Les récentes déclarations de militaires de hauts rangs[1] sur les capacités de l’armée françaises à tenir le rythme des bombardements, qu’oblige la résistance de l’armée de Kadhafi, cachent mal les vrais problèmes posés par cette intervention.
I) La protection des populations et les droits de l’Homme.
On avait pourtant vue les failles grossières de ce discours, qui avait justifié l’intervention en Cote d’Ivoire[2], pourtant cela n’a pas empêché un aventurier en chemise de recycler la même idée pour l’intervention en Libye. Tout cela n’a bien entendu rien à voir avec le fait que ce pays possède en réserve à Tripoli environ 155 tonnes d’or, et plus de 100 milliards d’euros, accumulé à l’étranger et quelques réserves en pétrole et en gaz[3]. Alors dans les faits qu’en est il de cette acte de secours de la population et des droits des personnes ?
Dans les évaluations qui circulent pour le moment sur l’impact de la guerre civile, l’ONU parle de 10 000 à 15 000 morts ainsi que de plus d’un million de déplacés depuis le 15 février. Et s’il est difficile aujourd’hui de vérifier ces informations, il est intéressant d’écouter ce que dit Donatella Rovera, conseillère auprès du Secrétariat International d’Amnesty, qui vient de passer plusieurs mois en Libye. Car il apparait que la présentation simpliste qui avait été faite aux média, par le même aventurier en chemise, avec les méchants d’un coté et les bons de l’autres, soit un peu écornée. D’abord il ne semble pas y avoir eu la présence forte de mercenaires comme annoncée, du moins dans les témoignages recueillis sur place avec les nombreux massacres que l’on leur avait imputé. D’autres part le nombre de morts, encore une fois difficile à évaluer, ne semble pas correspondre aux chiffres avancés dans les médias comme si l’on avait assisté, un peu comme avant l’invasion de l’Irak en 2003, à une manipulation en règle pour justifier l’intervention de l’OTAN. Car si les exactions du régime de Kadhafi sont bien réelles, elles ne doivent pas occulter celles commises du coté du Conseil national de transition (CNT), qui réuni quand même quelques anciens aficionados du régime kadhafiste. Le travaille de la chercheuse a permis de réunir des témoignages et des preuves sur des cas de tortures et d’exécutions extra judiciaires commises par les forces rebelles et par l’armée de Kadhafi.
II) Le choix même de l’intervention militaire de l’Otan.
Même si l’Otan a déclaré qu’après plus de « 11 500 sorties », les lignes directrices restaient les mêmes, à savoir : « des précautions immenses pour minimiser les pertes civiles », les récentes bavures, dues aux bombardements, en ont montré les limites. La théorie du choc et de l’effroi, promue notamment par un de ses inspirateurs Harlan Ullman qui prétend qu’aucune force armée ne peut résister plus d’une semaine à des frappes intensives, est encore une fois mise à mal. Elle l’est, non seulement pour ce qui est de son objectif premier, la protection des populations, qui vivent, et parfois meurent, sous les bombes sensées les délivrer. Mais elle l’est aussi en terme d’efficacité militaire classique, le gouvernement de Kadhafi qui devait être défait après 5/6 jours de bombardements intenses, est toujours en place. Tout cela avec un coût financier qui continue de grossir pour les Etats engagés auprès de l’Otan. La récente déclaration du Ministre de la Défense Gérard Longuet au Bourget précise que l’engagement financier de la France dépasse les 2 millions d’euro par jour.
III) Du risque d’usage des armes.
On l’a vu plus haut, les armes ont servit, dans les deux camps, à des graves violations des droits de l’Homme mais là n’est pas l’unique problème qu’elles posent. La récente saisie par l’armée nigérienne de caisses d’explosifs, ainsi que des centaines de détonateurs[4] montre que le risque d’usage de ces armes pour des actes de terrorisme est important. Ce risque de diversion semble également concerner le conflit Israélo-palestinien avec des armes libyennes qui auraient été livrées aux Hamas[5], sans que l’on puisse savoir si ces armes proviennent de l’armée du gouvernement de Kadhafi ou des forces du CNT. Au moment où vont s’ouvrir les dernières négociations, pour 2011, sur le traité sur le commerce des armes, il serait avisé, pour les gouvernements qui soutiennent le CNT, de faire une évaluation fine du risque substantiel de l’usage des armes livrées.
