Matteo Bonaglia Avocat à la Cour
4, place Denfert-Rochereau – 75014 Paris Téléphone : 01 40 64 00 25 | Télécopie : 01 42 79 84 14 mbo@bonaglia.law Toque : D1292
Monsieur Edouard Philippe
Premier ministre
Hôtel Matignon
57 rue de Varenne
75700 Paris SP 07
CC : Monsieur Louis Gautier
Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale
51 boulevard de la Tour-Maubourg
75700 Paris SP 07
Paris, le 1er mars 2018
Par lettre recommandée A/R
OBJET : Demande de suspension des licences d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays membres de la coalition menée par l’Arabie saoudite et impliqués dans la guerre au Yémen (articles L2335-4 et R2335-15 du Code de la défense)
POUR :
- • ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINE (ASER), association loi 1901 régulièrement déclarée auprès de la Préfecture de police de Paris, sous le numéro (RNA) W751136535 et dont le siège social est situé 13, rue De Suez, 75018 Paris ;
Représentée par son Président, Monsieur Benoît MURACCIOLE.
- • DROIT SOLIDARITE, association membre de l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES (AIJD), dont le siège social est situé 160 Rue Du Temple, 75003 Paris ;
Représentée par son Président, Monsieur Roland WEYL. 2
Monsieur le Premier ministre,
En ma qualité d’avocat des associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINE et DROIT SOLIDARITE, section française de l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES, je sollicite par la présente la suspension sans délai de l’ensemble des autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination de l’Arabie saoudite.
L’article L2335-4 du code de la défense dispose en effet que :
L’autorité administrative peut à tout moment, dans les conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat, suspendre, modifier, abroger ou retirer les licences d’exportation qu’elle a délivrées, pour des raisons de respect des engagements internationaux de la France, de protection des intérêts essentiels de sécurité, d’ordre public ou de sécurité publique ou pour non-respect des conditions spécifiées dans la licence.
Il en est de même en cas d’inexécution des mesures correctives prescrites en application de l’article L. 2339-1-2.
L’article R2335-15 précise quant à lui que :
La licence individuelle ou globale d’exportation et le droit pour l’exportateur d’utiliser la licence générale d’exportation pour laquelle il est enregistré, peuvent être suspendus, modifiés, abrogés ou retirés par le Premier ministre, après avis des ministres représentés de façon permanente à la commission interministérielle instituée par le décret n° 55-965 du 16 juillet 1955 portant réorganisation de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, ainsi que pour les licences individuelles ou globales d’exportation, du ministre chargé des douanes, pour l’un des motifs mentionnés à l’article L. 2335-4.
En cas d’urgence, le Premier ministre peut suspendre sans délai la licence individuelle ou globale ou le droit mentionné au premier alinéa. Cette suspension ne peut excéder une durée de trente jours ouvrables lorsque l’opération d’exportation concerne des matériels de guerre ou des matériels assimilés provenant d’un autre Etat membre de l’Union européenne au titre d’une licence de transfert et incorporés dans un autre matériel de guerre ou matériel assimilé.
La modification, l’abrogation ou le retrait de la licence ou du droit mentionné au premier alinéa ne peut intervenir qu’après que son titulaire a été mis à même de faire valoir ses observations, dans un délai de quinze jours, selon les modalités prévues aux articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration.
La décision portant suspension, abrogation ou retrait du droit d’utiliser la licence générale d’exportation est notifiée à son titulaire par le ministre de la défense.
La décision portant suspension, modification, abrogation ou retrait de la licence individuelle ou globale d’exportation est notifiée à son titulaire par le ministre chargé des douanes. 3
Il apparaît ainsi, à la lecture des articles susmentionnés, que le respect des engagements internationaux de la France constitue l’une des raisons pouvant vous conduire à suspendre sans délai une ou plusieurs autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés.
En particulier, la France est partie au Traité sur le commerce des armes (ci-après « TCA ») qu’elle a signé le 3 juin 2013 et a ratifié le 2 avril 2014 après adoption par l’Assemblée Nationale et le Sénat de la loi n°2013-1202 du 23 décembre 2013 autorisation sa ratification1.
1 Le TCA a fait l’objet d’une publication au Journal officiel | JORF n°0002 du 3 janvier 2015 page 76 – texte n° 6
De manière plus générale, la France souscrit aux buts et principes de la Charte des Nations-Unies dont l’article 2-4 prohibe le recours à la force dans les relations entre Etats :
Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
Elle ne saurait en conséquence se rendre complice de telles violations du droit international.
Or, depuis le début de l’année 2015, ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement le « conflit au Yémen » connaît de terribles évolutions, notamment du fait de l’intervention d’une coalition menée par l’Arabie saoudite (ci-après la « Coalition »).
Dès lors, en maintenant les autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination de ces pays, la France viole le TCA dont l’article 6 stipule :
Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2(1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie
Elle se rend également coupable d’une violation des stipulations de l’article 7(7) en ne procédant pas à un réexamen objectif des autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays membre de la Coalition alors même qu’elle ne peut ignorer les « nouvelles informations pertinentes » relatives aux conditions dans lesquelles ces pays font usage de ce matériel militaire dans le cadre de la guerre qu’ils mènent au Yémen.
Enfin, par la fourniture d’armes aux pays de la Coalition qui interviennent au Yémen, elle participe à l’érosion des acquis de la Charte des Nations-Unies en prêtant son concours à des Etats dont les actes violent la légalité internationale. 4
Au soutien de cette demande, vous trouverez sous ce pli une annexe de dix pages détaillant le contexte du conflit, la position des Nations-Unies, des institutions européennes, d’autres gouvernements ainsi que de très nombreuses organisations non gouvernementales impliquées.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, à l’assurance de ma très haute considération.
Matteo BONAGLIA