
Nous avons vu qu’un aggiornamento de la politique extérieure de la France était nécessaire, comment peut-il se traduire sur le plan intérieur.
Pour le moment le choix du gouvernement de limiter les libertés, de repousser les droits fondamentaux, de prolonger l’État d’urgence, de changer la constitution[1] et bombarder la Syrie … constitue la plus grande victoire de cette idéologie sectaire qui a tué 130 personnes le 13 novembre 2015.
Nous devons donc renverser ces logiques, et même si les pistes de réponses sont nombreuses face à la complexité de nos sociétés, certaines d’entre elles sont incontournables. Un travail de fond doit être fait pour tarir le recrutement des jeunes[2] et délivrer les générations futures de ces processus de violence. En premier lieu un retour sur notre histoire est essentiel : l’esclavage et la colonisation. Ces violences imposées à des centaines de millions de personnes ne peuvent s’être évanouies dans la mémoire des Hommes. Il n’y aura pas de répit véritable dans notre pays tant que la question de la réparation ne sera pas posée, comme celle de la Shoa l’est encore fort justement[3], car il ne peut y avoir de pardon sans demande de pardon.
Nous savons avec la psychanalyse que le déni du traumatisme, subi ou perpétré, ne fait qu’en reporter la résolution. Le passage par la parole est nécessaire. Il ne s’agit pas ici d’un travail de contrition ou d’un devoir de mémoire pour culpabiliser, mais d’un travail de mémoire pour libérer. C’est sans doute le plus grand effort que nous avons à réaliser, il ne pourra se faire dans la contrainte des poings serrés et des armes, mais dans la reconnaissance.
Reconnaître que la France est aujourd’hui ce qu’elle est « grâce » aussi aux profits de l’esclavage et de la colonisation, « grâce » aussi à l’exploitation de millions de travailleurs immigrés.
Reconnaître que ces millions de travailleurs immigrés ont aussi construit cette France et qu’ils en sont constitutifs de fait, eux et leurs enfants.
Reconnaître enfin que la France est aujourd’hui multiple, bariolée, bigarrée et que cela représente son meilleur atout pour le futur.
Mais ce mouvement ne se fera que dans les actes, et il est dommageable de constater que 10 mois après les meurtres de Charlie Hebdo et du supermarché casher rien n’a été fait dans ce sens[4].
D’abord pour lutter contre ce que le Premier ministre nommait, outrageusement, « un apartheid territorial, social, ethnique ». Quelles sont les mesures mises en place pour les plus démunis, les 8,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté[5] ? Quelles sont les mesures mises en place pour ceux qui ne rentrent pas dans ces statistiques (les migrants à Calais qui peuvent être soumis « à des traitements inhumains ou dégradants[6] ») ?
Qu’avons nous fait pour sortir l’Autre de l’humiliation et d’aliénation sociale[7]?
Enfin parce que le Président de la République a tort quand il déclare que la sécurité passe avant la stabilité. La sécurité c’est la stabilité ; la sécurité viendra dans le respect des droits de la personne, dont les droits sociaux économiques et culturels, avec l’éducation, l’emploi, le logement, l’espoir de pouvoir grandir ensemble dignement[8].
Or quels sont les signes de liberté, d’égalité et de fraternité que donne notre République pour qu’elle se rassemble ?
De la religion
Par provocation et pour sortir des raccourcis et confusions sur ce qui appartient à l’Islam et ce qui lui est étranger, je reprendrai simplement une définition de la religion entendue chez Paul Ricoeur :
La religion c’est relier, l’action de relier les Hommes entre eux, « c’est le projet de sauver le fond de bonté de l’homme[9] ».
Il n’y a donc rien de religieux dans tous les actes de violences, dont la violence armée, qu’ils se déroulent en Syrie, en Turquie, au Liban, dans les pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie[10]. Par contre il me semble voir une grande perversité dans l’inclinaison « bienveillante » que certains d’entre nous ont de sommer les musulmans de se désolidariser de chaque acte de terrorisme effectué au nom d’Allah[11]. Elle illustre encore cette vision ethnocentrique qui obligerait un musulman à être suspect de tout acte de terrorisme perpétré au nom d’Allah[12].
Il n’y eu pourtant aucune injonction de la sorte en direction des chrétiens lorsque Georges Bush, Tony Blair et bien d’autres ont porté cette violence armée contre les populations d’Afghanistan et d’Irak[13] au nom de la lutte contre « l’axe du mal »[14].
