De la juste interprétation du respect des droits de l’Homme dans le recours à la force sur le continent africain

10 11 2014

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Le premier réflexe observé pour beaucoup de mes interlocuteurs, lorsque j’évoque les graves violations des droits de l’Homme en Afrique par les forces gouvernementales, consiste à en renvoyer la seule responsabilité sur les gouvernements en place sur ce continent[1]. La remarque n’est d’ailleurs pas éloignée d’une simple réalité, l’action de la force publique d’un pays est bien sous la responsabilité des gouvernants. Nous avons vu cependant ici de nombreuses fois comment cette affirmation avait besoin de considérer également les responsabilités des États qui leur avaient fourni une aide ou une assistance : soit dans la formation, soit dans l’armement de ces forces publiques.

Nous l’avons dénoncé maintes fois; les graves violations du droit international en République Démocratique du Congo ne s’arrêtent pas[2] et le dernier rapport du bureau des droits de l’Homme de l’ONU ne fait malheureusement que le confirmer[3]. Exécutions sommaires et extrajudiciaires, disparitions forcées, la responsabilité des forces de l’ordre congolaises est avérée et une fois encore l’absence d’une réponse judiciaire adéquate confirme cette impression d’impunité partagée par de nombreux citoyens congolais. La récente réponse de ce gouvernement, illustrée par l’expulsion de Scott Campbell le directeur du bureau des droits de l’homme des Nations unies en République démocratique du Congo, signe son refus de s’engager dans la protection des droits de la personne de sa population[4]. Malgré cela, la Bulgarie, la France, la Roumanie et le Royaume-Uni notamment, continuent de leur transférer des armes classiques[5]. Bien sûr la description très succincte des matériels de guerre exportés dans le rapport européen, ainsi que dans le rapport au Parlement français, ne nous permet pas d’affirmer que ces pays ne respectent pas leurs engagements internationaux, mais le doute persiste.

Au Nigéria, depuis le début de l’année 2014, des graves violations des droits de l’Homme, des crimes de guerre et crimes contre l’humanité des forces armées nigérianes dans l’État du Borno au nord est du pays, n’ont pas cessé[6]. Elles demandent en cela une action urgente de la communauté internationale, dont le Conseil de Sécurité des Nations unies, afin de protéger les droits de la personne des nigérians et de montrer ainsi sa capacité d’agir « de manière objective et non discriminatoire  »[7]. La guerre contre le groupe armé « Boko Haram » a pris en effet des proportions dramatiques extrêmes, et même si les médias internationaux semblent peu intéressés, les descriptions des violences dont sont responsables les forces armées nigérianes et Boko Haram, n’ont malheureusement rien à envier à celles faites par les groupes armés de fondamentalistes en Irak et en Syrie.

Ces violences ne sont pas nouvelles et la communauté internationale a été alertée depuis quelques années déjà[8]. Pourtant, dans le rapport sur les exportations de la France au Parlement de 2014, il est là encore rapporté des autorisations d’exportations pour une valeur de plus de 8 millions € dont du matériel de conduite de tir et des véhicules terrestres[9].

En cela l’entrée en vigueur prochaine du traité sur le commerce des armes (TCA) le 14 décembre prochain offre une excellente occasion. Il rappelle notamment aux futurs États Parties qu’ils seront strictement engagés par le paragraphe 3 de l’article 6 à cesser tout transfert d’armes classiques :

«  … s’il a connaissance, au moment où l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie. » [10]

Ces graves infractions au droit international au Nigéria doivent interpeller tous les gouvernements exportateurs d’armes dans le cadre de l’article 6 du TCA, mais aussi dans leur évaluation du risque d’usage de celles-ci comme inscrit dans l’article 7[11].

 

Mais ces questions de respect des principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feu [12] se posent à toutes les forces publiques qu’elles soient en action sur leur territoire où qu’elles soient en action à l’étranger. Il y a en effet dix ans, le 9 novembre 2006 les forces françaises, mandatées par les Nations unies dans le conflit en Côte d’Ivoire[13], retranchées dans l’Hôtel Ivoire à Abidjan ouvraient le feu sur des civils ivoiriens. 10 ans après ce que l’on appellerait dans tout État occidental un massacre, les responsabilités sur la mort de près de 60 manifestants, citoyens ivoiriens, ne sont toujours pas explicitées. Le rapport de 2006 d’Amnesty International avait alors demandé aux autorités françaises de : « mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les allégations d’usage excessif de la force par des soldats français de la Force Licorne… sur le cadre juridique du droit international relatif aux droits humains et au droit humanitaire et devrait être menée conformément aux normes internationales… »[14].

