Qu’est ce que l’échec du conflit libyen peut nous apprendre ?

26 06 2011

Les récentes déclarations de militaires de hauts rangs[1] sur les capacités de l’armée françaises à tenir le rythme des bombardements, qu’oblige la résistance de l’armée de Kadhafi, cachent mal les vrais problèmes posés par cette intervention.

I) La protection des populations et les droits de l’Homme.

On avait pourtant vue les failles grossières de ce discours, qui avait justifié l’intervention en Cote d’Ivoire[2], pourtant cela n’a pas empêché un aventurier en chemise de recycler la même idée pour l’intervention en Libye. Tout cela n’a bien entendu rien à voir avec le fait que ce pays possède en réserve à Tripoli environ 155 tonnes d’or, et plus de 100 milliards d’euros, accumulé à l’étranger et quelques réserves en pétrole et en gaz[3]. Alors dans les faits qu’en est il de cette acte de secours de la population et des droits des personnes ?

Dans les évaluations qui circulent pour le moment sur l’impact de la guerre civile, l’ONU parle de 10 000 à 15 000 morts ainsi que de plus d’un million de déplacés depuis le 15 février. Et s’il est difficile aujourd’hui de vérifier ces informations, il est intéressant d’écouter ce que dit Donatella Rovera, conseillère auprès du Secrétariat International d’Amnesty, qui vient de passer plusieurs mois en Libye. Car il apparait que la présentation simpliste qui avait été faite aux média, par le même aventurier en chemise, avec les méchants d’un coté et les bons de l’autres, soit un peu écornée. D’abord il ne semble pas y avoir eu la présence forte de mercenaires comme annoncée, du moins dans les témoignages recueillis sur place avec les nombreux massacres que l’on leur avait imputé. D’autres part le nombre de morts, encore une fois difficile à évaluer, ne semble pas correspondre aux chiffres avancés dans les médias comme si l’on avait assisté, un peu comme avant l’invasion de l’Irak en 2003, à une manipulation en règle pour justifier l’intervention de l’OTAN. Car si les exactions du régime de Kadhafi sont bien réelles, elles ne doivent pas occulter celles commises du coté du Conseil national de  transition (CNT), qui réuni quand même quelques anciens aficionados du régime kadhafiste. Le travaille de la chercheuse a permis de réunir des témoignages et des preuves sur des cas de tortures et d’exécutions extra judiciaires commises par les forces rebelles et par l’armée de Kadhafi.

II) Le choix même de l’intervention militaire de l’Otan.

Même si l’Otan a déclaré qu’après plus de « 11 500 sorties », les lignes directrices restaient les mêmes, à savoir : « des précautions immenses pour minimiser les pertes civiles », les récentes bavures, dues aux bombardements, en ont montré les limites. La théorie du choc et de l’effroi, promue notamment par un de ses inspirateurs Harlan Ullman qui prétend qu’aucune force armée ne peut résister plus d’une semaine à des frappes intensives, est encore une fois mise à mal. Elle l’est, non seulement pour ce qui est de son objectif premier, la protection des populations, qui vivent, et parfois meurent, sous les bombes sensées les délivrer. Mais elle l’est aussi en terme d’efficacité militaire classique, le gouvernement de Kadhafi qui devait être défait après 5/6 jours  de bombardements intenses, est toujours en place. Tout cela avec un coût financier qui continue de grossir pour les Etats engagés auprès de l’Otan. La récente déclaration du Ministre de la Défense Gérard Longuet au Bourget précise que l’engagement financier de la France dépasse les 2 millions d’euro par jour.

III) Du risque d’usage des armes.

On l’a vu plus haut, les armes ont servit, dans les deux camps, à des graves violations des droits de l’Homme mais là n’est pas l’unique  problème qu’elles posent. La récente saisie par l’armée nigérienne de caisses d’explosifs, ainsi que des centaines de détonateurs[4] montre que le risque d’usage de ces armes pour des actes de terrorisme est important. Ce risque de diversion semble également concerner le conflit Israélo-palestinien avec des armes libyennes qui auraient été livrées aux Hamas[5], sans que l’on puisse savoir si ces armes proviennent de l’armée du gouvernement de Kadhafi ou des forces du CNT. Au moment où vont s’ouvrir les dernières négociations, pour 2011, sur le traité sur le commerce des armes, il serait avisé, pour les gouvernements qui soutiennent le CNT, de faire une évaluation fine du  risque substantiel de l’usage des armes livrées.

IV) De l’unité de langage et d’action  en matière de résolution de conflit.

