Trafiquants d’armes, la justice avance mais pas le gouvernement français !

26 02 2011

A la veille de l’ouverture de l’avant dernier Comité de Préparation  (Prepcom) sur le Traité international sur le commerce des armes à l’ONU à New York, la justice française continue d’avancer.

Six ans de prison ferme et des amendes de 375 000 € et 5 000 000 € ont été requises contre les deux intermédiaires de l’affaire des ventes d’armes à l’Angola réalisées entre 1993 et 1998[1].  Pierre Falcone, 56 ans est incarcéré à Fleury Mérogis, Arcadi Gaydamak 58 ans est lui en fuite en Israël. Après la peine de trois ans de prison avec sursis requise contre Charles Pasqua et 150 000€, il semblerait que l’espace se réduit pour les trafiquants d’armes en France. Du moins ceux qui veulent traiter ces affaires à l’intérieur des frontières françaises. Car pour les autres trafiquants,  résidents français, il ont encore de beaux jours devant eux.

Depuis juin 2005, l’incapacité chronique des gouvernements successifs à ne pas transcrire en droit français la Position Commune de l’Union Européenne sur l’intermédiation[2], est un cadeau qui dure. Par exemple, un résident français pourrait conclure des contrats de vente de matériels de guerre au profit du gouvernement du Bahreïn ou même de celui de Kadhafi sans être inquiété, s’il les a négocié et signé hors de France. Pas de loi ! pas d’incrimination !

Monsieur le Premier Ministre, il est temps d’intervenir pour mettre le projet de loi sur l’intermédiation  à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Notre pays ne doit en aucun cas être complice de ces graves violations des droits humains qui continuent de se  dérouler sous nos yeux. Cessons de vendre du matériels de sécurité et de police français utilisé pour réprimer les peuples du monde qui cherchent à s’émanciper de régimes dictatoriaux et autocrates.

Benoît Muracciole


[1] Voir blog du 24 avril 2010 sur http://www.armerdesarmer.fr/

[2] Voir rapports sur : http://www.armerdesarmer.fr/





Le matériel de sécurité et de police est encore à l’œuvre au Bahreïn, au Yémen et en Libye : Plus de 300 morts !

22 02 2011

Un jeune manifestant à Manama, montre les restes de grenades lacrymogènes.

Les manifestations continuent dans de nombreux pays du Maghreb et du Moyen Orient. De l’Algérie à Djibouti, les populations continuent de se mobiliser contre les régimes autoritaires et corrompus. Mais c’est au Bahreïn, au Yémen et en Libye où de graves violations des droits humains sont observées, que la répression est la plus violente. Dans ces trois pays les forces de sécurité ont non seulement tiré à balles réelles sur les manifestants, mais aussi utilisé des grenades lacrymogènes en tirs tendus[1]. Les différentes sources font état de 200 à 400 morts[2] en Libye, d’au moins 10 personnes décédées au Yémen, de 7 tués au Bahreïn[3] et des centaines de blessés.

Il est toujours difficile de chiffrer avec précision le nombre de personnes touchées par la répression, il s’agit bien là d’estimations. Mais il est clair que les méthodes utilisées par les forces de sécurités sont contraire aux Principes de l’ONU sur l’usage de la force et des armes à feu. Il est aussi clair que les matériels de sécurité et de police[4] ont été transférés de l’extérieur, notamment des États Unis, de France[5], d’Israël et de Grande Bretagne[6] et ce malgré le caractère anti démocratique de ces pays.

Il est admis pour les membres de l’Union Européenne (UE), que l’usage de la force n’a pas été proportionné, mais il y a encore une difficulté à concrétiser cette position par un engagement ferme. Si la France[7] et la Grande Bretagne[8] ont suspendu les transferts d’équipements de sécurité et de police en direction du Bahreïn et de la Libye, il n’y a aucune décision ni déclaration de l’Union Européenne en ce sens. Pourtant une réunion des COARM[9] a eue lieu en fin de semaine dernière. Elle aurait pu être l’occasion d’affirmer l’engagement de l’Union Européenne dans la Position Commune sur les exportations d’armes. Elle contraint dans son deuxième critère relatif au respect des droits de la personne, les Etats de l’Union à :

a)     refuser l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne;

b)    faire preuve, dans chaque cas et en tenant compte de la nature de la technologie ou des équipements militaires en question, d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations Unies, par l’Union Européenne ou par le Conseil de l’Europe[10].