De la même manière que le gouvernement français exige que les responsables des graves violations des droits de l’Homme perpétrées par les « séparatistes » en Ukraine, par les forces gouvernementales syriennes ou par les fondamentalistes en Irak et en Syrie soient jugés, la France se doit de mettre enfin en place une commission d’enquête sur cette tuerie, en rendre publique les conclusions et saisir la justice s’il y a lieu de le faire.

Nous le devons d’abord aux familles touchées par ce drame ce jour là, mais aussi parce qu’il n’y a pas d’autres champs du possible si notre pays veut participer à l‘édification d’une société internationale plus juste, avec en son centre, les droits de la personne,  c’est à dire une société garante d’une véritable paix et sécurité.

Benoît Muracciole

[1] Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles contre des manifestants antigouvernementaux en Angola, au Burkina Faso, en Guinée, au Liberia, au Malawi, en Mauritanie, au Nigeria, au Sénégal, en Sierra Leone et au Soudan du Sud, ce qui a fait de nombreuses victimes. Les autorités n’ouvraient en général pas d’enquête sur l’utilisation excessive de la force et personne n’a été amené à rendre des comptes sur les homicides. Rapport annuel Amnesty International 2012 Page XXIII.

[2] https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/07/30/la-republique-democratique-du-congo-un-echec-continue-de-la-justice-internationale/

[3] Du bureau conjoint des nations unies aux droits de l’homme sur les violations des droits de l’homme commises par des agents de la police nationale congolaise dans le cadre de l’opération « Likofi » a Kinshasa entre le 15 novembre 2013 et le 15 février 2014 : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/LikofiReportOctober2014_fr.pdf

[4] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33561#.VF-hXPSG-3A

[5] Quinzième rapport annuel établi en application de l’article 8, paragraphe 2, de la position commune 2008/944/PESC du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2014:018:FULL&from=FR

[6] Voir Nigeria: More than 1,500 killed in armed conflict in North-Eastern Nigeria in early 2014 ; Amnesty International ; AFR 44/004/2014: http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR44/004/2014/en/543f7ac9-6889-4f02-bf5a-d73832e04229/afr440042014en.pdf et Nigeria: War crimes and crimes against humanity as violence escalates in north-east: http://www.amnesty.org/en/news/nigeria-war-crimes-and-crimes-against-humanity-violence-escalates-north-east-2014-03-31

[7] Article 7 du Traité sur le commerce des armes : https://armerdesarmer.wordpress.com/documents-onu/

[8] Rapport annuel Amnesty International 2012 « Comme les années précédentes, les opérations de police se caractérisaient par des violations des droits humains. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées illégalement dans la rue, le plus souvent au moment de leur interpellation ou juste avant. D’autres ont été torturées à mort dans des postes de police. Bon nombre de ces homicides illégaux pourraient être des exécutions extrajudiciaires Page 240 : http://files.amnesty.org/air12/air_2012_full_fr.pdf et le rapport annuel Amnesty International 2013 http://www.amnesty.org/fr/annual-report/2013/africa

[9] Rapport au Parlement 2014 sur les exportations d’armement de la France Page 57 et 66 : https://armerdesarmer.wordpress.com/rapports-au-parlement-sur-exportations-francaises-darmes/ mais aussi pour l’Union Européenne l’Allemagne, la Bulgarie, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume Uni. Quinzième rapport annuel établi en application de l’article 8, paragraphe 2, de la position commune 2008/944/PESC du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2014:018:FULL&from=FR

[10] Article 6 du Traité sur le commerce des armes : https://armerdesarmer.wordpress.com/documents-onu/

[11] Article 7 du Traité sur le commerce des armes Ibid.

