Nations Unies : Première année dans la mise en œuvre du traité sur le commerce des armes classiques

28 12 2015

ASER_HD

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Paris, le 28 décembre 2015

Le mercredi 24 décembre 2015, un an après l’entrée en vigueur du premier traité des Nations Unies sur le commerce des armes (TCA) de l’histoire, 74 États Parties[1] se sont engagés à remettre au secrétariat du TCA un rapport sur sa mise en œuvre. Ce rapport, qui doit être rendu avant le 31 mai 2016, permettra à tous les États Parties, ainsi qu’aux sociétés civiles de l’ensemble des Nations, d’évaluer le travail et les avancées du traité.

ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines), qui était présente à la conférence des États Parties de Cancun au Mexique, se félicite de l’engagement continu de la France dans l’application du TCA.

ASER rappelle cependant au gouvernement français l’impérative nécessité de considérer avec rigueur l’article 7 du TCA qui précise qu’un État ne doit pas autoriser une exportation lorsqu’il estime qu’il existe un risque prépondérant que  les armes pourraient servir à :

  1. i) Commettre une violation grave du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission;
  2. ii) Commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en faciliter la commission;

Or les derniers contrats de la France, notamment en direction des pays du Moyen Orient, posent un certain nombre de questions quant au respect strict de ces deux critères. En effet la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen est responsable de crimes de guerre, de graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Un conflit qui a déjà fait plus de 2 700 morts civils[2], du fait notamment des bombardements exécutés par cette coalition[3].

ASER insiste également sur le constant retard du gouvernement français de se mettre en conformité avec ses engagements internationaux sur le courtage, suivant la Position Commune de l’Union Européenne  et l’article 10 du TCA :

« Chaque État Partie prend, en vertu de sa législation, les mesures nécessaires pour réglementer les activités de courtage des armes classiques visées par l’article 2 (1) relevant de sa juridiction. Ces mesures peuvent notamment consister à exiger des courtiers leur enregistrement ou l’obtention d’une autorisation écrite avant l’exercice d’activités de courtage. »

ASER invite le gouvernement français à inscrire ce projet de loi au plus vite à l’ordre du jour du Parlement, il en va de sa responsabilité.

Membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères, ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines) lutte pour le respect des droits de l’homme dans les transferts d’armes et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces de police. ASER est accrédité ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies.

[1] http://www.un.org/disarmament/ATT/ à ce jour 130 Pays ont signé le TCA, dont trois sont dans un processus d’accession comme Etat Parties

[2]  http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=52887#.Vn6PWjalOQs ,

[3] Dont plus de 2 600 civils le seraient mortes directement des bombardements : http://www.armerdesarmer.fr/ rapport ONG : Amnesty International 2015: “Bombs fall from the sky day and night’ civilians under fire in northern Yemen”

Contacts : http://aser-asso.org/index.php

Pour demandes d’interview ou participation à une émission sur la question des armes : Leila Leboucher Bouache: +336 62 07 66 77





Sergio Finardi, un homme en colère

9 12 2015
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Sergio Finardi Nations Unies juillet 2010. Photo Benoît Muracciole

La semaine dernière Sergio Finardi est mort à Chicago, il nous a quitté arraché à la vie par un cancer.

Sergio était à ma connaissance le plus grand spécialiste du traçage des transferts d’armes dans le monde. La rigueur et la qualité de son travail, dont ont bénéficié pendant de nombreuses années Amnesty International et IPIS, est dans son domaine inégalée.