IV) De l’unité de langage et d’action en matière de résolution de conflit.
L’intervention en Libye a mis une fois de plus en évidence l’absence de stratégie commune des Etats dans les moyens de résolution des conflits. Pour l’Europe, le projet de 2003 de « stratégie européenne de sécurité » n’existe pas dans les faits. La position de l’Allemagne, qui était opposé dés le départ à une intervention militaire, et de l’Italie qui se met également à douter, ne fait que le souligner. Pour ce qui est de l’espace hors Europe, depuis un moment déjà, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Union Africaine, le Venezuela ont exprimé leur opposition[6] à cette « politique de frappes ».
V) Sortir de ces logiques d’affrontements univoques.
Avec l’échec de cette politique d’intervention aventureuse, où les diplomates semblent avoir été mis sur le coté de la route, il n’est pas trop tard pour changer de type de pensée. De se mettre à réfléchir et travailler un peu plus efficacement ensemble sur le moyen et long terme. En cela les révolutions arabes ne nous donnent elles pas une occasion historique de repenser nos formes d’interventions en temps de crise ?
Que risquons nous à repenser le recours des Etats à travers des interventions diplomatiques, accompagnées de projets de développements qui pourraient se décliner en plusieurs strates, culturelles, économiques, politiques… Certes cela demande un temps, médiatiquement peu correct, mais celles-ci offriraient des perspectives nouvelles aux camps opposés. Je ne minimise en aucun cas le risque de graves violations des personnes, voire de crime contre l’humanité ou de génocide mais le passé immédiat nous montre que cette violence ne se contient pas par les interventions armées, au contraire[7].
Ne serait il pas temps de reconsidérer la pensé de l’intervention dans un monde où les relations internationales sont en pleine mutation. Un monde décongestionné des centres historiques que sont l’Europe et les Etats Unis, avec des pays émergeants qui ont de fait émergé, afin de proposer que les formes de réponses se fassent à partir de ce que demandent les populations dans toute leur diversité et leurs contradictions ?
Il nous reste à entrer de plein pied dans le XXI° siècle, nous avons les ressources humaines et financières pour cela, notamment au vu des coûts astronomiques des interventions militaires et ce, malgré la crise économique. Il est encore temps de renverser notre « manière de voir », de raisonner non pas dans la puissance, qui a prouvé ses limites, mais dans « l’a-puissance ». Devenir créatif, force de proposition pour aller vers ce que Paul Ricoeur appelle la reconnaissance ; c’est à dire vers un espace où les droits de chacun seront reconnus, indivisibles, à partir de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
Benoît Muracciole
[1] http://www.aerocontact.com/actualite_aeronautique_spatiale/ac-libye—l-amiral-forissier-exclut-des-troupes-au-sol~12123.html
[2] Voir : https://armerdesarmer.wordpress.com/2011/05/26/protection-des-droits-de-l%E2%80%99homme-une-mission-impossible-en-cote-d%E2%80%99ivoire/
[3] http://www.sunucontinent.net/dimportantes-reserves-de-petrole-et-de-gaz-decouvertes-en-libye-en-2010/
[4] Environ 600 kg de Semtex, explosif de fabrication Tchèque, des AK 47, quelques 435 détonateurs, des dollars US… voir http://www.rfi.fr/afrique/20110614-accrochage-entre-armee-nigerienne-bandits-nord-arlit et http://www.rfi.fr/afrique/20110624-niger-enquete-avance-le-semtex-decouvert-provenance-libye
[5] http://www.afriqueavenir.org/2011/06/10/israel-sinquiete-d%E2%80%99armes-libyennes-tombees-entre-les-mains-du-hamas/
[6] Aux Etats Unis la fronde est ouverte contre la politique d’Obama et elle dépasse les clivages Démocrates Républicains, voir : http://www.nytimes.com/2011/06/20/world/africa/20powers.html?_r=2&hp