Action juridique multiple pour exiger la suspension des livraisons d’armes à Israël

11 04 2024

Alors que le bilan s’alourdit à Gaza et que l’offensive israélienne prend une allure de génocide, l’ASER, Amnesty et un collectif d’organisations et syndicats, dont Attac, engagent, devant le Tribunal administratif de Paris, trois procédures d’urgence exigeant que le gouvernement français suspende la vente d’armes françaises à Israël.

Durant la semaine du 9 avril et avant le 12 avril, des avocats d’Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER) ; (SFW) d’un collectif d’ONGs représentant Attac, la Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR), l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), l’Association des Marocains de France (AMF), le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), l’Union Syndicale Solidaires, ainsi que d’Amnesty International France ont déposé respectivement, ou sont sur le point de le faire, trois référés devant le Tribunal administratif de Paris concernant les autorisations de transferts d’armes délivrées par les autorités françaises au bénéfice d’Israël.

Trois organisations s’associent également via des interventions volontaires à la procédure d’urgence lancée par ASER soit l’ACAT-France, Stop Fuelling War et à celle initiée par Amnesty International France soit la Ligue des droits de l’Homme (LDH).

Ces trois démarches juridiques distinctes ont pour objectif de faire respecter les engagements internationaux de la France. En effet, Il existe clairement un risque que les armes et les équipements militaires que la France exporte vers Israël soient utilisés pour commettre de graves crimes contre des populations civiles dans la bande de Gaza occupée. Ce faisant, la France viole les règles internationales relatives notamment au Traité sur le commerce des armes et risque de devenir complice de violations du droit international – y compris de crimes de guerre – et d’un possible génocide.

Nos ONGs soulignent que ces démarches contentieuses s’inscrivent dans un contexte de très graves violations du droit international humanitaire justifiant une urgence dans la réponse de la justice. Tous les États parties à la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), dont la France, ont l’obligation de prévenir la commission du génocide et de s’abstenir de contribuer à sa commission. 

Les déclarations ci-dessous sont de la seule responsabilité de leurs auteurs.

Le Président d’ASER, Benoît Muracciole a déclaré : « Le gouvernement français a l’obligation de respecter les engagements internationaux de la France au regard de l’article 6 paragraphes 2&3 du Traité sur le commerce des armes, et de suspendre tout transfert quand ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre. »
 
Le Président d’Amnesty International France, Jean-Claude Samouiller a déclaré : « La France ne peut pas ignorer le fait que des composants français pourraient être utilisés dans la bande de Gaza car assemblés dans des armes israéliennes. Peu importe la quantité et le montant des matériels de guerre transférés, la France n’a qu’une seule responsabilité : s’assurer que ses transferts d’armes n’emportent pas un risque substantiel d’être utilisés pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire. » 
 
La Présidente de l’AFPS, Anne Tuaillon a déclaré : «  Agir pour l’arrêt d’un génocide en cours n’est pas une option, c’est une obligation. Et la première des obligations est de cesser le commerce des armes avec Israël. L’action judiciaire dont nous sommes partie prenante s’inscrit dans cette exigence que nous formulons vis-à-vis des autorités françaises. »
 
Yves Rolland, Président de l’ACAT-France : « En vendant des armes à Israël, la France contribue au risque de faire basculer son droit légitime à se défendre en génocide. Il est urgent de suspendre ces transferts, conformément au Traité sur le commerce des armes que la France a ratifié. » 
Fondements

Alors que la CIJ, le 26 janvier, a statué sur le caractère plausible d’un génocide en cours et qu’elle a établi le 28 mars que la situation continuait à se détériorer dans la bande de Gaza, la famine n’étant plus seulement un risque mais une réalité, la France comme tous les États parties à la Convention sur le génocide, a une obligation d’agir pour mettre fin à cette situation. Elle s’ajoute à celles qui sont formulées par le Traité sur le Commerce des Armes, ratifié par la France, et par la Position commune de l’Union européenne en matière d’exportation d’armes.

Or il apparaît de plus en plus clairement, à travers les réponses du gouvernement aux différentes interpellations écrites et orales qui lui ont été adressées, que la France continue de livrer du matériel de guerre à l’État d’Israël. Avec l’affaire Eurolinks révélée par le média d’investigation indépendant Disclose, ces livraisons de matériels militaires sont apparues au grand jour. 

Nos organisations, chacune porteuse de son histoire et de la logique d’élaboration de son action contentieuse, ont décidé de coordonner leurs actions et de s’adresser à la presse et à l’opinion française par ce communiqué commun. C’est une situation inédite, qui répond à l’extrême gravité des crimes commis par le gouvernement israélien contre le peuple palestinien dans la Bande de Gaza. 

