Prépondérant [1]
D’abord nous avons besoin de reconnaître que depuis la fin du XX° siècle nous sommes entrés dans une crise mondiale des frontières dessinées par des « grandes puissances » depuis le début du XX° siècle. Les deux guerres mondiales et la période des indépendances furent des temps où les « grandes puissances » continuèrent allègrement ces découpages contre le droit des peuples. Si l’on considère la fin de la deuxième guerre mondiale il n’aura suffit que de deux générations pour faire exploser ces États qui ne tenaient que par la violence des régimes en place, souvent soutenus par ces mêmes « grandes puissances ». De l’Asie avec notamment l’Afghanistan, l’Irak, Israël, le Koweït, le Liban, et la Syrie – à l’Afrique : dont la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigeria, la République Démocratique du Congo, le Rwanda, la Somalie, le Soudan[2] pour les plus connues, à l’Europe avec l’Arménie/ Azerbaïdjan, la Yougoslavie et bien sûr l’Ukraine, les crises persistent. (Pour ce dernier pays, c’est un ultime dessin de ses frontières par Khrouchtchev qui lui donne la Crimée en 1954, sans aucune justification historique[3]).
Cette petite introduction permet de comprendre la fin de l’évidence de nombreuses frontières actuelles. Leurs nouvelles ébauches se dessineront dans le temps long de l’histoire et le droit international d’aujourd’hui s’adaptera comme il s’est adapté il y a à peine quatre ans, quand le Kosovo déclarait unilatéralement son indépendance. Aujourd’hui ce sont 106 pays[4] – dont l‘Allemagne, les États Unis, la Grande Bretagne et la France dès 2008 – qui l’ont reconnu sans états d’âmes particuliers, malgré la situation de la minorité serbe de Mitrovica qui refuse d’être rattachée à la capitale Pristina. D’une certaine manière le paragraphe 2 de l’article 1° de la Charte des Nations unies avait anticipé, inconsciemment, ces tensions futures quand il inscrit que « le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes[5] ».
Pourtant depuis l’intégration de la Crimée dans le giron Russe – comme une réponse à l’entrée des néonazis de Svoboda dans le gouvernement provisoire à Kiev et à ses premières déclarations[6] – l’occident semble s’être furieusement drapé dans une vision soudaine et pour le moins stricte du droit international. Oubliée la volonté des néocons étasunien d’un démantèlement de la Russie elle même[7]. Oubliée la menace que font planer les États Unis sur la Russie, malgré l’accord passé en son temps avec Gorbatchev, dans leur volonté d’intégrer de l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN[8]. Oublié le « Fuck the EU » de Victoria Nolan[9]. L’Union Européenne s’est alignée sur une position étasunienne qui a depuis longtemps cessé de réfléchir sur l’Europe. Elle met en lumière l’absence de stratégies à moyens et longs termes de l’Union Européenne, dont l‘Allemagne, la Grande Bretagne et la France, en terme de paix et de sécurité.
Aujourd’hui l’urgence du traitement des autres crises graves a disparu d’un souffle. C’était depuis longtemps le cas pour la République Démocratique du Congo, avec plus de 5 millions de morts, ça l’est aussi subitement pour la Syrie. La réponse des pays occidentaux est ainsi passée de la menace du bombardement du régime de Bachar al Assad, à une absence de pression sur les pays soutenant les forces responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité contre la population syrienne[10]. Il y a là un nouvel aveu des pays occidentaux sur les doubles standards qu’ils pratiquent quant à l’interprétation de l’urgence et des moyens qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour tenter d’y répondre.
La bonne nouvelle est que lorsqu’il y a une volonté politique d’agir – les deux premiers trains de sanctions décidées par l‘Allemagne, les États Unis, la Grande Bretagne et la France le montrent – celle-ci est possible. C’est ainsi que la Grande Bretagne a déclaré avoir suspendu toute exportation d’armes[11], tout comme l’Allemagne[12] ainsi que la France avec une exception de taille : les deux navires Mistrals[13]. D’une façon logique, mais un peu hypocrite[14], la pression retombe sur le gouvernement français qui avait signé ce mirifique contrat avec la Russie en 2011 pourtant 3 ans à peine après la crise géorgienne[15].
La mauvaise nouvelle est l’hypocrisie de ces pays car si la suspension de ce contrat se pose légitimement au regard du droit international elle ne l’est pas à cause de la situation ukrainienne, mais à cause du soutien militaire russe au régime de Bachar al Assad.
C’est la révolution copernicienne que propose, en creux, le traité sur le commerce des armes. Il s’agit de repenser la hiérarchie des normes du droit international afin de sortir de cette impossible logique qui pousse la question de la Paix et de la Sécurité « au dessus » des droits de l’Homme. Or cette confusion qui a conduit à la real politique pendant toutes ces années, avec notamment la mise en place de régimes despotiques et l’intangibilité des frontières, est un échec patent et l’exemple de la partition du Soudan du sud ne fait que le confirmer. Un petit pas de côté serait pourtant suffisant afin de considérer les droits de la personne comme le moyen d’atteindre la Paix et de la Sécurité.
Révolution copernicienne car les droits de l’Homme, dont les droits économiques sociaux et culturels, engagent les États pour une justice concrète offerte à tous sans discrimination.