[12] Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/UseOfForceAndFirearms.aspx

[13] Paragraphe 6 résolution 1528 :

Décide que l’ONUCI, en coordination avec les forces françaises autorisées au paragraphe 16 ci-après, s’acquittera du mandat suivant :

Observation du cessez-le-feu et des mouvements de groupes armés

  1. a) Observer et surveiller l’application de l’accord de cessez-le-feu global du 3 mai 2003, et enquêter sur les éventuelles violations du cessez-le-feu;
  2. b) Assurer la liaison avec les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et les éléments militaires des Forces nouvelles afin de promouvoir, en coordination avec les forces françaises, le rétablissement de la confiance entre toutes les forces ivoiriennes en présence, comme prévu dans sa résolution 1479 (2003); c) Aider le Gouvernement de réconciliation nationale à surveiller les frontières, en prêtant une attention particulière à la situation des réfugiés libériens et aux mouvements de combattants;

Paragraphe 16 :

Autorise les forces françaises, pour une durée de 12 mois à compter du 4 avril 2004, à user de tous les moyens nécessaires pour soutenir l’ONUCI, conformément à l’accord que doivent conclure l’ONUCI et les autorités françaises, et, en particulier, à :

– Contribuer à la sécurité générale de la zone d’activité des forces internationales;

– Intervenir, à la demande de l’ONUCI, pour soutenir des éléments de cette dernière dont la sécurité serait menacée;

– Intervenir en cas d’éventuelles actions belligérantes, si les conditions de sécurité l’exigent, en dehors des zones placées sous le contrôle direct de l’ONUCI;

  • Aider à protéger les civils dans les zones de déploiement de leurs unités;

Résolution 1528 (2004)   Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4918e séance,   le 27 février 2004 : http://www.onuci.org/pdf/resolutions/R1528F.pdf

[14]« Côte d’Ivoire ; Affrontements entre forces de maintien de la paix et civils: leçons à tirer » ; 19 septembre 2006 Index AI : AFR 31/005/2006 : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR31/005/2006/fr/f8b8e17f-d3ff-11dd-8743-d305bea2b2c7/afr310052006fr.pdf





Quatrième jour négociations du traité sur le commerce des armes blog vidéo en direct Nations unies

22 03 2013





Côte d’Ivoire, Etats Unis, Syrie, l’usage des armes et le respect des droits de l’Homme

6 03 2013

C I

La mort récente de Stéphane Hessel nous rappelle que près de soixante cinq ans après la déclaration universelle des droits de l’Homme, trop de populations continuent de subir des situations de graves violations des droits de l’Homme due sà un usage excessif et disproportionné des armes. C’est cette interrogation qui nous à poussé à exhorter  les Etats membres des Nations unies de mettre en place un contrôle responsable des transferts d’armes. C’est cette conviction qui doit conduire ces mêmes Etats à établir un traité sur le commerce des armes afin de prévenir de nouvelles violations des droits de l’Homme.

Que ce soit froidement organisé et planifié par un Etat :

En Syrie :

Avec le ciblage de bombardements dans des zones occupées par la population civile. Ou le régime de Bachar al Assad utilise des bombes à sous munitions[1], notamment ces derniers jours à Alep[2], dont on sait qu’elles touchent pour leur grande majorité des civils enfants et adultes. La gravité et l’aspect systématique des attaques de l’armée du régime syrien et de leurs supplétifs contre la population syrienne auraient du alerter les gouvernements Russes et Iraniens. Malgré les crimes contre l’humanité relevés par la commission des droits de l’Homme de l’ONU, ces deux pays ont transféré des armes au régime syrien.  Il semble aujourd’hui que ces pays aient suspendu leurs transferts, du moins il n’y a pas de preuve tangible que ces deux pays ont maintenu leurs transferts malgré les déclarations de John Kerry en Arabie Saoudite[3]. Il faut être prudent mais cela est peut être le signe qu’il y a un espace diplomatique possible dans la pression des pairs au moins sur la Russie. Les dernières informations sur ce pays donnent plus de 70 000 morts et plus d’un million de réfugiés et déplacés, il y a là un enjeu d’urgence humanitaire auxquel la communauté internationale se doit de répondre avant de considérer toute aide militaire à la coalition nationale syrienne.  C’est l’occasion de trouver des synergies positives qui refusent l’escalade de la violence armée qui retombe inlassablement sur les populations civiles.