Ni rien non plus vis à vis des hindous quand au nom de Krishna et Vishnou des musulmans étaient massacrés en Inde[15] ou au nom de bouddha contre les Rohingyas au Myanmar[16]…
Dans quelle conscience de l’universalité des droits de l’Homme, l’occident est-il encore enfermé ?
Benoît Muracciole
[1] Entretien avec la Professeur de droit public à l’université Jean-Moulin Lyon III, Marie-Laure Basilien-Gainche : http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/11/19/etat-d-urgence-une-marge-de-man-uvre-bien-trop-large-est-offerte-aux-autorites_4813627_823448.html
[2] En plus de la mise en place d’une structure pour lutter contre le trafic d’armes, comme l’avait suggéré ASER et l’IRIS il y a plus de 2 ans.
[3] Il ne s’agit pas ici de comparer le niveau de violence, mais bien de la méthode pour en sortir et tenter de la dépasser
[4] En réponse aux meurtres du début de l’année le gouvernement a décidé : « d’abonder le Fonds interministériel de prévention de la délinquance de 60 millions d’euros sur trois ans. La moitié de cette somme est destinée au financement de gilets pare-balles pour les policiers municipaux ou à la sécurisation de lieux sensibles : Prévention de la radicalisation : un guide à destination des maires, Localtis.info, le 11 novembre 2015
[5] http://www.inegalites.fr/spip.php?article270
[6] Jugement du 23 novembre 2015 du Conseil d’État à l’encontre du ministre de l’intérieur, la requête de la commune de Calais : http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-23-novembre-2015-ministre-de-l-interieur-commune-de-Calais ou les Roms sur le territoire français : Rapport 2015 Romeurope : http://www.romeurope.org/IMG/pdf/cndh_romeurope_-_rapport_politique_2015.pdf et http://www.medecinsdumonde.org/En-France/Intervenir-aupres-des-Rroms-pour-un-meilleur-suivi-sanitaire et http://www.errc.org/article/the-european-court-of-human-rights-is-questioning-frances-evictions-policy/4286
[7] Il faut lire et relire Frantz Fanon pour comprendre ce que cela induit pour une société, de produire de telles discriminations: « aliénation psychiatrique et aliénation coloniale » à substituer par « aliénation psychiatrique et aliénation sociale » ?
[8] https://armerdesarmer.wordpress.com/2015/01/12/quelles-reponses-peut-avoir-une-societe-digne-face-a-la-terreur/
[9] http://www.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877017907
[10] Voir aussi : Jürgen Habermas : « Le fondamentalisme djihadiste a certes recours dans ses manières de s’exprimer à tout un code religieux ; mais il n’est en rien une religion. Il pourrait recourir, à la place du langage religieux qu’il utilise, à n’importe quel autre langage religieux, et même à n’importe quelle idéologie promettant une justice rédemptrice.
Les grands monothéismes ont des origines qui remontent très loin dans le temps. Le djihadisme, en revanche, est une forme absolument moderne de réaction à des conditions de vie caractérisées par le déracinement. Attirer l’attention, dans un but préventif, sur une intégration sociale en panne ou sur une modernisation sociale défaillante, ce n’est naturellement pas exempter les auteurs de ces méfaits de leur responsabilité personnelle. »
[11] Comme de désigner le Coran ou les Hadith comme l’origine de cette violence sans repenser ce texte dans on histoire et la complexité de ses écritures.
[12] Ce qui n’empêche évidement pas d’enquêter sur tous les fanatiques non religieux qui investissent les églises, mosquées, synagogues et autres lieux de cultes, ainsi que les lieux de privation de liberté.
[13] L’étude du Lancet pour l’Irak donne environ 650 000 décès pour les 40 mois entre mars 2003 et juin 2006 : https://armerdesarmer.wordpress.com/2010/11/05/guerre-dirak-entre-400-000-et-1-033-000-morts-pour-la-democratie-et-la-liberte/
[14] State of the Union Address (January 29, 2002) : http://millercenter.org/president/speeches/speech-4540
[15] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/10-ans-apres-le-massacre-des-musulmans-au-gujarat-27-02-2012-2312_118.php
[16] http://info.arte.tv/fr/birmanie-la-malediction-des-rohingyas