Le rapport sur la République Démocratique du Congo « Le flux des armes à destination de l’est[1] » fut sa première collaboration avec Amnesty International et IPIS. Sorti en juillet 2005, ce rapport mettait en avant la réalité des transferts d’armes irresponsables dans une guerre dont peu d’ONG parlaient. Il fallait avoir une conscience un peu plus élargie que celle de l’occident pour s’intéresser à cette région des grands lacs. Sergio fera plus tard parti d’un des groupes d’experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo[2]. Il en sorti furieux de constater l’absence de volonté politique des États à s’engager dans la résolution de cette guerre. Puis ce fut la sortie d’un autre rapport en 2006 : « Dead on time[3] », puis « Blood at the Crossroad[4] » en 2008 sans aucun doute les pièces maitresses de ce que fut la collaboration entre Sergio et le département armes d’Amnesty International qui continua, parfois difficilement, pendant ces nombreuses années. Sa collaboration avec Peter Danssaert d’IPIS a été aussi l’occasion de production de rapports qui ont contribué à alimenter le plaidoyer des ONG pour le traité sur le commerce des armes[5].

Je l’avais rencontré pour la première fois à Londres en décembre 2005. Le premier contact a été facilité par notre appartenance au monde méditerranéen. Je ne dirais pas que notre relation fut une longue et calme amitié. Elle fut au contraire, pour ces dernières années, tumultueuses et j’en connais beaucoup qui se sont retrouvés surpris par les terribles orages qu’il pouvait déclencher. Ces colères n’étaient pas toujours justes et je sais que ses proches en ont aussi souffert.

Mais pour sa défense je dirais que si la communauté des ONG et des centres de recherche lui doit énormément, elle n’a malheureusement pas toujours été à la hauteur de l’exigence de Sergio. Entre un petit escroc, aujourd’hui employé d’un centre de recherche du nord de l’Europe et une ONG britannique de développement, ses précieux documents de recherches ont été largement pillés, sans aucun état d’âme, de la part de ces malfaisants.

C’est aussi ces graves manquements à la déontologie de la recherche, que Sergio ne supportait pas

En octobre 2007 Sergio était venu à Paris, avec ses amis Carlo Tombola et Brian Wood. Cette rencontre, que nous avions organisée, fut un aperçu de son immense connaissance et du regret aujourd’hui de ne pas avoir pensé avant la transmission de ce savoir.

Je ne sais pas si Sergio a été un jour convaincu de l’importance stratégique de la défense des droits de l’Homme, mais je sais que son immense colère venait de cette injustice faite aux plus faibles, injustice alimentée par des transferts d’armes irresponsables des États. Il restera pour toujours un homme bon d’une incomparable générosité.

Benoît Muracciole

[1] Amnesty International, IPIS, TransArms : https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/rc3a9publique-dc3a9mocratique-du-congo-rdc-le-flux-d_armes-c3a0-destination-de-l_est-juillet-2005.pdf

[2] L’évaluation de l’International Rescue Committee sur l’impact de cette guerre sans nom, entre aout 1998 et avril 2005, donnait plus de 5 millions de morts. http://www.rescue.org/sites/default/files/migrated/resources/2007/2006-7_congomortalitysurvey.pdf . Voir aussi : https://armerdesarmer.wordpress.com/2013/07/30/la-republique-democratique-du-congo-un-echec-continue-de-la-justice-internationale/

[3] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/10/rapport-dead_on_time_mars06.pdf

[4] https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2010/04/blood-at-the-cross-road-08.pdf

[5] http://ipis.mmdev.be/arms-trade-security-research/





Les massacres de Paris signent ils la fin d’une histoire de domination occidentale aveugle ? PARTIE III

3 12 2015

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Nous avons vu qu’un aggiornamento de la politique extérieure de la France était nécessaire, comment peut-il se traduire sur le plan intérieur.

Pour le moment le choix du gouvernement de limiter les libertés, de repousser les droits fondamentaux, de prolonger l’État d’urgence, de changer la constitution[1] et bombarder la Syrie … constitue la plus grande victoire de cette idéologie sectaire qui a tué 130 personnes le 13 novembre 2015.

