
Pour tous ceux qui pensent encore que le système des interventions militaires a encore quelque avenir, voilà quelques lieux où elles ne semblent pas avoir véritablement changées la donne :
Avec notamment l’Afghanistan, la Centrafrique, l’Irak, Israël et les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie[1], le Mali – alimenté par une brillante intervention occidentale dans une Libye qui n’arrête pas de s’auto-dissoudre – la République Démocratique du Congo[2], le Sahara occidental, la Somalie, le Soudan – avec Abyei et le Darfour – le Soudan du Sud…
Selon le moment et les intérêts des pays occidentaux, parfois poussés par leurs opinions publiques, la lumière est mise sur un pays plutôt qu’un autre. La nécessité et l’urgence de l’intervention suivent en général dans les discours une fois l’émotion mise en mouvement. Après la Syrie, le Mali, l’Irak, les projecteurs sont maintenant dirigés sur l’Ukraine et Gaza. Le récit change selon que l’on soit dans un camp, dans l’autre… ou « dans pas de camp du tout », mais les chiffres des morts eux n’arrêtent pas de croître. Pour Gaza, et ses probables crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il est fait état d’au moins : 1 118 morts dont 827 civils – 243 enfants et 131 femmes – ainsi que 6 700 blessés – dont plus de 1 949 enfants et 1 160 femmes – plus de 240 000 déplacés du coté palestinien et 53 soldats et 3 civils du coté israélien[3].
Les Nations unies ont réagi le 24 juillet dernier avec une résolution A/HRC/RES/S-21/1[4] du Conseil des droits de l’Homme. Celle-ci a condamné « les violations généralisées, systématiques et flagrantes du droit international des droits de l’homme et des libertés fondamentales découlant des opérations militaires israéliennes menées depuis le 13 juin 2014 dans le territoire palestinien occupé… » et décidé de « … de dépêcher d’urgence une commission d’enquête internationale indépendante… ». La résolution a été adoptée par 29 pour, un contre et 17 abstentions, mais une fois encore l’occasion d’exprimer l’universalité des droits de la personne a été manquée avec ce qui apparaît comme un front occidental engagé entre une opposition et des abstentions[5]. La nouvelle complexité multipolaire du XXI° siècle ne semble pas encore avoir convaincue les autorités de ces pays des formidables champs du possible qu’elle propose pour la communauté internationale en terme de respect effectif de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
Ainsi, comme attachés aux vieux principes de la Realpolitik, les États-Unis[6] – suivis par l’Allemagne, l’Egypte, la France, la Grande Bretagne, l’Italie, le Qatar, l’Union Européenne et la Turquie – déploient des trésors d’ingéniosité pour résoudre le conflit de Gaza sans les principaux concernés : l’Autorité Palestinienne dont le Hamas et le gouvernement israélien. Les BRICS, qui représentent tout de même environ 40% de la population mondiale, ne sont pas consultés non plus ! Peut-être même vont-ils ressusciter Mark Sykes et François Georges-Picot – qui avaient dessiné en 1916 les frontières d’un Moyen-Orient franco-anglais – pour imposer le bien malgré elles à ces communautés qui n’y comprennent décidément rien.
Mais, en plus de cet anachronisme historique, le plus paradoxal dans cette posture de recherche de paix est que les États-Unis continuent de largement pourvoir l’armée israélienne en armement, ce qui représente entre 23 et 25% du budget de la défense israélienne[7]. Quant à l’Union Européenne, elle n’est pas en reste non plus en terme d’armements[8] en plus d’être le premier partenaire économique d’Israël.
«Lorsque l’on arme des voyous, on ne doit pas être surpris que ceux-ci se comportent comme des voyous», aurait dit l’ambassadeur français à l’ONU, Gérard Araud[9]. Cette phrase, il est vrai un peu brutale pour un ambassadeur de la France aux Nations unies, résume fort bien la question posée dans le titre de notre billet sur la participation d’un État à un acte illégal d’un autre État.
Mais de qui Gérard Araud parlait-il ? De la France, des États Unis et des pays de l’Union Européenne qui transfèrent des armes à Israël ?
Il ne s’agissait bien sûr que de la Russie et des séparatistes ukrainiens accusés par les gouvernements étasuniens et de l’Union Européenne d’avoir abattu le Boeing de Malaysia Airlines. D’un côté les preuves semblent s’accumuler chaque jour sur les possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité (actes de voyous, actes illégaux) de la part du gouvernement israélien à Gaza[10] et de l’autre, une absence abyssale de preuve des plus grandes puissances mondiales en matière de renseignement, notamment satellitaire. Les déclarations du contre-amiral John Kirby[11], porte-parole du Pentagone ainsi que le général Philip M. Breedlove[12], commandant des forces de l’Otan en Europe, auraient du les appeler à plus de prudence.
La seule satisfaction pour nous observateur de cette situation ukrainienne, est de constater que les États Unis se sont bien gardés de réitérer la présentation grand-guignolesque des preuves par le Secrétaire d’État Colin Powell pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003[13]. Pourtant cette fois l’histoire est simple : ont-ils les preuves ou ne les ont-ils pas, s’ils les ont, pourquoi ne les montrent-ils pas ?