Déroulé et résumé des démarches 

  • Le 9 avril 2024, maître Matteo Bonaglia pour le compte de l’ONG Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER) a saisi le Tribunal administratif de Paris au moyen d’une procédure d’urgence à laquelle les associations Acat France, et Stop Fuelling War s’associeront par intervention volontaire. Le référé suspension auquel il est recouru vise à demander la suspension d’une licence d’exportations de matériels de guerre relevant de la catégorie ML3 (munitions et éléments de munitions) à destination d’Israël. 
  • Puis Maîtres William Bourdon et Vincent Brengarth, pour le compte d’un collectif d’associations et de syndicats, a saisi le Tribunal administratif de Paris au moyen d’une procédure d’urgence. Le référé-liberté auquel il est recouru vise à demander la suspension de toutes les licences d’exportation de matériels de guerre et de biens à double usage à destination d’Israël. 
  • Enfin, Maîtres Marion Ogier et Lionel Crusoé, pour le compte d’Amnesty International France, doivent saisir le Tribunal administratif de Paris au moyen là aussi d’une procédure d’urgence sous la forme d’un référé-liberté. Il s’agit d’obtenir la suspension des licences d’exportation de matériels de guerre pour les catégories ML5 (matériels de conduite de tir) et ML15 (matériels d’imagerie) à destination de l’État d’Israël. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) s’y associe par une intervention volontaire qu’elle forme à l’appui de cette requête. 

Contexte

La décision de la CIJ du 26 janvier 2024 a mis sur le devant de la scène la question des ventes d’armes à Israël comme enjeu de droit international. Des démarches contentieuses ont déjà été engagées dans différents pays par des collectifs d’ONGs au Danemark et aux Pays-Bas ; avec succès dans ce dernier pays. Dès le 5 février, la Région wallone (Belgique) a annoncé la suspension temporaire de deux licences d’exportation de poudre à Israël sous la pression des ONGs. L’Espagne, l’Italie et le Canada ont suspendu temporairement et en partie leurs transferts d’armes. Au niveau international, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a officiellement demandé le vendredi 5 avril l’arrêt des ventes d’armes à Israël. La France s’est abstenue lors du vote. 





Il faut prévenir le risque de génocide à Gaza

1 11 2023

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Paris, le 1 novembre 2023

Il faut prévenir le risque de génocide à Gaza

Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER) appelle à nouveau tous les gouvernements, dont le gouvernement français, à suspendre d’urgence tous leurs transferts d’armes vers Israël conformément à leurs engagements devant la Convention de 1948 des Nations Unies pour la Prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG) ainsi que de l’article 6 paragraphes 2 et 3 du Traité sur le commerce des armes des Nations Unies (TCA). 

Les déclarations du ministre de la défense du gouvernement israélien Yoav Gallant qui avait déclaré le 9 octobre dernier : « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence » pouvait faire craindre un génocide. 

Les plus de 7 000 civils morts dont près de 3 000 enfants[1] – informations fournies par le ministère de la santé du Hamas et corroboré par Human Right Watch – près de 21 000 blessés[2] sont les signes d’une guerre menée par l’armée israélienne des plus effrayantes, semant la terreur sur toute la population Gazaouite sans distinction.

ASER se joint à l’appel des experts des Nations unies qui qualifient les bombardements d’hôpitaux et d’écoles de crimes contre l’humanité et qui appellent par ailleurs à la prévention des génocides.

Non seulement certains États parties à la CPRCG, comme les États-Unis, la France et la Grande Bretagne, n’ont pas respecté leurs obligations liées à l’article 1, de prévenir la commission d’un génocide. Mais il est possible que leurs exportations d’armes au gouvernement israélien atteignent, en vertu du droit international comme le souligne le « Center for Constitutional Rights », un niveau de complicité dans un possible crime de génocide. 

Cette complicité concerne aussi les individus jusqu’aux chefs d’État. L’action de la CPI à Gaza – mais aussi concernant les guerres existantes comme en Éthiopie, en Libye ou en République Démocratique du Congo – sera scrutée avec attention. Elle pourrait enfin constituer un début de justice pour les populations touchées.

ASER continue de dénoncer avec force les graves violations des droits de l’Homme, les crimes internationaux perpétrés par le Hamas et le gouvernement israélien et de demander l’arrêt de transferts d’armes aux deux parties. 

ASER a le statut consultatif spécial ECOSOC aux Nations unies,

ASER est membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères (RAIAL),


[1] Au 27 octobre 2023

[2] Sarah Chateau MSF, les matins de France culture, le 31 octobre 2023





25 ans après le génocide, quelles responsabilités de la France dans les transferts d’armes au Rwanda ?

8 04 2019

Sans titre

Extrait du livre « Quelles frontières pour les armes ? – L’action de citoyens pour l’élaboration du traité sur le commerce des armes » Editions A Pedone[1].

  1. Des transferts irresponsables d’armes au service d’un génocide

Le génocide du Rwanda : plus de 800 000 Tutsis, Twas et opposants Hutus massacrées avec des armes légères et de petits calibres (ALPC) et des machettes. Les milices Interhamwes, les membres des Forces Armées Rwandaises (FAR) et de la garde présidentielle armés d’ALPC, encadraient des individus équipés de machettes pour perpétrer les massacres et semer la terreur auprès des futures victimes.