Nous devons donc renverser ces logiques, et même si les pistes de réponses sont nombreuses face à la complexité de nos sociétés, certaines d’entre elles sont incontournables. Un travail de fond doit être fait pour tarir le recrutement des jeunes[2] et délivrer les générations futures de ces processus de violence. En premier lieu un retour sur notre histoire est essentiel : l’esclavage et la colonisation. Ces violences imposées à des centaines de millions de personnes ne peuvent s’être évanouies dans la mémoire des Hommes. Il n’y aura pas de répit véritable dans notre pays tant que la question de la réparation ne sera pas posée, comme celle de la Shoa l’est encore fort justement[3], car il ne peut y avoir de pardon sans demande de pardon.

Nous savons avec la psychanalyse que le déni du traumatisme, subi ou perpétré, ne fait qu’en reporter la résolution. Le passage par la parole est nécessaire. Il ne s’agit pas ici d’un travail de contrition ou d’un devoir de mémoire pour culpabiliser, mais d’un travail de mémoire pour libérer. C’est sans doute le plus grand effort que nous avons à réaliser, il ne pourra se faire dans la contrainte des poings serrés et des armes, mais dans la reconnaissance.

Reconnaître que la France est aujourd’hui ce qu’elle est « grâce » aussi aux profits de l’esclavage et de la colonisation, « grâce » aussi à l’exploitation de millions de travailleurs immigrés.

Reconnaître que ces millions de travailleurs immigrés ont aussi construit cette France et qu’ils en sont constitutifs de fait, eux et leurs enfants.

Reconnaître enfin que la France est aujourd’hui multiple, bariolée, bigarrée et que cela représente son meilleur atout pour le futur.

Mais ce mouvement ne se fera que dans les actes, et il est dommageable de constater que 10 mois après les meurtres de Charlie Hebdo et du supermarché casher rien n’a été fait dans ce sens[4].

D’abord pour lutter contre ce que le Premier ministre nommait, outrageusement, « un apartheid territorial, social, ethnique ». Quelles sont les mesures mises en place pour les plus démunis, les 8,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté[5] ? Quelles sont les mesures mises en place pour ceux qui ne rentrent pas dans ces statistiques (les migrants à Calais qui peuvent être soumis « à des traitements inhumains ou dégradants[6] ») ?

Qu’avons nous fait pour sortir l’Autre de l’humiliation et d’aliénation sociale[7]?

Enfin parce que le Président de la République a tort quand il déclare que la sécurité passe avant la stabilité. La sécurité c’est la stabilité ; la sécurité viendra dans le respect des droits de la personne, dont les droits sociaux économiques et culturels, avec l’éducation, l’emploi, le logement, l’espoir de pouvoir grandir ensemble dignement[8].

Or quels sont les signes de liberté, d’égalité et de fraternité que donne notre République pour qu’elle se rassemble ?

 

De la religion

Par provocation et pour sortir des raccourcis et confusions sur ce qui appartient à l’Islam et ce qui lui est étranger, je reprendrai simplement une définition de la religion entendue chez Paul Ricoeur :

La religion c’est relier, l’action de relier les Hommes entre eux, « c’est le projet de sauver le fond de bonté de l’homme[9] ».

Il n’y a donc rien de religieux dans tous les actes de violences, dont la violence armée, qu’ils se déroulent en Syrie, en Turquie, au Liban, dans les pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie[10]. Par contre il me semble voir une grande perversité dans l’inclinaison « bienveillante » que certains d’entre nous ont de sommer les musulmans de se désolidariser de chaque acte de terrorisme effectué au nom d’Allah[11]. Elle illustre encore cette vision ethnocentrique qui obligerait un musulman à être suspect de tout acte de terrorisme perpétré au nom d’Allah[12].

Il n’y eu pourtant aucune injonction de la sorte en direction des chrétiens lorsque Georges Bush, Tony Blair et bien d’autres ont porté cette violence armée contre les populations d’Afghanistan et d’Irak[13] au nom de la lutte contre « l’axe du mal »[14].

Ni rien non plus vis à vis des hindous quand au nom de Krishna et Vishnou des musulmans étaient massacrés en Inde[15] ou au nom de bouddha contre les Rohingyas au Myanmar[16]

Dans quelle conscience de l’universalité des droits de l’Homme, l’occident est-il encore enfermé ?