Les attaques de drones US au Pakistan, en Somalie et au Yémen :

Dans un autre domaine et un degré bien moindre dans l’échelle des graves violations des droits de l’Homme, il y a le programme d’exécutions extra judiciaires étasunien avec l’usage des drones. La récente et difficile nomination de John Brennan comme directeur de la CIA a ranimé aux Etats Unis un débat où des défenseurs des droits de l’Homme[4]  estiment, notamment pour les citoyens étasuniens, que ce « procédé » est non conforme au droit international. Si le « Senate Intelligence Committee » a largement voté en faveur de John Brennan – 13 voix pour et 2 contre – il s’est trouvé quelques Sénateurs, dont notamment Diane Feinstein, pour faire de la résistance et se questionner sur la légalité de ces actions. Ils ont demandé de manière répétée des explications sur ce programme, qui a été « exécuté » sous la responsabilité de John Brennan, sans grand succès[5]. Il y a peu de chances de voir John Brennan changer cette politique d’attaques ciblées de drones. Pourtant il faut le rappeler ici, que ces attaques, censées être ciblées et ne toucher que les individus désignés, ont fait au Pakistan, entre 2004 et 2013 de 517 à 1122 morts civils ainsi que de 205 à 237 enfants[6]. John Brennan lors des différentes auditions devant le « Senate Intelligence Committee » a refusé de reconnaître le nombre des victimes civiles[7], ce qui augure mal de sa volonté de transparence et de respect du droit international. Car droit international il y a, comme celui de la présomption d’innocence et de bénéficier d’un procès équitable. Comme le conclut le Rapporteur spécial, M. Philip Alston dans ses recommandations à la fin de son rapport à la soixante et unième session de la Commission des droits de l’Homme, « Les argumentations cherchant à justifier ou à rationaliser l’exécution arbitraire ou l’assassinat ciblé de personnes prétendument coupables de crimes ou liées au terrorisme sapent les fondements du droit international relatif aux droits de l’homme et devraient être condamnées sans réserve[8]. »

Que ce soit dans des pays où les régimes n’ont pas les moyens de faire respecter le droit :

Le rapport d’Amnesty International[9] sur la Côte d’Ivoire montre à quel point l’intervention militaire de la France, que nous avions dénoncé ici, n’a pas apporté la paix et la sécurité des droits de l’Homme dans ce pays. Malgré les déclarations fortes, et je crois sincères, du Président élu Alassane Ouattara, de graves violations des droits de l’Homme continuent d’être perpétrées contre les populations civiles et notamment celles qui ont été identifiées comme faisant partie du camp de Laurent Gbagbo. C’est à croire que l’enseignement du passé récent ne touche pas les esprits des nombreuses personnes impliquées dans ces exactions. Torture, exécutions extra judiciaires, violences sexuelles, attaques contre des camps de déplacés la liste est dramatiquement longue. Les recommandations faites dans ce rapport doivent être entendues par le pouvoir Ivoirien comme une nouvelle opportunité de rendre la dignité à ce grand pays de l’Afrique de l’Ouest. La population de la Côte d’Ivoire est aussi victime de la prolifération des armes, particulièrement des armes légères et de petits calibres. Il appartient à la communauté internationale de soutenir les programmes de démobilisation et de réinsertion ainsi que des collectes d’armes, sinon celles ci partiront dans d’autres pays  pour y semer à nouveau la terreur.

Mais il n’y aura pas de paix sans justice et les membres des FRCI ainsi que des chasseurs Dozos qui ont participé aux violations des droits de l’Homme doivent comparaître devant la justice Ivoirienne afin d’être jugeés équitablement.

Mais il n’y aura pas non plus de paix sans juste réparation et le gouvernement Ivoirien doit s’assurer que la Commission dialogue, vérité et réconciliation puisse mener à bien son  mandat en lui allouant les ressources nécessaires[10].

Benoît Muracciole


[1] http://www.youtube.com/watch?v=tUj0ocH87EU&feature=youtu.be le traité d’Oslo d’interdiction des sous munitions à été ratifiée par 78 pays, mais ni la Russie ni la Syrie ne l’ont même signée : http://www.stopclustermunitions.org/treatystatus/

[7] Comme il a toujours refusé d’appelé torture les « interrogatoires coercitifs poussés » comme le waterbording. Sans doute pour protéger de toutes poursuites les officiels étasuniens impliqués dans ces pratiques.