Pourtant c’est malheureusement l’image de « génocide de machettes » qui va s’imprégner dans la conscience collective de nombreuses personnes car largement véhiculée par une partie des médias, des politiques et parfois des membres d’ONG. Ce ne sont pourtant pas les vendeurs de machettes qui attirent les intermédiaires en armes – ceux qui se placent entre le producteur et l’utilisateur final – dans le Rwanda d’avant et pendant le génocide. Dominique Lemonnier, de nationalité française et propriétaire de DYL Investments ainsi que de Mil Techétait l’un d’eux[2]. Il était l’un de ces personnages de l’ombre travaillant avec d’autres dans de nombreux pays comme : l’Afrique du sud, l’Albanie, la Belgique, la Bulgarie, la Chine, l’Egypte, la Grande Bretagne, la Grèce, l’Italie, Israël, la Pologne et d’autres pays aux centres financiers attractifs[3]. Il a opéré depuis son domicile en France avec des financements du Crédit Lyonnais et de la Banque Nationale de Paris[4]…

  1. L’aveuglement de la France

Il est impossible pour les responsables politiques français de continuer à affirmer qu’ils n’étaient pas au courant des risques de massacres voir de génocides par les différentes forces armées fidèles au régime d’Habyarimana dès 1989. En atteste des télégrammes diplomatiques qui notent l’existence de caches d’armes et des listes de Tutsis à éliminer[5].

L’ambassadeur Georges Martres[6]reviendra sur les risques de génocide  dès octobre 1990: « Le génocide était prévisible dès cette période, sans toutefois qu’on puisse en imaginer l’ampleur et l’atrocité[7]. »

Les avertissements du général Jean Marc Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération d’octobre 1990 à avril 1993, sur la volonté d’éradiquer les Tutsis qui « imprègne tout particulièrement l’armée composée uniquement de Hutus » comme lui avait expliqué le Colonel Rwagafilita, « ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider[8] ». Les notes de Pierre Joxe, ministre de la Défense de l’époque[9]et enfin les massacres et les exécutions extra-judiciaires sont aussi décrits en 1993 dans le rapport de M. Bacre W. M. Ndiaye, rapporteur spécial des Nations Unies sur le Rwanda[10]…

  1. Les leçons à tirer du Génocide

L’aveuglement d’une grande partie du monde politique a conduit les autorités françaises à faire preuve au minimum d’une grande négligence dans les autorisations de transferts d’armes au profit du gouvernement de Juvénal Habyarimana. Cette négligence vient aussi de ce réflexe profondément ancré dans la culture des élites françaises que nous pourrions attribuer au « syndrome de Fachoda[11] ». Pour une génération de politiciens français, il fallait faire barrage au complot du Front patriotique rwandais (FPR) anglophone en soutenant le régime francophone d’Habyarimana. Elle dépasse le clivage gauche droite, même si la lutte historique d’une partie de la gauche contre le colonialisme aurait dû la protéger de ce grave tropisme. Pour preuve, en octobre 2004, lors d’une rencontre avec un député du Parti socialiste à propos du projet de traité sur le commerce des armes, ce dernier affirmera à l’évocation du génocide rwandais : « C’est un complot de la CIA ! ». Cette vision, liée au « syndrome de Fachoda », des causes du génocide Rwandais semble avoir mis une partie de la classe politique française dans une position défensive qui l’a enferrée dans « une forme d’aveuglement ». L’intime conviction d’appartenir à une culture supérieure, diffusée dans les formations des futures élites des serviteurs de l’Etat, ne les aidait certes pas. Cette logique les a conduits à une impossible capacité à se remettre en cause et ainsi de pouvoir tenter de discerner leurs tragiques erreurs.

Ironie de l’histoire, des années plus tard, dans une émission sur France Culture Hubert Védrine déclarera :

« … dès les année 90, dès les attaques du FPR de l’Ouganda, François Mitterrand avait compris que compte tenu de l’histoire de ce pays ça ne pouvait pas ne pas déclencher un engrenage meurtrier avec des conséquences terribles, des massacres, même si personne ne pouvait imaginer la proportion qu’a pris en 94 ce génocide[12]… ».

[1]http://pedone.info/livre/quelles-frontieres-pour-les-armes/

[2]

DYL Investments était enregistrée aux iles Turques et Caïques et  Mil Tech au Rwanda. Rapport d’information  déposé en application de l’article 145 du règlement par la mission d’information de la commission de la défense nationale et des forces armées et de la commission des affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994. Sommaire des annexes : http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/rwanda/anex10b2.pdf. Il mourra le 11 avril 1997 d’une mystérieuse rupture d’anévrisme,

[3]Voir Brian Wood et Johan Peleman, 2000, Arms fixers Controlling the Brokers and Shipping Agents,  NISAT/PRIO/BASIC : https://www.prio.org/Publications/Publication/?x=658

[4]Ibid. Page 19. La BNP se retrouvera à nouveau impliqué dans l’intermédiation financière de l’Angolagate.

[5]Report of the independant inquiry into the action of the United Nations during the 1994 genocide in Rwanda, 1999,  page 10 : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N99/395/47/IMG/N9939547.pdf?OpenElement

[6]Ambassadeur de France au Rwanda de 1989 à 1993

[7]Georges Martres, Rapport mission d’information du Rwanda, audition du 22 avril 1998 : http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp

[8]Ibid. Rapport mission d’information du Rwanda 1998, paragraphe b) Des massacres constitutifs d’un génocide.