L’intervention en Libye a mis une fois de plus en évidence l’absence de stratégie commune des Etats dans les moyens de résolution des conflits. Pour l’Europe, le projet de 2003 de « stratégie européenne de sécurité » n’existe pas dans les faits. La position de l’Allemagne, qui était opposé dés le départ à une intervention militaire, et de l’Italie qui se met également à douter, ne fait que le souligner. Pour ce qui est de l’espace hors Europe, depuis un moment déjà, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Union Africaine, le Venezuela ont exprimé leur opposition[6] à cette « politique de frappes ».

V) Sortir de ces logiques d’affrontements univoques.

Avec l’échec de cette politique d’intervention aventureuse, où les diplomates semblent avoir été mis sur le coté de la route, il n’est pas trop tard pour changer de type de pensée. De se mettre à réfléchir et travailler un peu plus efficacement ensemble sur le moyen et long terme. En cela les révolutions arabes ne nous donnent elles pas une occasion historique de repenser nos formes d’interventions en temps de crise ?

Que risquons nous à repenser le recours des Etats à travers des interventions diplomatiques, accompagnées de projets de développements qui pourraient se décliner en plusieurs strates, culturelles, économiques, politiques… Certes cela demande un temps, médiatiquement peu correct, mais celles-ci offriraient des perspectives nouvelles aux camps opposés. Je ne minimise en aucun cas le risque de graves violations des personnes, voire de crime contre l’humanité ou de génocide mais le passé immédiat nous montre que cette violence ne se contient pas par les interventions armées, au contraire[7].

Ne serait il pas temps de reconsidérer la pensé de l’intervention dans un monde où les relations internationales sont en pleine mutation. Un monde décongestionné des centres historiques que sont l’Europe et les Etats Unis, avec des pays émergeants qui ont de fait émergé,  afin de proposer que les formes de réponses se fassent  à partir de ce que demandent les populations dans toute leur diversité et leurs contradictions ?

Il nous reste à entrer de plein pied dans le XXI° siècle, nous avons les ressources humaines et financières pour cela,  notamment au vu des coûts astronomiques des interventions militaires et ce, malgré la crise économique. Il est encore temps de renverser notre « manière de voir », de raisonner non pas dans la puissance, qui a prouvé ses limites, mais dans « l’a-puissance ». Devenir créatif, force de proposition pour aller vers ce que Paul Ricoeur appelle la reconnaissance ; c’est à dire vers un espace où les droits de chacun seront reconnus, indivisibles, à partir de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
Benoît Muracciole


[4] Environ 600 kg de Semtex, explosif de fabrication Tchèque, des AK 47, quelques 435 détonateurs, des dollars US… voir http://www.rfi.fr/afrique/20110614-accrochage-entre-armee-nigerienne-bandits-nord-arlit et http://www.rfi.fr/afrique/20110624-niger-enquete-avance-le-semtex-decouvert-provenance-libye

[6] Aux Etats Unis la fronde est ouverte contre la politique  d’Obama et elle dépasse les clivages Démocrates Républicains, voir : http://www.nytimes.com/2011/06/20/world/africa/20powers.html?_r=2&hp





Les gouvernements interpellés sur la préparation du traité sur le commerce des armes

14 06 2011

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

Du 13 au 19 juin 2011, la semaine d’action contre la violence des armes sera l’occasion pour les ONG membres du Réseau d’Action Internationale sur les Armes Légères (RAIAIL)[1], d’interpeller tous les gouvernements. Les terribles répressions contre le « printemps arabe » démontrent qu’il est urgent d’agir pour un traité sur le commerce des armes qui protège véritablement les populations.

 

En France, ASER (Action Sécurité Ethique Républicaines) membre du RAIAL, sollicite le ministre des Affaires étrangères et européennes, ainsi que le ministre de la Défense, au travers de questions au gouvernement, portées à l’Assemblée Nationale, par des députés membres du groupe d’étude sur le traité relatif au commerce des armes.

 

Pour Aser, un traité sur le commerce des armes doit garantir un contrôle strict et responsable des transferts internationaux d’armes classiques qui intègre les armes légères et de petits calibres (ALPC) ainsi que les munitions. En tant que membre du RAIAL, ASER demande que toute exportation d’armes classiques soit refusée, quand il y a un risque substantiel qu’elles puissent faciliter de graves violations du droit international humanitaire et des droits de la personne, dont les violences faites aux femmes.