A une semaine des négociations onusiennes sur le traité international sur le commerce des armes (TCA)[11], une décision de suspendre les exportations de matériels de sécurité et de police  en direction de ces pays aurait été un signal fort de l’UE. Elle aurait constitué un argument concret pour l’intégration de ce type d’équipements dans la liste des armes et donné une indication tangible sur l’évaluation d’un « risque manifeste ».  Espérons donc que dans son intervention au Prepcom du 28 février, l’UE saura répondre au document proposé par le Président Garcia Moritan[12], et affirmer formellement la nécessité d’intégrer ce matériel dans la liste des armes du futur TCA.

Benoît Muracciole 


[2] La Ligue Libyenne des Droits de l’Homme membre  de la FIDH avance un chiffre entre 300 et 400 morts, Mohamed Abdallah du Front national pour le salut de la Libye, basée à Dubaï ainsi que Sharan Burrow de la Confédération international du travail citent le chiffre de plus de 300 morts, enfin Human Right Watch parle « d’au moins 233 morts ».

[3] Au Bahreïn un progrès a quand même été enregistré quand le prince héritier, Salman ben Hamad Al-Khalifa, a demandé le retrait de l’armé et des forces de sécurité.

[4] Voir le blog précédent sur la Tunisie et l’Egypte.

[6] Selon CAAT http://www.caat.org.uk/press/archive.php?url=20110217prs, la Libye était un pays prioritaire [UKTI/DSO] pour la vente des armes.

[7] Le 17 février dernier.

[8] Elle fait de même, avec un peu de retard pour la Libye. Elle a aussi suspendu 24 licences individuelles et 20 licences ouvertes pour le Bahreïn, ce qui signifie qu’après avoir donné les autorisations aux industriels les transferts ont été bloqués voir http://www.businesslink.gov.uk/bdotg/action/detail?itemId=1084338512&r.l1=1079717544&r.l2=1084228483&r.l3=1084228524&r.l4=1084335837&r.s=sc&type=RESOURCES

[10] L 335/100 FR Journal officiel de l’Union européenne 13.12.2008.

[11] Ce Prepcom, de 30 heures, est le 4° et avant dernier avant le conférence de fin de 2012,  prévu par la résolution L63/240 voir : http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/63/240.

[12] Garcia Moritan, président à l’ONU du processus sur le TCA, avait présenté un premier « squelette de texte » aux États à la Prepcom de juillet 2010 et devrait en proposer un nouveau pour celle à venir. Voir blogs précédents.





Tunisie et Égypte, les mouvements populaires appellent à la nécessité d’inclure le matériel de sécurité et de police dans le futur traité international sur le commerce des armes (TCA)

2 02 2011

La répression policière des gouvernements tunisien et égyptien face à la mobilisation sociale et politique des populations, démontrent qu’il est important de renforcer le contrôle des transferts de matériels de sécurité et de police.

En Tunisie, le bilan de « la révolution du Jasmin » par le Ministre de l’intérieur le 17 janvier, est de 78 morts alors que celui de l’ONU en annonce plus de 219. En Egypte, l’estimation faite par Amnesty International est aujourd’hui de plus de 125 morts, avec des milliers d’emprisonnements et un nombre inconnu de blessés. Le pouvoir de Ben Ali avait donné l’autorisation aux forces de sécurité tunisiennes de tirer à balles réelles sur les civils. Les mêmes consignes avaient été données, par Moubarak, à la police dans les grandes villes d’Égypte.