[9]Piotr Smolar, « Génocide rwandais : Ce que savait l’Elysée » Le Monde, le 12 mars 2008 : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/03/12/genocide-rwandais-ce-que-savait-l-elysee_930489_3212.html

[10]Conseil économique et Social ; Commission des droits de l’Homme ; cinquantième session 11 août 1993 ; chapitre III, page 10 à14

[11]Arrivée à Fachoda situé dans le nord de l’actuel Soudan du Sud le 10 juillet  1898, l’armée française avec à sa tête le général Jean Baptiste Marchand, renomme la place « Fort Saint Louis ». Celle-ci quittera Fachoda le 11 décembre 1898 pour Djibouti sous la pression des britanniques. La guerre est évitée mais cet épisode est vécu comme une grande humiliation et comme la preuve de la « félonie » britannique pour les nationalistes français. Quelques mois plus tard, le 21 mars les français et le britanniques signent une Convention au mépris des africains, et se partagent  le continent entre « les eaux du Nil et celles des affluents du lac Tchad ». Plus de 100 années après cet évènement inscrit dans l’inconscient collectif français, toute critique de la politique de la France en Afrique apparaît encore pour beaucoup  comme faisant le jeu des britanniques ou des Etats Unies en Afrique.

[12]Le monde selon Hubert Védrine ; France culture ; vendredi 4 avril 2014 ; 7h18.





George H.W. Bush / Trafic d’armes / Graves violations des droits de l’Homme / Crimes de guerre / Génocide…

3 01 2019

2-18

Lors du décès des chefs d’Etat un phénomène physique curieux semble envahir le cerveau des journalistes des grands médias et de quelques personnages politiques aux affaires. Il se caractérise par une atrophie soudaine de la mémoire. Voilà sans doute l’explication la plus plausible aux panégyriques trouvés jusque dans les journaux français[1].

Il est vrai que George H.W. Busha eu un démarrage difficile car pendant qu’il pilotait des avions de chasse et luttait contre le nazisme, son père Prescott Bush, construisait la fortune familiale avec le camp d’en face.  En effet, membre associé de Brown Brothers Harriman, il fit  de grandes et fructueuses affaires avec Fritz Thyssen, un des soutien du régime nazi qui permit notamment la création de l’industrie de l’armement du IIIèmeReich jusqu’en 1942[2]. George H.W. Bush a bénéficié de la fortune faite par son père et des liens que les meilleurs écoles étasuniennes permettent, précisément quand il se lance dans les affaires du pétrole. C’est cette porte qui plus tard ouvrira celles de toute la famille Bush auprès des princes saoudiens[3].

 

Mais pour être juste dans cette biographie – et la participation active de George H.W. Bushaux graves violations des droits de l’Homme – il faut commencer par son passage à la tête de la CIA de janvier 1976 à janvier 1977[4]. George H.W. Bushy continue le soutien de l’agence aux mouvements évangélistes qui sont considérés par les conservateurs étasuniens comme le meilleur rempart à la théologie de la libération en Amérique Latine[5].  Cette assistance porte aujourd’hui de drôles de fruits avec l’élection de Bolsonaro à la Présidence du Brésil[6].

 

Toujours directeur de la CIA, George H.W. Bush couvre l’attentat qui tua en septembre 1976, le dissident chilien et ancien ministre des Affaires Etrangères d’Allende, Orlando Letelier, ainsi que  Ronni Moffitt, une activiste étasunienne. Les services secrets d’Augusto Pinochet – ainsi que ceux d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay – avaient  mis au point l’opération Condor qui traquait tous les opposants engagés dans la dénonciation de ces régimes dictatoriaux. George H.W. Bush et son assistant Vernon Walters avaient reçu les informations de l’ambassadeur étasunien au Paraguay, George Landau selon lesquelles des agents de la DINA (services secrets chilien) demandaient des visas pour les Etats Unis sous de faux passeports. La CIA les avait laissés entrer sur le sol étasunien pour commettre cette exécution extrajudiciaire et arbitraire[7]. Quelques années plus tard Robert Parry mit à jour cette complicité en démontrant l’appartenance du chef de la DINA, Juan Manuel Contreras, à la CIA[8].

Au Panama c’est avec Manuel Noriega que George H.W. Bush fait ses affaires. Etudiant, Noriega dénonce ses petits camarades gauchistes avant de rejoindre l’école des Amériques, célèbre pour avoir formé presque tous les nervis des dictateurs d’Amérique latine sur des techniques de contre-insurrection qui prônait l’usage de la torture, des disparitions et des exécutions extrajudiciaires[9]. Noriega sera payé par la CIA dès 1971, il continuera de se débarrasser violemment des opposants politiques et profitera également du juteux trafic de drogue pour s’enrichir. Il servira sous la responsabilité du Bush, directeur de la CIA, jusqu’à ce qu’il devienne gênant au Bush, président des Etats Unis, qui s’en débarrassera en 1990[10].