 

La faiblesse du contrôle des transferts d’armes à feu ainsi que du matériel de rétablissement de l’ordre et de sécurité intérieure, constitue une menace constante sur les individus. Cette faiblesse concourt aux formes ordinaires des graves violations des droits humains à travers le monde, en Afrique du Sud, au Bahreïn, au Guatemala, au Mexique, aux Philippines, en République Démocratique du Congo, en Syrie, et dans bien d’autres pays.

 

Le 11 juillet de cette année, l’ensemble des Etats se retrouvera à l’ONU (New York), pour continuer les négociations pour ce qui sera le premier traité de régulation des transferts d’armes classiques, de l’histoire de l’humanité. Le temps presse : dans 12 mois seulement, la conférence de l’ONU sur le commerce des armes doit établir ce traité.

Contacts:

 

Pour plus d’information, joindre Leila Leboucher Bouache : +336 62 07 66 77 ou Benoît Muracciole :             +336 84 10 62 18


[1] Composé d’ONG, le RAIAL, comprend 250 membres au niveau mondial,





Le Printemps Arabe, Ben Laden et le traité sur le commerce des armes

10 06 2011

Bahreïn véhicules blindés légers contre les manifestants pacifiques

 

Aujourd’hui le monde découvre que les droits de l’Homme et l’aspiration à plus de liberté existent aussi dans le monde Arabe ce qui est une bonne chose. Par contre on oublie le soutien indéfectible dont ont bénéficié ces autocraties de la part des grands pays exportateurs d’armes, ce qui est une moins bonne chose.

 

Ce qui est frappant, quand l’on examine les transferts d’armes de ces dernières années en direction de ces pays, c’est l’unité dans la politique étrangère de tous les grands Etats exportateurs[1]. Ils semblaient avoir eu un message commun pour le Moyen Orient, vendre des armes, vendre des armes et vendre des armes…  Et ce, quelque soit la situation des droits humains dans le pays qui les achète. Les seules précautions prises, quand elles l’étaient, concernaient la stabilité régionale à moyen terme, afin peut être afin de sécuriser les approvisionnement en pétrole.

 

Et cette logique se prolonge avec l’intervention légitime par la force des armes, dans une quasi unité d’action et de langage. Je ne parle plus ici de révolutions arabes mais de guerres qui, comme on le voit en Lybie ou en Côte d’Ivoire, n’ont rien à voir avec la défense des populations civiles et encore moins avec celle des droits humains[2]. Et là plus de problème de financement, les sommes investis dans l’engagement militaire sont sans commune mesure avec les timides propositions civiles de soutien. Le coût de l’intervention armée en Libye – avec une majorité des Etats occidentaux qui ont pris fait et cause pour un Conseil National de Transition qui ne rassure pas plus que son alter ego Kadhafi – est en cela très révélateur. Pour la France, qui est en faillite, cela représente 1,2 millions d’euro par jour. Les Etats Unis, qui sont eux aussi dans une situation de quasi faillite, aurait dépensé les trois premiers jours environ 156 millions d’euros[3]. Même s’il y a eu une réaction plus responsable de la part de certains pays[4], avec la suspension des matériels de guerre, de sécurité et de police, la culture d’intervention des gouvernements reste fondamentalement imprégnée par l’action militaire.

 

Et l’exécution extra judiciaire d’Oussama Ben Laden[5], pour les Etats, appartient à cette même école de pensée. Les Etats pensent connaître et contrôler la violence qu’ils utilisent, elle les rassure car « grâce » à elle nous sommes dans « un monde plus sûr[6] ». C’est la même logique qui avait conduit la CIA à former et nourrir Ben Laden pendant les années où il était considéré comme un résistant à l’invasion soviétique[7]. Depuis le 11 septembre la polarité s’était renversée, les gouvernements ne sortent pas de leurs démons,  Ben Laden était la nouvelle raison du soutient des pays occidentaux aux dictatures arabes, il fallait faire barrage à Al Qaida. Pourtant le  soulèvement pacifique de la jeunesse arabe a été un élément bien plus déstabilisateur pour Ben Laden et ses sbires.

 

Ce préalable permet de comprendre pourquoi, ces mêmes Etats, ont eu un mal fou à soutenir les révolutions arabes.

 

L’Egypte et la Tunisie pour les mouvements qui ont réussi à renverser leurs despotes, n’ont eu que peu ou pas de soutien de la part des pays occidentaux et cette carence se révèle, notamment, autour des questions de justice et d’économie.