[10] Conformément au document d’Amnesty International, Vérité, justice et réparation : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/POL30/009/2007/fr/811b2446-d38a-11dd-a329-2f46302a8cc6/pol300092007fr.pdf





2012, un bilan difficile pour les droits de l’Homme dans le monde ?

14 01 2013

Revolution

 

L’année 2012 aura vu la confirmation d’un processus qui me semble toujours inéluctable, à savoir les révolutions arabes[1]. Même si en Tunisie, au Yémen, en Egypte mais aussi au Bahreïn, et au Koweït… nombreux sont ceux qui se sentent trahis par les nouveaux pouvoirs, l’histoire avec un grand H nous montre que c’est dans le temps et la patience que se gagnent les combats des droits de l’Homme. Nous en sommes à une étape de ces mouvements qui est frustrante, et bien plus encore pour ceux qui la vivent. Mais la lame de fond semble inarrêtable, il nous reste donc à continuer à les soutenir avec nos moyens.

Les conflits armés :

La résistance armée, largement choisie en Syrie se comprend, et nous ne sommes pas à la place des familles et des victimes assassinées et torturées par le pouvoir de Bachar al Assad pour en juger. Cependant, cette même résistance, ne pourra faire l’économie de son « coût » en terme de violations des droits de l’Homme[2] que ce choix induit et qu’il impliquera dans le futur de la région. Il ne s’agit pas de juger des moyens choisis pour résister aux crimes contre l’humanité du pouvoir de Bachar al Assad mais de s’interroger sur le nombre de morts et les graves violations des droits de l’Homme qu’elle entraîne nécessairement. Ce régime est perdu et plus grande sera la violence utilisée contre lui plus grande sera sa vengeance contre les populations civiles syriennes avant de disparaître. Les solutions, décidément peu populaires et certainement pas médiatiques, restent la pression diplomatique des pairs, et l’évolution de la Russie dans son positionnement va dans ce sens, ainsi que l’intervention de la cour pénale internationale[3].

Plus que jamais, la situation syrienne pose la nécessité d’un traité sur le commerce des armes non pas comme un nouvel organe souhaitant punir les Etats, mais comme un instrument de prévention des graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’Homme.

La Côte d’Ivoire, montre à quel point l’intervention armée française que nous dénoncions dans un blog précédent[4], n’a pas apporté la potion magique que les politiques de l’époque voulaient nous faire avaler. La situation des droits de l’Homme dans ce pays est encore très difficile[5]. La critique de l’intervention française pour mettre au pouvoir le Président Ouattara n’a pas eu lieu en France. Dommage car elle aurait peut être permis une plus grande prudence en Libye.

Le sens du verdict du 7 décembre dernier[6] rendu par les juges au procès des militaires  – ceux qui ont laissé faire, donné l’ordre et étouffé le jeune ivoirien Firmin Mahé avec un sac en plastique alors qu’il était menotté – ne donne pas le sentiment que les droits de l’Homme sont indivisibles et universels. Quel aurait été le verdict des mêmes juges si la victime avait été française et ses bourreaux ivoiriens ? Le sergent Much sera celui qui aura eu le courage de s’interroger sur cet acte terrible qui porte atteinte à l’honneur de l’armée française. Une armée au sein de laquelle tout militaire est tenu au respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.

Cette question se pose aussi clairement pour les militaires israéliens qui semblent ne pas comprendre que toute ces graves violations du droit international humanitaire[7] ne font que créer une violence différée contre leur propres citoyens. Elle n’exonère pas non plus les groupes armés palestiniens de ces violations des droits de l’Homme, même s’il est clair qu’il y a une large disproportion de la violence de l’Etat israélien face à leur résistance[8].

La situation du conflit en République Démocratique du Congo n’en finit pas dans le silence du monde. Même si, et heureusement, il n’y a pas de médias pour appeler à une intervention militaire ou a d’importantes livraisons d’armes, il reste des centaines de milliers de civils qui vivent au quotidien sous la menace de l’usage des armes. Là encore, il semble que les Etats pourraient jouer un rôle plus important notamment auprès du groupe armé du M23 soutenu par le Rwanda et de l’Ouganda qui ont aussi une grande responsabilité dans les violences à l’Est du pays ainsi qu’auprès du gouvernement de Kabila[9].
L’Afrique encore avec le Mali, la Somalie et la République centrafricaine continuent de porter les années d’incuries de leurs dirigeants et de la communauté internationale.