Le même scénario se reproduit en Colombie avec la CIA qui participe encore à la répression des groupes de la société civile colombienne luttant pour le respect des droits de l’Homme, allant même jusqu’à saboter les enquêtes de la Drug Enforcement Agency (DEA). Au Guatemala, plus de 200 000 personnes ont été exterminés, avec ce qui a été décrit par une commission d’enquête comme étant un génocide contre les Indiens Mayas des hauts plateaux du Guatemala[11]. Au Salvador, environ 70 000 personnes sont mortes. Des villages entiers ont été massacrés dans l’opération « tierra arrasada » (terre brulée). En 1981, un bataillon entraîné par les États-Unis a abattu des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans la ville d’El Mozote[12]. Les massacres continuent, notamment à El Calabozo le 21 aout 1982 où aujourd’hui les familles des victimes n’ont toujours pas obtenu la justice[13].

Mais cela n’est que le début de son « œuvre ». Fin des années 70, George H.W. Bush, libéré de ses engagements à la CIA, va être dans l’ombre du blocage de la libération des otages étasuniens de l’ambassade à Téhéran sous la présidence de Jimmy Carter[14]. Comme futur vice président, il fait parti de l’équipe de Ronald Reagan candidat lui, à la présidence des Etats Unis. L’équipe de Reagan promet des livraisons d’armes en direction du régime de Téhéran, en lien avec le gouvernement israélien à condition que le régime de Khomeiny attende la fin de la campagne électorale qui oppose le président en exercice Jimmy Carter à Ronald Reagan avant de libérer les otages[15]. Il est toujours vice président lors de l’affaire des Contras que le journaliste Gary Webb dévoilera, seul contre tous. C’est dans le milieu des années 90 que Gary Webb démontrera  comment la drogue des cartels de Colombie fut chargée dans les avions de l’armée étasunienne et livrée à Ricky Donnell Ross, un dealer des « gangstas » of Compton and South-Central Los Angeles[16]. L’argent ira armer les Contras dont les Fuerza Democratica Nicaraguense (FDN), un groupe armé opposé aux sandinistes qui avaient le pouvoir au Nicaragua.  Les FDN ont été responsables de graves violations des droits de l’Homme. Tous les moyens ont donc été bons – sous la présidence Reagan et la vice présidence Bush – dans la lutte contre les régimes démocratiques d’Amérique latine, jusqu’à inonder de crack les banlieues sud de Los Angeles[17]. Le gouvernement étasunien poussera le journaliste au suicide, bien aidé en cela par les principaux journaux étasuniens – dont notamment le Washington Post et le New York Times et son propre journal San Jose Mercury Newstrop occupés à couvrir le scandale Lewinsky / Clinton – qui n’ont cessé de contester son remarquable travail de journaliste[18].

Enfin l’intervention des Etats Unis contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991 est venu couronner  « l’œuvre » de George H.W. Bush en faveur du respect des droits de l’Homme, mais cette fois il est président des Etats Unis. Après avoir soutenu militairement sans ciller le régime dictatorial irakien [19], les Etats Unis et les pays occidentaux décident de s’en débarrasser. Un scénario est mis en place pour faire monter la pression internationale contre Saddam Hussein qui réclame de l’argent à ses voisins, notamment le Koweït, pour le dédommager de la guerre contre l’Iran[20].

Le 25 juillet 1990, quelques jours avant l’invasion du Koweït par l’Irak, dans un câble de l’ambassadrice étasunienne April Glaspie, celle ci reporte avoir dit à Saddam Hussein que les Etats Unis n’ont : « pas d’opinion sur vos conflits arabo-arabes, tels que votre différend avec le Koweït. Le secrétaire d’État, James Baker, m’a chargé de souligner l’instruction, donnée pour la première fois à l’Iraq dans les années 1960, selon laquelle la question du Koweït n’est pas associée à l’Amérique[21] ».

Dans le temps de l’énorme pression que Saddam Hussein faisait peser sur le Koweït, cette déclaration  est apparue à beaucoup comme un feu vert donné au dictateur pour envahir ce pays voisin. L’incompétence de l’ambassadrice  ou l’acceptation de celle-ci de jouer le rôle de l’imbécile,  aura permis  de justifier aux yeux de l’opinion publique la deuxième guerre du Golf appelée «Tempête du désert»[22]. Celle-ci fut pour les Etats Unis le moyen non seulement d’affaiblir Saddam Hussein qui avait eu l’outrecuidance de vouloir se débarrasser du dollar dans les ventes du pétrole irakien. Mais elle fut aussi l’occasion de consacrer la politique de  domination des neocons étasuniens, dont Zbigniew Brezinski, ancien conseiller à la sécurité du président Carter, disait que : « la question du pétrole n’était pas une question d’accès mais de contrôle de sa production[23] ». Grâce à Saddam Hussein les Etats Unis allaient pouvoir renforcer ce contrôle au Moyen Orient.

En plus de cela, cerise sur le gâteau, les Etats richissimes du golf devront assurer pour de longues années, la croissance étasunienne en signant des contrats de plus en plus mirifiques en faveur l’industrie d’armement des Etats Unis[24]. Le bilan des droits de l’Homme des populations irakiennes est désastreux. Les Kurdes que George H.W. Bush avait appelés à se soulever sont gazés par le dictateur. Quant aux chiites du sud de l’Irak, ils sont massacrés.  Les évaluations du nombre de morts directs et indirects sont toujours difficiles, elles se situeraient entre 4000 et 400 000 morts[25]et l’on ne compte pas les crimes de guerre dont l’armée étasunienne fut responsable[26].