Benoît Muracciole

[1] Entretien avec la Professeur de droit public à l’université Jean-Moulin Lyon III, Marie-Laure Basilien-Gainche : http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/11/19/etat-d-urgence-une-marge-de-man-uvre-bien-trop-large-est-offerte-aux-autorites_4813627_823448.html

[2] En plus de la mise en place d’une structure pour lutter contre le trafic d’armes, comme l’avait suggéré ASER et l’IRIS il y a plus de 2 ans.

[3] Il ne s’agit pas ici de comparer le niveau de violence, mais bien de la méthode pour en sortir et tenter de la dépasser

[4] En réponse aux meurtres du début de l’année le gouvernement a décidé : « d’abonder le Fonds interministériel de prévention de la délinquance de 60 millions d’euros sur trois ans. La moitié de cette somme est destinée au financement de gilets pare-balles pour les policiers municipaux ou à la sécurisation de lieux sensibles : Prévention de la radicalisation : un guide à destination des maires, Localtis.info, le 11 novembre 2015

[5] http://www.inegalites.fr/spip.php?article270

[6] Jugement du 23 novembre 2015 du Conseil d’État à l’encontre du ministre de l’intérieur, la requête de la commune de Calais : http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-23-novembre-2015-ministre-de-l-interieur-commune-de-Calais ou les Roms sur le territoire français : Rapport 2015 Romeurope : http://www.romeurope.org/IMG/pdf/cndh_romeurope_-_rapport_politique_2015.pdf et http://www.medecinsdumonde.org/En-France/Intervenir-aupres-des-Rroms-pour-un-meilleur-suivi-sanitaire et http://www.errc.org/article/the-european-court-of-human-rights-is-questioning-frances-evictions-policy/4286

[7] Il faut lire et relire Frantz Fanon pour comprendre ce que cela induit pour une société, de produire de telles discriminations: « aliénation psychiatrique et aliénation coloniale » à substituer par « aliénation psychiatrique et aliénation sociale » ?

[8] https://armerdesarmer.wordpress.com/2015/01/12/quelles-reponses-peut-avoir-une-societe-digne-face-a-la-terreur/

[9] http://www.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877017907

[10] Voir aussi : Jürgen Habermas : « Le fondamentalisme djihadiste a certes recours dans ses manières de s’exprimer à tout un code religieux ; mais il n’est en rien une religion. Il pourrait recourir, à la place du langage religieux qu’il utilise, à n’importe quel autre langage religieux, et même à n’importe quelle idéologie promettant une justice rédemptrice.

Les grands monothéismes ont des origines qui remontent très loin dans le temps. Le djihadisme, en revanche, est une forme absolument moderne de réaction à des conditions de vie caractérisées par le déracinement. Attirer l’attention, dans un but préventif, sur une intégration sociale en panne ou sur une modernisation sociale défaillante, ce n’est naturellement pas exempter les auteurs de ces méfaits de leur responsabilité personnelle. »

[11] Comme de désigner le Coran ou les Hadith comme l’origine de cette violence sans repenser ce texte dans on histoire et la complexité de ses écritures.

[12] Ce qui n’empêche évidement pas d’enquêter sur tous les fanatiques non religieux qui investissent les églises, mosquées, synagogues et autres lieux de cultes, ainsi que les lieux de privation de liberté.

[13] L’étude du Lancet pour l’Irak donne environ 650 000 décès pour les 40 mois entre mars 2003 et juin 2006 : https://armerdesarmer.wordpress.com/2010/11/05/guerre-dirak-entre-400-000-et-1-033-000-morts-pour-la-democratie-et-la-liberte/

[14] State of the Union Address (January 29, 2002) : http://millercenter.org/president/speeches/speech-4540

[15] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/10-ans-apres-le-massacre-des-musulmans-au-gujarat-27-02-2012-2312_118.php

[16] http://info.arte.tv/fr/birmanie-la-malediction-des-rohingyas