L’absence de preuve de la culpabilité – qui fonde pourtant le droit international et qui justifie le vote des résolutions des Nations unies décidant la création de commissions d’enquêtes avant d’engager les trains de sanctions – ne semble troubler ni Barak Obama, ni les dirigeants de l’UE dans leur fameux 3eme train de mesures contre la Russie…
Soyons cependant positifs et proposons une porte de sortie. Les pays occidentaux ont les éléments de preuve d’actes illégaux perpétrés par le gouvernement syrien soutenus par les transferts d’armes de la Russie et de l’Iran. Avec le 3eme train de sanction contre la Russie, ils montrent qu’il est possible d’agir contre les États qui soutiennent un autre État engagé dans des actes illégaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité). Comme ces mêmes pays ont tous signés ou ratifiés le traité sur le commerce des armes (TCA), ils s’inscrivent dans la mise en oeuvre du paragraphe 2 de l’article 6 du TCA en suspendant tout transfert « qui violerait ses obligations internationales ». Ces obligations « erga omnes » « découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide, mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine… »[14]
Dans cet esprit la France se devrait de suspendre également la livraison des navires Mistral promis par le gouvernement précédent au gouvernement russe. La France montrerait ainsi son engagement indéfectible aux principes du TCA qui précisent « La nécessité d’appliquer le présent Traité de manière cohérente, objective et non discriminatoire; ». Elle pourrait ainsi incarner une force nouvelle de proposition afin de changer les vieux paradigmes des relations internationales datant du siècle dernier et enfin « bâtir la confiance entre les États[15] » basé sur les droits de l’Homme dans une construction pérenne de la paix et de la sécurité.
Benoît Muracciole
[1] L’ONUST établi en juin 1948 afin d’aider le Médiateur et la Commission de la Trêve à surveiller l’application de la trêve en Palestine : http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/untso/
[2] Malgré une estimation de plus de 5 millions de morts et une impunité quasi générale dont bénéficient notamment les assassins de Pascal Kabungulu, défenseur des droits de l’Homme et membre des Héritiers de la justice, tué le 31 juillet 2005 : https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/07/30/la-republique-democratique-du-congo-un-echec-continue-de-la-justice-internationale/
[3] http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_sitrep_30_07_2014.pdf
[4] http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/SpecialSessions/Session21/Pages/21stSpecialSession.aspx
[5] Les pays en gras représentent les BRICS.
Pour :
Algérie, Arabie Saoudite, Argentine, Brésil, Chili, Chine, Congo, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Cuba, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Kenya, Koweït, Maldives, Mexique, Maroc, Namibie, Pakistan, Pérou, Philippines, Fédération de Russie, Sierra Leone, Afrique du Sud, République Bolivarienne du Venezuela, Viet Nam
Contre :
États-Unis
Abstention:
Allemagne, Autriche, Benin, Botswana, Burkina Faso, République Tchèque, Estonie, France, Gabon, Grande Bretagne, Irlande, Italie, Japon, Monténégro, République de Corée, Roumanie, Ancienne République yougoslave de Macédoine.
[6] Voir la séquence ou le secrétaire d’État étasunien John Kerry déclare à propos des bombardements israéliens : « Quelle opération ciblée, en effet, quelle opération ciblée ! Je crois, Jon, que nous devrions y aller ce soir. C’est de la folie de rester ici à ne rien faire. Allons-y. » : http://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/video-israel-palestine-la-colere-de-john-kerry-enregistree-a-son-insu_652521.html
[7] En 2007 un accord bi latéral est signé entre les US et Israël « un investissement pour la paix » de 30 milliards $ pour les années 2009-2018 reconduit en 2014 pour les années 2019-2028 : http://fas.org/sgp/crs/mideast/RL33222.pdf
[8] https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/07/18/gaza-un-droit-international-relatif-aux-droits-de-lhomme-indivisible-et-universel/
[9] http://www.liberation.fr/monde/2014/07/29/sanctions-le-tardif-reveil-de-l-europe_1072495?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot
[10] Voir : http://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/unrwa-strongly-condemns-israeli-shelling-its-school-gaza-serious Violations graves du droit international pourraient apparaître comme ayant un caractère systématique au moins depuis 2006 ; voir « Israël Liban. Des attaques disproportionnées : les civils, premières victimes de la ,guerre » :http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE02/033/2006/fr/27309ef4-d3d7-11dd-8743-d305bea2b2c7/mde020332006fr.pdf ; « Israël/Gaza : En fournissant des armes, les pays étrangers alimentent le conflit » : http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE15/012/2009/en/9e714cc6-4221-46a0-a3bc-a2dcadd95b62/mde150122009fra.pdf ; Rapport Goldstone « Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza » : http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/12session/A-HRC-12-48_ADVANCE1_fr.pdf ; « Un an après le conflit meurtrier Israël/Gaza, le cauchemar continue » : http://www.amnesty.org/fr/news/year-deadly-israelgaza-conflict-nightmare-continues-2013-11-14 ; « Israël/Territoires palestiniens occupés : non à l’usage d’une force excessive contre les civils palestiniens en Cisjordanie » : http://www.amnesty.org/fr/news/israelopt-stop-use-excessive-force-against-palestinian-civilians-west-bank-2013-04-04
[11] http://consortiumnews.com/2014/07/27/blaming-russia-as-flat-fact/
[12] http://www.washingtonpost.com/world/national-security/separatists-said-to-have-had-anti-aircraft-training-in-russia/2014/07/18/0af398f2-0e82-11e4-b8e5-d0de80767fc2_story.html
[13] Los Angeles Times du 22 juillet : « … Les agences de renseignement américaines ont jusqu’à présent été incapables de déterminer les identités et la nationalité de l’équipage qui a lancé le missile. Les responsables américains ont dit qu’il était possible que le SA-11 ait été lancé par un transfuge de l’armée ukrainienne qui aurait été formé à l’utilisation des systèmes de missiles similaires… » http://touch.latimes.com/#section/-1/article/p2p-80870402/ voir aussi : http://consortiumnews.com/2014/07/22/the-mystery-of-a-ukrainian-army-defector/ .
[14] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-21/declarations-et-conventions-en-droit-international.50561.html
[15] Article 1 du TCA