La politique de George H.W. Bush sur l’Irak fut merveilleusement reprise par l’administration Clinton. C’est sans doute Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat de Bill Clinton, qui l’illustra le plus clairement. A la question d’un journaliste qui lui  demandait si les 500 000 enfants irakiens morts « en valait la peine », elle répondit comme un hommage ultime à  George H.W. Bush : « Je pense que c’est un choix très difficile, mais le prix en vaut la peine »[27].

 

Jean Claude, Alt, médecin anesthésiste, administrateur ASER, expert droits de l’Homme

Benoît Muracciole, Président ASER, expert droits de l’Homme / force publique, auteur de « Quelles frontières pour les armes » édition A Pedone

 

[1]https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/01/mort-de-george-h-w-bush-politiques-et-personnalites-rendent-hommage-a-l-ancien-president_5391226_3210.html; http://www.lefigaro.fr/international/2018/12/01/01003-20181201ARTFIG00019-l-ex-president-americain-george-hw-bush-est-mort-a-l-age-de-94-ans.php;

[2]https://www.theguardian.com/world/2004/sep/25/usa.secondworldwar

[3]https://www.theguardian.com/us-news/2018/dec/04/george-hw-bush-saudi-arabia-donald-trump; https://consortiumnews.com/2018/12/12/george-hw-bushs-bitter-legacy-in-the-middle-east/; voir aussi Fahrenheit 9/11 de Michael Moore ; 2004

[4]Il est le seul président des Etats Unis qui a été directeur de la CIA.

[5]https://www.politico.com/story/2017/01/church-committee-established-jan-27-1975-234079; https://www.nytimes.com/1976/01/29/archives/churches-angered-by-disclosures-seek-to-bar-further-cia-use-of.html; https://medium.com/@juliosevero/evangelicals-represent-the-greatest-conservative-force-in-the-brazilian-elections-dce5a378cd95http://lastdayswatchman.blogspot.com/2016/05/the-religious-war-between-cia-and-kgb.html; http://www.aspeninstitute.it/aspenia-online/en/article/latin-american-evangelicals-and-us-geopolitics

[6]http://indiafacts.org/religious-crusades-cia/; https://www.wikileaks.org/plusd/cables/1977BRASIL09820_c.html

[7]https://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet11Rev.1fr.pdf

[8]https://consortiumnews.com/2018/12/01/george-h-w-bush-the-cia-and-a-case-of-state-sponsored-terrorism/; https://consortiumnews.com/2018/12/05/the-bushes-death-squads/; https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/1980/06/29/the-unresolved-questions-in-the-letelier-case/f70e1f2a-159f-492d-9a2a-a1f74d6d3430/?utm_term=.f59d4b5da54d

[9]Unmatched Power, Unmet Principles: The Human Rights Dimensions of US Training of Foreign Military and Police Forces Amnesty International USA Publications : https://www.amnestyusa.org/pdfs/msp.pdf

[10]https://www.nytimes.com/1986/06/12/world/panama-strongman-said-to-trade-in-drugs-arms-and-illicit-money.html?pagewanted=all; https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/05/manuel-noriega-obituary-monroe-doctrine/518982/

[11]https://www.un.org/press/en/1999/19990301.guate.brf.html; https://www.documentcloud.org/documents/357870-guatemala-memory-of-silence-the-commission-for.html; voir traduction les crise.fr

[12]https://consortiumnews.com/2018/12/05/the-bushes-death-squads/; https://www.researchgate.net/publication/35495531_Buried_Secrets_Truth_and_Human_Rights_in_Guatemala

[13]https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2012/08/el-salvador-asesinados-sangre-fria-el-calabozo-orillas-rio/

[14]https://consortiumnews.com/2018/12/03/bush-41s-october-surprise-denials-2/; https://www.youtube.com/watch?v=yhzfNSMHN-A

[15]« Le cas symptomatique de l’Iran » Benoît Muracciole, les cahiers de l’Orient n° 105

[16]En mission pendant la guerre de la République Démocratique du Congo, nous avions rencontré un colonel de l’armée française ancien attaché militaire e Colombie qui nous avait dit avoir vu de ses propres yeux au Honduras, les étasuniens décharger la cocaïne colombienne d’avions civils et la charger dans les avions militaire étasuniens.

[17]The Dark Alliance, Gary Webb’s Incendiary 1996 SJ Mercury News Exposé http://www.mega.nu:8080/ampp/webb.html

[18]voir Kill the Messenger de Michael Cuesta 2014

[19]Notamment dans l’usage de gaz dans la guerre contre l’Iran et contre les Kurdes d’Irak : https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/NEZAN/3615

[20]https://www.nytimes.com/1990/09/24/world/confrontation-gulf-iraqis-threaten-attack-saudis-israelis-if-nation-strangled.html

[21]https://www.globalresearch.ca/gulf-war-documents-meeting-between-saddam-hussein-and-ambassador-to-iraq-april-glaspie/31145; https://wikileaks.org/plusd/cables/90BAGHDAD4237_a.html

[22]La première concerne l’invasion de l’Iran par l’Irak.