Enfin, la fin de la guerre d’Irak montre qu’avec cette intervention militaire illégale au nom de « la démocratie et la liberté » c’est encore les civils qui subissent, dans le temps, le plus gravement la situation[10]. Avec la guerre en Afghanistan, il faudra attendre encore longtemps pour connaître le véritable bilan humain. Les exécutions extra-judiciaires ordonnées par Obama, ainsi qu’au Pakistan, ne font que dramatiquement accentuer ce coût humain.

La violence des armes en situation de « paix » :

L’Amérique reste le continent le plus marqué par ce type de violence qui pèse sur la vie de millions de personnes et qui constitue une violation des droits de l’Homme. Du Brésil au Honduras en passant par le Mexique[11], le Salvador et également les Etats Unis[12], il y a là un défi à relever au niveau national avec des programmes d’éducations adéquates mais aussi des lois strictes. C’est ce que semble-t-il Barak Obama a enfin compris pour son propre pays, les jours qui viennent nous donnerons plus d’indications sur les moyens réels envisagés.

Le processus du traité sur le commerce des armes :

Il reste dans une dynamique positive avec l’élaboration du tout premier texte[13] de l’histoire de l’humanité sur la régulation des armes. Même si, ceux qui ont suivit le blog l’ont noté, il y a eu la déception de ne pas avoir pu finaliser et voter le texte lors de la dernière Assemblée Générale de l’ONU. Mais la résolution 67/L11 a été très largement parrainée et votée[14] et nous laisse raisonnablement espérer un texte pour le 28 mars prochain.

Du coté des ONG, 2012 aura été la confirmation d’un « décollement » entre de nombreux membres du RAIAL[15] – dont notamment ASER, Amnesty International et Caritas –  et une partie de la coalition « Contrôlez les armes ». Cette dernière semble s’enfoncer dans une incompréhension même du traité et de son rôle futur. Celle-ci s’exprime malheureusement dans une dynamique jusqu’au-boutiste confuse qui tant à embrouiller le processus du TCA. Heureusement, aujourd’hui son influence se réduite à peau de chagrin au vu du résultat de son action pour empêcher le co parrainage de la résolution 67L11 en octobre dernier[16].

Les forces de l’ordre et les droits de l’Homme :

Des camps de Roms à son action à l’aéroport de Notre Dame des Champs, on note de la part des forces de l’ordre une disproportion du recours à la force et de l’usage des armes.

La bonne idée de mettre en place un code de déontologie commun pour la police et la gendarmerie semble se heurter à une incompréhension de ce qu’est la déontologie[17].

Le projet des Zones de Sécurité Prioritaires apparaît avancé dans le flou, notamment sans références à la formation des représentants de l’ordre public, ni au rôle des élus.

Enfin, l’affaire de la BAC Nord de Marseille prouve s’il en est, l’urgence de la mise en place d’un contrôle indépendant des forces de l’ordre conformément aux principes des Nations unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feux. On aurait pu espérer voir la gauche s’appuyer sur les bonnes pratiques et la vision moderne de la police, initier du temps de Pierre Joxe ministre de l’intérieur, ce n’est pour l’instant pas le cas.

Voilà quelques éléments du bilan des droits de l’Homme de 2012 mais pour ne pas laisser un goût trop amer nous reviendrons très vite sur les perspectives 2013.

Benoît Muracciole


[1] Que je continue d’appeler révolution à partir de ce que Lénine notait dans « Marxisme et insurrection : « Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime . »

[2] Sachant qu’un des tout premiers article de la déclaration universelle concerne le droit à la vie, art 3.

[6] A ce jour je n’ai vu aucune réaction des organisations internationales des droits de l’Homme, notamment Amnesty International et Human Right Watch

[15] Le Réseau d’Action International sur les Armes Légères : http://fr.iansa.org/

[16] Pendant toute la première commission de l’AG de l’ONU ils avaient tenté de convaincre les Etats de ne pas parrainer la résolution 67 L 11.

