France : Est venu le temps d’un contrôle des intermédiaires et de la transparence dans les ventes d’armes !

25 06 2014

Capture d'écran

 

Selon l’Agence France Presse (AFP), la Cour de justice de la République (CJR) va enfin examiner le rôle joué par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur et l’ancien ministre de la Défense François Léotard dans le contrat d’armements des sous marins Agosta pour le Pakistan[1]. Celles-ci suivent les mises en examen de Nicolas Bazire, Renaud Donnedieux de Vabre[2], de Thierry Gaubert et de Pierre Mongin pour « complicité d’abus de biens sociaux » et « recel d’abus de biens sociaux » pour deux dossiers (Agosta et les contrats Mouette, Shola/Slbs et Sawari II pour l’Arabie Saoudite[3]) datant de 1994[4]

Pour réaliser le contrat avec le Pakistan, la Direction des Constructions Navales Internationale (DCNI) avait mandaté une société française, la Société d’export des marchandises militaires françaises à l’étranger (SOFMA), avec à la clé une commission de 6,25% du contrat.  Alors que l’affaire est conclue, deux intermédiaires auraient été imposés par le chef du gouvernement de l’époque Edouard Balladur et son ministre de la Défense François  Léotard : Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir. Sans avoir joué un quelconque rôle dans ce contrat, ils réclament une commission de 216 millions de francs (environ 33 millions d’euros) et rompant avec la tradition, ils vont en toucher une large partie dans l’année[5]. Cet argent transitera par la société offshore Heine crée au Luxembourg avec l’autorisation du ministre du Budget du moment, porte parole et directeur de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur : Nicolas Sarkozy[6].

Comment lutter à l’avenir contre de telles dérives ?

Comme nous le répétons depuis plus de 15 ans, dans le domaine des exportations d’armes classiques, les moyens efficaces de la lutte contre la corruption sont le contrôle des activités des intermédiaires et la transparence dans le rapport d’exportation d’armement auprès du Parlement.   Pour le contrôle  de l’intermédiation – et malgré les efforts de la délégation française aux Nations unies lors des négociations du traité sur le commerce des armes pour obtenir un article sur leur contrôle strict – les gouvernements français successifs n’en ont pas voulu ! En effet depuis le premier projet de loi déposé en 2001 par le ministre de la Défense d’alors, Alain Richard – et régulièrement déposé au Sénat par les gouvernement suivants – ils n’ont pas trouvé le temps de le faire voter par le Parlement. Pourtant en juin 2003 la position commune de l’Union Européenne en matière de courtage en armements était adoptée et avait engagé les États membres de l’UE à mettre en place une législation nationale qui lui soit conforme[7]. Aujourd’hui un nouveau projet de loi – qui a pallié en partie aux lacunes du précédent projet de loi en intégrant les résidents et les ressortissants non résidents sur le territoire français – est prêt. Malheureusement il ne prend pas en compte l’ensemble de l’activité des intermédiaires[8] – assureurs, financiers, transporteurs, logisticiens, affréteurs… – et  attend toujours son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale.

Quant à la transparence, les résistances au ministère de la Défense sont toujours aussi importantes et semblent d’un autre âge. Celles ci  qui viendraient de la volonté du pays importateur de ne pas voir la liste de son armement révélée, sont une fable comme celle du refus de l’industrie de l’armement de révéler les informations sur leurs armes pour des raisons de compétitivité. Car alors que la France est un membre de l’Arrangement de Wassenaar[9] et qu’elle revendique d’appartenir au Conseil de Sécurité des Nations unies comme membre permanent, les descriptions des armes exportées dans son rapport annuel au Parlement sont en deçà de celles déclarées sur le registre de l’ONU.   Les informations sur les biens à double usage, le matériel de sécurité et de police y sont absentes ainsi que sur le matériel dépendant du Règlement (CE) n° 1236/2005 de juin 2005 concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[10], excusez du peu…

Au XXI° siècle il n’est donc toujours pas possible d’identifier, pour les parlementaires ou pour les ONG, un matériel de guerre français exporté dans un pays sensible – comme l’Egypte ou Israël – afin de vérifier s’il ne contribue pas a une grave violation des droits de l’homme et/ou du droit international humanitaire.

La politique de la France en matière d’armements est tenue par ses engagements internationaux, que ce soit la Position Commune de l’Union Européenne de 2008 ou le traité sur le commerce des armes, elle devrait imprimer l’image d’un État responsable et qui n’a pas honte de sa politique. Elle en est encore loin.