[23]« It’s not about access to the oil itself. That will be on a global market. It will be part of it. It’s about control. It’s about controlling the terms of those contracts. It’s about controlling amounts that are being pumped at different times. It’s about controlling prices. It’s about controlling that crucial resource ». : https://off-guardian.org/2015/08/01/the-west-the-middle-east-and-oil-a-conspiracy-theory/

[24]Sans doute l’industrie qui permet aujourd’hui aux US de ne pas être en récession : https://www.lelibrepenseur.org/etats-unis-plus-de-102-millions-damericains-sans-emploi-au-30-juin-2018/;  voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=plXuqIw3AvU

[25]https://www.liberation.fr/evenement/1998/02/21/en-1991-entre-4-000-et-400-000-morts-irakiens-selon-les-estimations-les-plus-extremes-et-149-victime_227890

[26]https://www.hrw.org/reports/1991/gulfwar/INTRO.htmhttps://theintercept.com/2018/12/01/the-ignored-legacy-of-george-h-w-bush-war-crimes-racism-and-obstruction-of-justice/; https://theintercept.com/2018/12/05/george-h-w-bush-1924-2018-american-war-criminal/; https://www.nytimes.com/1984/11/24/opinion/l-cia-s-contra-manual-incited-war-crimes-104236.html

[27]I think this is a very hard choice, but the price—we think the price is worth it. : https://www.cis.org.au/app/uploads/2015/04/images/stories/policy-magazine/2002-winter/2002-18-2-matt-welch.pdf

 





LE GENOCIDE DU RWANDA ET LA RESPONSABILITE DE LA FRANCE ?

7 04 2014

943458-1120208

Il y a 20 ans plus de 800 000 Tutsis, Twas, ainsi que de nombreux Hutus opposants au régime de Juvénal Habyarimana, étaient tués dans un des derniers génocides du XX° siècle[1]. La récente condamnation en France de Pascal Simbikangwa à 25 ans de prison pour : « un concours actif au fonctionnement des barrières meurtrières de Kigali, en fournissant des armes et en donnant directement des instructions pour que des Tutsis soient systématiquement exécutés sur le champ, en vue de la destruction totale de ce groupe ethnique (…) dans le cadre d’un plan concerté » nous indique qu’il est temps pour la société française de s’interroger sur les responsabilités du pouvoir de l’époque dans le génocide[2]. Pendant toutes ces années des politiques français vont défendre le rôle de la France, oubliant parfois sciemment l’action de la France en terme de formation militaire – des Forces armées Rwandaises (FAR), de la Gendarmerie, de la garde Présidentielle et des Interhamwes – ainsi que de transferts d’armes livrés avant et pendant le génocide[3].

S’il est encore difficile aujourd’hui à la lumière des documents accessibles sur cette époque, de parler de complicité de l’État français dans ce génocide[4], le soutien aveugle au régime de Juvenal Habyarimana indique au moins une responsabilité de la France dûe à une terrible négligence des plus hautes autorités de l’État. Un soutien aveugle, car dès 1989 les massacres de Tutsis, la présence de caches d’armes et de listes de Tutsis à éliminer ainsi que des télégrammes diplomatiques, auraient dû alerter les autorités françaises sur les risques de génocide[5]. Le général Jean Marc Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération d’octobre 1990 à avril 1993, alerte lui aussi les autorités françaises sur la  volonté d’éradiquer les Tutsis qui « imprègne tout particulièrement l’armée composée uniquement de Hutus[6] ».

Nombreux sont ceux de la génération de François Mitterrand, voire d’Édouard Balladur et de Roland Dumas,  qui pensaient que les africains n’avaient pas véritablement le même statut que les « occidentaux ». Patrick de Saint Exupéry illustre parfaitement cette pensée quand il attribue cette phrase effrayante au Président de l’époque : «  Un génocide dans ces pays-là ce n’est pas très grave[7]  ». Il n’y a ici pas d’excuses pour ces hommes là, même s’ils ont grandi dans la France de « l’Empire colonial » et qu’ils n’ont pu entendre les voix courageuses qui existaient pourtant, pour contester cette vision d’un monde où la vie des uns était loin de valoir celles des autres[8].

Mais que s’est-il donc passé pour les hommes politiques français des générations suivantes comme Bruno Delay, Alain Juppé, François Léotard, Jean-Marc Rochereau de la Sablière, Hubert Védrine et Dominique de Villepin, ou des militaires comme le général Huchon, le général Jean-Claude Lafourcade, l’amiral Lanxade et le général Christian Quesnot ?

Comment ces personnages de premier plan, sans doute convaincus des valeurs de la République et formés pour la plupart dans les « plus grandes écoles françaises » ont été incapables de donner l’alarme ? D’agir dans le sens du droit international, notamment celui relatif aux droits de l’Homme et d’arrêter la formation militaire et les livraisons d’armes ?

Pourquoi aujourd’hui encore ne peuvent-ils s’interroger sur cette cécité ?