[17] Le code actuel devrait être la base du nouveau.





Des interventions significatives des pays du contient africain pour un traité sur le commerce des armes fort et efficace.

11 07 2012

Georges Guillermou Président d’ASER intervenant sur la nécessité d’inclure le matériel de maintien de l’ordre. Table ronde présidé par Seydi Gassama directeur d’Amnesty International. Photo Benoît Muracciole

Depuis le lundi 9 juillet, c’est un signal fort qui est envoyé par l’immense majorité des Etats d’Afrique. Du Bénin au Burkina Faso et la Cote d’Ivoire, du Gabon, au Kenya, au Sénégal au Libéria, au Niger et au Nigeria, de la République du Congo, de Sao Tome à la Tanzanie et au Togo[1]. Tous ces Etats sont montés au créneau pour défendre les conventions africaines ainsi que la Position Commune[2] qui posent les critères des droits de l’Homme et du droit international humanitaire au cœur du futur traité. Tous ces Etats ont réaffirmé leur engagement ferme pour l’inclusion des armes légères et de petits calibres et des munitions dans la liste des armes à contrôler. Un traité sur le commerce des armes sans ces armes qui quotidiennement sont utilisées, ou facilitent, les graves violations du droit international existant est inconcevable et reviendrait à reconnaître l’échec de ce processus qui a ouvert un espoir extraordinaire pour les peuples d’Afrique.

Nous l’avons déjà écris ici, ce traité sur le commerce des armes est un immense défi pour le continent africain. D’abord à cause de l’impact dévastateur  dû à l’absence de normes communes acceptées internationalement pour beaucoup de ses Etats membres. Mais aussi parce que c’est précisément ce continent qui a la légitimité pour convaincre certains Etats comme les Etats Unis – sur les munitions et l’obligation du respect du droit international existant – la Chine et la Russie – sur l’inclusion des critères droits de l’Homme et droit international humanitaire dans leur obligation dévaluation du risque substantiel d’usage de ces armes classiques dont les armes légères et de petits calibres et leurs munitions. Enfin, de voir leurs responsables politiques engager l’immense majorité des Etats membres de  l’ONU dans un traité fort et efficace marquera à jamais les jeunes générations africaines. Car ce traité sera sans aucun doute une nouvelle  accélération dans la redistribution des  relations internationales observées depuis plus de 10 années. Pour paraphraser WC Field, ce n’est pas le bateau qui coule c’est l’eau qui monte et le futur traité sera le signe de cette montée en puissance de la majorité des pays africains dans un meilleur équilibre des relations internationales.

Car tous les jours les faits rapportés du terrain vont dans le sens de l’urgente nécessité du traité. C’est encore malheureusement le cas de la République démocratique du Congo ou un récent rapport de l’ONU, après celui d’Amnesty International, a montré que le mouvement du M23, responsable de graves violations des droits de l’Homme, est alimenté en armes et en militaire par le Rwanda[3].

La bonne nouvelle concerne également ce pays car la cour pénale internationale hier mardi 10 juillet a condamné à 14 ans de prison Thomas Lumbanga Dylo pour « des crimes de guerre consistant à avoir procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et à les avoir fait participer activement à des hostilités du 1er septembre 2002 au 13 août 2003 en Ituri[4] »

Je me souviens que lors d’une de mes missions avec Amnesty International, sous la responsabilité de Marcel Akpovo, nous avions rencontré les inspecteurs de la CPI auprès desquels nous avions échangé un certain nombre de points. C’était en mai 2004, preuve en est qu’il s’agit ici de garder de la constance dans ce travail de dénonciation des droits de l’Homme. Peut être même que ceux qui ne comprenaient le rapport avec les transferts d’armes irresponsables pourront enfin  faire ce lien qui, pour les enfants enrôler de force, constitue encore une terrible réalité.

Benoît Muracciole


[1] En plus des déclarations précédentes de l’Afrique du Sud, du Maroc, de la Namibie, de la Sierra Leone, du Soudan du sud…

[2] Ainsi que la Position Africaine Commune sur un traité sur le commerce des armes voir : http://unrec.org/docs/ATT/positions/AU_fr.pdf