Benoît Muracciole
[1] Prépondérant Article 7 paragraphe 7 du traité sur le commerce des armes :
Exportation et évaluation des demandes d’exportation
1. Si l’exportation n’est pas interdite par l’article 6, chaque État Partie exportateur, avant d’autoriser l’exportation d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de tout autre bien visé par les articles 3 ou 4, selon ce qui relève de sa juridiction et conformément à son régime de contrôle national, évalue, de manière objective et non discriminatoire, en tenant compte de tout élément utile, notamment de l’information fournie par l’État importateur en application de l’article 8 (1), si l’exportation de ces armes ou biens :
a) Contribuerait ou porterait atteinte à la paix et à la sécurité;
b) Pourrait servir à :
i) Commettre une violation grave du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission;
ii) Commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en faciliter la commission;
iii) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission; ou
iv) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs à la criminalité transnationale organisée auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission.
2. L’État Partie exportateur envisage également si des mesures pourraient être adoptées pour atténuer les risques énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 1), y compris des mesures de confiance ou des programmes élaborés et arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs.
3. Si, à l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation.
4. Lors de son évaluation, l’État Partie exportateur tient compte du risque que des armes classiques visées à l’article 2 (1) ou des biens visés aux articles 3 ou 4 puissent servir à commettre des actes graves de violence fondée sur le sexe ou des actes graves de violence contre les femmes et les enfants, ou à en faciliter la commission.
5. Chaque État Partie exportateur prend des mesures pour s’assurer que toutes les autorisations d’exportation d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de biens visés par les articles 3 ou 4 soient détaillées et délivrées préalablement à l’exportation.
6. Chaque État Partie exportateur communique les informations appropriées concernant l’autorisation en question aux États Parties importateurs et aux États Parties de transit ou de transbordement qui en font la demande, dans le respect de son droit interne, de ses pratiques ou de ses politiques.
7. Si, après avoir accordé l’autorisation, un État Partie exportateur obtient de nouvelles informations pertinentes, il est encouragé à réexaminer son autorisation, après avoir consulté au besoin l’État importateur.
« Si, à l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation ».
[2] Repris par la conférence de l’Organisation de l’Union Africaine du 17 au 21 juillet 1964 : http://www.refworld.org/pdfid/493fca2e2.pdf
[3]http://www.les-crises.fr/ukraine/ et http://www.histoire.presse.fr/actualite/infos/crimee-memoire-russe-20-03-2014-87830http://www.diploweb.com/Crise-ukrainienne-quel-pilotage.html
[4]http://elections-en-europe.net/institutions/pays-ayant-reconnu-le-kosovo/
[5] Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde : http://www.un.org/fr/documents/charter/
[6] Vice Premier Ministre : Oleksandr Sych, Responsable du Conseil de Sécurité et Défense Nationale : Andriy Parubiy, Membre du Conseil de Sécurité et Défense Nationale Ministre de l’Ecologie : Andriy Mokhnyk, Ministre de l’Agriculture : Ihor Shvaika Procureur General : Oleg Mokhnytsky (bras exécutif de la justice) ; Ihor Tenyukh a démissionné du ministère de la Défense en mars 2014 : http://blogs.mediapart.fr/blog/xavier-d/020314/etat-des-lieux-des-neo-nazis-au-pouvoir-kiev, voir aussi : http://www.les-crises.fr/secteur-droit-c-est-ca/ , http://www.les-crises.fr/nazis-ukraine-la-galicie/#!prettyPhoto et http://consortiumnews.com/2014/05/10/burning-ukraines-protesters-alive/http://consortiumnews.com/2014/05/14/hitlers-shadow-reaches-toward-today-2/
[7] Robert Gates dans ses mémoires à propos de Dick Cheney : http://consortiumnews.com/2014/05/10/putting-the-ukraine-crisis-in-context/ ; voir aussi le lien entre le 1° ministre ukrainien Arseni Yatseniouk et, notamment, l’OTAN, le département d’État étasunien… : http://openukraine.org/en/about/partners
[8]https://wikileaks.org/plusd/cables/08MOSCOW265_a.html et http://consortiumnews.com/2014/05/15/how-nato-jabs-russia-on-ukraine/
[9] Où l’on apprend aussi que Victoria Nolan assistante du Secrétaire d’État s’oppose à l’entrée du boxeur Wladimir Klitschko, mais apparemment à celle d’Oleksandr Sych ou d’Andriy Parubiy : http://planetinvestigations.com/?p=3819
[10] Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur la Syrie, mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=28776&Kw1=syrie&Kw2=&Kw3=#.U3k_EC8WVyw http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=30451#.U3Y36y8WVyw
[11]http://www.theguardian.com/world/defence-and-security-blog/2014/mar/10/arms-russia-ukraine
[12] Dans le rapport COARM 2012 de l’Union Européenne; voir aussi : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/germany/10785658/Germany-halts-weapons-exports-to-Russia.html
[13] Contrat d’environ 1,2 milliards €
[14] Dans le rapport COARM 2012 de l’Union Européenne la Grande Bretagne à autorisé pour plus de 10 millions €, l’Allemagne pour plus de 40 millions € et la France pour plus de 118 millions € malgré le soutien de la Russie au régime syrien.