 

Pour ce qui est de la justice, le point d’orgue est l’attitude de la France et de l’Italie avec un comportement indigne face aux réfugiés Tunisiens et ce, en complète violation du droit d’asile[8]. Mais nous n’avons pas vu non plus de proposition de coopération et d’assistance juridique, ni même de formation de police, qui cette fois serait plus appropriée[9], en direction de ces deux pays.

 

Enfin en qui concerne l’économie, l’Europe déclare vouloir débloquer 17 millions d’euros d’aide pour la Tunisie, avec une promesse de 258 millions d’euros d’ici 2013, alors qu’elle demande plus de 17 milliards d’euros. Quant au G8, il est à la hauteur de réputation, il a promis 40 milliards de dollars d’aide pour le printemps arabe, l’Egypte elle demandait entre 7 et 8,5 milliards d’euros pour le mois de juin, sans donner de calendrier précis, ni le nom des pays concerné[10].

 

Et cette attitude amblyope et immature des Etats, dans leur incapacité à se projeter dans le temps, est aussi criante quand il s’agit du Bahreïn, de la Syrie et du Yémen. Depuis le début de l’année, les manifestations pacifiques se succèdent dans ces pays et elles sont largement et violemment réprimées avec des armes venues de l’extérieur.

Plus de 1200 morts et plus de 10 000 arrestations en Syrie, avec une nouvelle aggravation dans les attaques des forces de sécurité contre les civiles.[11]

Plus de 200 morts au Yémen où la situation reste très incertaine, malgré le départ de Saleh pour l ‘Arabie Saoudite et qui semble dans un état critique, avec un risque de guerre civile. Et combien de morts au Bahreïn où l’armée Saoudienne est envoyée pour soutenir le gouvernement autoritaire sur place ? Car même si l’on ignore le nombre exact de morts,[12] ainsi que celui des emprisonnés, la communauté internationale sait qu’il y a eu un usage excessif de la force ainsi que de nombreux cas de torture et de mauvais traitements[13].

 

Comment peut on changer cette cécité, qui est d’autant plus troublante qu’un certain nombre de chefs d’Etat aurait une certaine empathie face à ces soulèvements[14]. Comment inverser cette culture des gouvernements qui dans leur ensemble ne comprennent que les codes de l’affrontement armé ? Comment sortir d’une logique de la raison d’Etat contre la raison des peuples, avec les récents succès que l’on connaît en Irak et en Afghanistan, comme si la raison des peuples n’était pas l’atout indépassable de la puissance à venir des Etats ?

 

Espérons que bientôt il sera plus communément accepté de voir le printemps Arabe comme un rempart plus efficace contre Al Qaida que les guerres en Irak et en Afghanistan. La logique de résistance non armée plus efficace que les milliards de $ que coûtent chaque mois, les guerres d’invasions d’Irak et d’Afghanistan.

 

Benoît Muracciole


[1] Des Etats Unis à la Russie en passant par la France et la Grande Bretagne : http://unhq-appspub-01.un.org/UNODA/UN_REGISTER.nsf

[2] Il semble que les industriels de l’armement utilisent de véritable intermédiaire, faux philosophe, pour tenter de relancer leur production de missiles « protecteur de population ».

[3] Les missiles tirés par les avions français coutent entre 300 000 et 350 000€, les missiles US Tomawaks un peu plus de 452 000€

[4] Notamment la France, qui a suspendu les transferts en direction de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient en février dernier

[6] Propos prononcé par Barak Obama le jour de la mort de Ben Laden, depuis les attentats contre les civiles en Afghanistan et au Pakistan ont dramatiquement augmentés http://www.youtube.com/watch?v=ZNYmK19-d0U

[7] La CIA a transféré pour plus de 2 milliards $, dans les années 80, en direction des moudjahidines qui luttaient contre l’intervention soviétiques sans se soucier de l’usage qu’ils pourraient en faire.

 

[9] Cette fois il aurait été intéressant d’entendre le ministre des Affaires étrangères et européennes après la bévue d’Alliot Marie le 13 janvier dernier.

[10] L’Egypte a besoin de 10-12 milliards de dollars et la Tunisie de 25 milliards de dollars sur 5 ans, pour mémoire la « guerre au terrorisme » à couté, selon le Service de recherche du Congrès étasunien à plus de 1 300 milliards de dollars entre 2001 et 2010.

[11] Il semblerait que le frère de Bashar al Assad, Maher – qui dirige la 4° division délite de l’armée ainsi que la Garde Républicaine – soit derrière ces graves violations des droits de la personne.

[14] Notamment Barak Obama qui aurait déclaré à propos de l’Egypte : « …vouloir voir les jeunes de la rue gagner et le gars de Google devenir Président… ».