de l’université de Columbia montre le contraire[2]. Dans la compilation et l’analyse critique des informations recueillies auprès de différentes recherches –  New America Foundation, the Long War Journal et le Bureau of Investigative Journalism[3] – le nombre de civils tués en 2011 au Pakistan se situe entre 72 et 155, alors que celui des combattants se place entre 330 et 575, sans compter les blessés. La différence entre les chiffres donnés illustre parfaitement deux choses :

Premièrement l’opacité dans laquelle le gouvernement étasunien exécute ces attaques, Ce qui n’apparaît  évidemment pas comme le signe d’une grande confiance de ce dernier dans la dimension légale de ces exécutions.

Deuxièmement, et comme nous l’avons de nombreuses fois montré, la grande difficulté de faire les comptes précis des personnes tuées dans les conflits, particulièrement lorsqu’il s’agit de victimes civiles.

Sur le site « Drones Watch[4] », une liste avance le nombre de 72 enfants, entre 3 et 17 ans,  assassinés par le programme de drones étasuniens au Pakistan.  Des documents déclassifiés du gouvernement pakistanais, publiés par le Bureau of Investigative Journalism[5] et qui concernent les années 2006-2009, donnent aussi des chiffres terribles, notamment dans le bombardement du village de Chinagai au sud est de Quetta avec l’assassinat de 80 enfants.

Le rapporteur spécial des Nations unies jugeait déjà  que l’attaque du drone de la CIA du 3 novembre 2002 au Yémen constituait une exécution sommaire et extra judiciaire.

Avec les drones, comme dans les cas de violence armée, le traumatisme contre les populations civiles ne s’arrête pas aux morts et blessés. La menace constante qui pèse sur les familles représente également une grave violation des droits de la personne, et celle-ci peut s’exprimer sur trois niveaux.

D’abord avec l’angoisse pour les habitants de voir un missile toucher une maison, un immeuble, ou une voiture. C’est  ce que révèle bien le titre du rapport d’Amnesty International « Serais-je le prochain ? ».

Ensuite les menaces exercées par les milices armées opposées au gouvernement qui empêchent les familles de circuler librement, et de contacter les autorités.

Enfin les menaces  des autorités elles mêmes qui ne voient pas toujours d’un bon œil les populations mettre en lumière leurs faiblesses dans la protection de la population.

Le lien entre l’usage des drones d’attaques avec les graves violations du droit international confirme l’importance de les avoir intégrés dans la liste du traité sur le commerce des armes adopté en avril dernier. Si quelques ONG continuent d’en faire la confusion, l’absence de spécification dans la définition des avions d’attaques, avec ou sans pilote, permet une interprétation cohérente et complète[6].

Quant à l’efficacité sécuritaire pour les Etats Unis,  elle n’est pas évidente. L’argument des autorités étasuniennes, qui avancent que ces actions retardent ou affaiblissent celles des Talibans, est un peu court. Il semble plutôt que chaque attaque de drones fournit de nouvelles recrues pour les Talibans[7], et que les chefs militaires éliminés  soient remplacés tout aussi rapidement[8]. Elles ne font que saboter toute tentative de résolution de conflits engagée par les différents camps, et elles ne pourront assurément pas effacer ces crimes de guerre dans la conscience collective des générations futures. Barak Obama a déclaré que les responsables des morts civils dans les attaques de drones devront  vivre avec cela toute leur vie. Ils ne seront décidément pas les seuls. Et pourquoi ne pas voir un jour la justice internationale s’en saisir; les crimes de guerre ne sont-ils pas imprescriptibles?

Benoît Muracciole


[1] “WILL I BE NEXT?” US drone strikes in Pakistan © Amnesty International Publications 2013 Index: ASA 33/013/2013 : http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA33/013/2013/en/041c08cb-fb54-47b3-b3fe-a72c9169e487/asa330132013en.pdf

[2]Counting Drone Strike ; Columbia Law School ; human rights clinic octobre 2012 : http://web.law.columbia.edu/sites/default/files/microsites/human-rights-institute/COLUMBIACountingDronesFinalNotEmbargo.pdf

[4] A partir des information du Bureau of Investigative Journalism, chiffres au 20 janvier 2013 : http://droneswatch.org/2013/01/20/list-of-children-killed-by-drone-strikes-in-pakistan-and-yemen/

[6] Les drones armés en font donc parti, ce qui n’est malheureusement pas le cas des drones d’observation.

[7] Comme ce que relevaient des anciens directeurs du Sin Beth après les assassinats ciblés de militants palestiniens.

[8] Comme c’est le cas pour Hakimullah Mehsud qui l’a été le jour de ses funérailles par Khan Saïd.