Ces deux nations membres de l’ONU ont agi sans aucun respect de l’article premier de la Charte des Nations Unies qui engage les États à « développer et encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ». Pas de respect non plus des Principes de l’ONU sur l’usage de la force et des armes à feu, ni du Code de conduite des officiers de police qui engagent les États à respecter un usage proportionné de la force. Enfin ces deux gouvernements ont violé l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui précise que : « nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Et pourtant ces pays ont reçu, malgré un passé dramatique en matière de respect des droits humains, des équipements de police qui leur ont permis et leur permettent encore de réprimer ces mouvements populaires pour la liberté en Afrique du Nord.

Les témoignages sur les conditions de décès, de torture et/ou de mauvais traitement ne sont pas encore disponibles. Mais d’après les informations reçues, l’une d’elle concerne la mort, le 16 janvier dernier, du journaliste Lucas Mebrouk Dolega. Selon les témoignages recueillis, il a reçu une grenade lacrymogène à bout portant et en est mort. Al Jazzira invoque dans son édition du samedi 29 janvier, une jeune fille, elle aussi tuée par une grenade lacrymogène reçue au niveau de la tête. Dans les deux cas, il s’agit d’un mauvais usage de ces armes qui ne doivent en aucun cas être utilisées en tir tendu.

Amnesty International a également recueilli des éléments attestant que de nombreuses personnes arrêtées dans le cadre des émeutes avaient été victimes de torture ou de mauvais traitements en détention, frappées à coups de matraque et de poing. D’autres personnes avaient été contraintes de s’agenouiller face à un mur pendant des heures.

La question qui devrait guider les États pour autoriser l’exportation de tels matériels est : Y a t-il un risque substantiel que ces matériels puissent être utilisés pour de graves violations des droits de la personne ? Pour la Tunisie et l’Egypte, la réponse est assez simple, oui. En cela la France s’est ressaisie  en suspendant tout  les transferts en direction de ces deux pays. Par contre, l’immobilisation par les douanes, le 18 janvier 2011 à Roissy, d’un avion en direction de la Tunisie – qui contenait plusieurs tonnes de matériels de maintien de l’ordre, des grenades lacrymogènes, soufflantes ou éclairantes(1) – n’était dû qu’à un problème purement administratif.

 

Les ministères de l’intérieur et des affaires étrangères (2) avaient d’abord répondu sans discernement en autorisant jusqu’au 12 janvier, l’exportation de ces mêmes matériels.

Voilà pourquoi il est important d’inclure dans le futur TCA, les matériels utilisés dans le cadre classique du maintien de l’ordre (3) comme les matériels destinés à la neutralisation et à l’immobilisation ainsi que les armes nouvelles générations telles que :

Les armes à feu

Les gaz poivre

Les grenades offensives, lacrymogènes et autres grenades incapacitantes…

Les lanceurs de balles de défense (type flashball)

Les bâtons, les matraques classiques, matraques télescopiques, tonfats etc.

Les Pistolets à impulsions électriques type taser et armes à fléchettes à décharge électrique etc.

Les matraques, boucliers électriques etc.

Les fers à entraver, de chaînes multiples, les menottes etc.

Les armes d’étourdissement…

Les autres petites armes de nouvelles générations comme les technologies affectant la vue et l’orientation spatiale, les acoustiques, les lasers etc.

Leila Le Boucher Bouache

Benoît Muracciole

1Sofexi est un bureau d’achat d’équipements et de services habilité par l’Etat français à commercialiser du matériel soumis à autorisation d’exportation. Il appartient au groupe privé Marck, spécialisé dans l’équipement de sécurité. Sofexi, a confirmé à la presse que la Tunisie était l’un de ses clients depuis 2008.

2 Michèle Alliot Marie voulait aussi faire profiter le régime de Ben Ali «du savoir faire français» en matière de maintien de l’ordre…

3 Voir le règlement européen http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020428901&dateTexte=&categorieLien=id et rapport torture d’Amnesty International de 2007 https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/10/rap_torture_fev_07pdf.pdf