La réponse n’est certes pas simple car elle touche une part de la culture profondément enfouie de notre pays; au point qu’en 2004, la chronique d’Amnesty International France mettait en première page une photo de machettes pour la commémoration des 10 ans du génocide, poursuivant ainsi l’idée négationniste que ce génocide fut un génocide de machettes. Le génocide du Rwanda a été pourtant une des raisons majeures qui ont poussé le mouvement international des droits de l’Homme à renforcer ses actions contre les transferts irresponsables d’armes. Cet engagement, rejoint par de nombreuses ONG à travers le monde, réussira à convaincre une immense majorité des États, dont la France, à adopter en 2013 le traité sur le commerce des armes[9].

Aujourd’hui, les 20 années passées devraient enfin permettre  d’aller plus loin que Nicolas Sarkozy lorsqu’il reconnaissait à Kigali les « erreurs de la France[10] ». Un véritable travail de mémoire pourrait être confié à des historiens – ainsi qu’à des experts des transferts d’armes qui ont véritablement manqué au travail de la mission d’information parlementaire française sur le Rwanda[11] – afin de mieux cerner les responsabilités des gouvernements Rocard[12] et Balladur. Il n’y a pas de prescription pour cela et le formidable travail de mémoire des historiens sur la Shoa nous en montre la nécessité et le chemin de responsabilité.

 

Benoît Muracciole

 

[1]Le premier génocide du siècle dernier sur le continent africain, entre 1904 et 1907, fut celui des Hereros et des Namas en Namibie. Ils ont été exterminés par les Allemands.

[2] Pourquoi la condamnation de Simbikangwa est historique Colette Braeckman : http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2014/03/16/pourquoi-la-condamnation-de-simbikangwa-est-historique/

[3] Voir les nombreux rapports documentés notamment en 1995 Amnesty International « Rwanda: Les auteurs du génocide reçoivent toujours des armes » : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR02/014/1995/fr/1c5686ef-eb4b-11dd-8c1f-275b8445d07d/afr020141995fr.html;

de HRW Rwanda/Zaire ; « Rearming with Impunity »

International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide : http://www.hrw.org/legacy/reports/1995/Rwanda1.htm ; le rapport final des experts de l’ONU 1996-195 du 20 mars 1996 ;  ainsi que le rapport « Armes légères de la production à l’exportation le poids de la France » Observatoire de l’armement / Agir ici / Amnesty International ; Belkacem Elomari, Bruno Barillot ; septembre 1999 et enfin « Arms fixers » de Brian Wood et Johan Pelemanhttp://www.prio.no/upload/957/Chapter3.html

[4] Le code pénal français, Article 121-3, dit :

Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Il n’y a point de contravention en cas de force majeure.

[5] Voir le rapport des experts de l’ONU page 10 : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N99/395/47/IMG/N9939547.pdf?OpenElement

[6] Le Colonel Rwagafilita, lui avait expliqué la question tutsie : “ ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider ” ; mission d’information de la commission de la Défense nationale et des forces armées et de la commission des Affaires Étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.: http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp

[7] L’inavouable, la France au Rwanda de Patrick de Saint Exupéry ; édition les Arènes ; voir aussi La Fantaisie des Dieux – Rwanda 1994, de Patrick Saint-Exupéry, aux éditions Les Arènes

[8] Notamment pour  Joséphine Baker, Simone de Beauvoir, Aimé Césaire (Discours sur  le colonialisme ; Editions Présence Africaine , 1955), Bernard Clavel, Nancy Cunard, René Dumont (L’Afrique noire est mal partie, 1962 ; Le Seuil, Paris, coll. « Esprit », réédition en 2012 et L’Afrique étranglée. Zambie, Tanzanie, Sénégal, Côte-d’Ivoire, Guinée-Bissau, Cap-Vert, 1980 ; Le Seuil, Paris, coll. « L’Histoire immédiate »), Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs édition du Seuil 1952) , Gustave Hervé, André Gide (Voyage au Congo et Le retour du Tchad 1929), Edgar Morin, Louis Lecoin, Paul Ricoeur, Jean Rouch (avec Edgar Morin Chronique d’un été 1961, Prix de la critique au festival de Cannes  1961),  Jean Paul Sartre, Germaine Tillion, Simone Weil… et les contradictions d’Albert Camus

[9]. Voir notamment : https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/04/15/le-premier-traite-de-regulation-des-armes-classiques-de-lhistoire-integre-en-son-coeur-les-droits-de-lhomme-et-le-droit-international-humanitaire/ et https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/04/01/la-france-ratifie-le-traite-sur-le-commerce-des-armes-classiques-adopte-a-lonu-en-avril-2013/

[10]« Ce qui s’est passé ici est inacceptable et oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable. » Nicolas Sarkozy le 25 février 2010 :  http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2010-02-25/genocide-rwandais-nicolas-sarkozy-reconnait-des-erreurs-de-la/924/0/427910

[11] Qui n’a pas eu accès à tous les documents comme la Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda: http://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewPubDoc&TID=16778570&LANG=fr

[12] Même s’il avait effectivement été mis à l’écart par l’équipe de l’Elysée  (François Mitterrand et Hubert Védrine alors secrétaire général de l’Élysée) ainsi que par Roland Dumas (ministre des Affaires Étrangères).  Il n’a cependant pas non plus cherché à alerter l’opinion publique française alors qu’il préside la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) en charge des autorisations de ces exportations.