Benoît Muracciole

Annexe

Commentaires et Propositions d’Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER) sur le projet de loi relatif au régime d’autorisation des opérations d’intermédiation et d’achat pour revendre et modifiant le code de la défense ASER se félicite du rôle moteur joué par le gouvernement français en faveur d’un traité sur le commerce des armes et note que ce projet, visant à assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale, a pour objectif inscrit dans son intitulé, l’établissement de normes internationales communes pour l’importation, l’exportation et le transfert d’armes classiques. C’est pourquoi ASER estime nécessaire que le gouvernement français prenne toutes les mesures appropriées, au niveau national ainsi qu’à l’égard de ses partenaires internationaux, visant tous les acteurs concernés par les activités de transferts définis dans le registre des Nations unies. Le Gouvernement a affirmé : qu’« il lui paraît en effet utile de faire davantage reconnaître par la communauté internationale la nécessité d’un comportement responsable des Etats concernant ces transferts. Cette reconnaissance peut prendre la forme de principes politiques devant guider les décisions de transferts, mais doit nécessairement s’appuyer sur l’existence de dispositifs nationaux de contrôle assurant que cette responsabilité des Etats peut effectivement être exercée[11] ».   Sur le champ d’application du régime d’autorisation préalable   Parmi les dispositifs nationaux indispensables, ASER se félicite de l’engagement du gouvernement français d’établir un nouveau projet de loi visant l’interdiction des opérations d’intermédiations sans autorisation. La décision d’intégrer, dans le régime d’autorisation préalable à l’exercice d’opérations d’intermédiation – les « nationaux » et les « personne(s) résidente(s) ou établies en France », quelque soit le lieu des opérations « en France ou à l’étranger » – est un choix que nous soutenons et qui participe à la réalisation des objectifs d’un traité sur le commerce des armes. Sur la définition des activités d’intermédiation   Les nombreux exemples relevés par les ONG spécialisées[12] dans les questions de transferts d’armes démontrent la diversité des activités d’intermédiation et la nécessité de les appréhender dans toute leur complexité. Les Experts Gouvernementaux de l’ONU conseillaient dans un rapport remis en 2007[13] (paragraphe 46) que :   « La réglementation nationale (…) s’étende au transport, aux activités financières et à d’autres services lorsque ces activités font partie intégrante de l’opération dont le courtier est chargé. »   –       Considérant la difficulté d’enregistrer tous les intervenants dans l’activité d’intermédiation, ASER recommande d’enregistrer et de délivrer une licence d’exportation au courtier en armes pour :   « Toute opération à caractère commercial ou à but lucratif dont l’objet est : -soit de rapprocher des personnes souhaitant conclure un contrat d’achat ou de vente de matériel de guerre ou de matériels assimilés, -soit de conclure un tel contrat pour le compte d’une des parties[14], -soit d’aider des parties à effectuer les versements nécessaires[15]. »   Cette opération d’intermédiation faite au profit de toute personne quel que soit le lieu de son établissement prend la forme d’une « opération de courtage ou bien celle d’une opération faisant l’objet d’un mandat ou d’un contrat de commission[16]. »   –       Considérant la Déclaration de la Chambre Préliminaire du Tribunal Pénal International du Rwanda en 1998 « The Prosecutor vs Jean Paul Akayesu » qui indiquait : « complicity by procuring means, such as weapons, instruments or any other means, used to commit genocide, with the accomplice knowing that such means would be used for such a purpose[17]»   Il est nécessaire d’engager la responsabilité des transporteurs[18], des activités financières et aux autres services lorsque ces activités font partie intégrante de l’opération dont le courtier est chargé.   ASER recommande donc que le courtier bénéficiant d’une licence autorisant une intermédiation donnée, avec le détail de tous les matériels concernés, présente le document à tout individu ou personne morale qui participera directement ou indirectement à l’opération. Chaque personne morale ou individu vérifiera, auprès des autorités françaises en charge de la délivrance des licences, la véracité du document. Seule une réponse positive desdites autorités permettra de considérer que l’activité est conforme à la loi.   [1] https://armerdesarmer.wordpress.com/2010/05/06/financement-des-ventes-d%E2%80%99armes-a-quand-un-vrai-controle/ [2] Nicolas Bazire fut le directeur de cabinet du 1° ministre Édouard Balladur, Renaud Donnedieux de Vabre conseiller spécial du ministre de la Défense,  Thierry Gaubert chef de cabinet adjoint au ministère du Budget Nicolas Sarkozy et Pierre Mongin chef de cabinet du 1° ministre Édouard Balladur. Ils ont été mis en examen une première fois pour « complicité d’abus de biens sociaux » en décembre 2011 et une deuxième fois pour et « recel d’abus de biens sociaux » en avril 2013. [3] Pour la somme de 19 milliards de Francs (environ 2,9 milliards d’euros) Ces deux intermédiaires auraient bénéficié du même appui de l’autorité politique de l’époque pour toucher une commission sur le contrat Sawari II d’environ 8%, 232 millions d’euros, ce qui représente le coût d’une équipe d’environ 900 éducateurs de rue sur une année. [4] http://www.mediapart.fr/journal/france/120913/campagne-de-balladur-pierre-mongin-et-nicolas-bazire-en-examen [5] Ils en toucheront 85% soit 183,6 millions de Francs (27,9 millions d’euros) ce qui représente les salaires, charges comprise, d’une équipe d’environ 900 éducateurs de rue sur une année. [6] http://www.mediapart.fr/journal/france/170112/affaire-takieddine-826-millions-deuros-detournes-par-les-balladuriens?onglet=full [7] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32003E0468:FR:HTML [8] En annexe la proposition d’ASER faite aux autorités compétentes. [9] L’Arrangement de Wassenaar est la réunion  des 41 plus importants exportateurs d’armes de la planète, à l’exception notoire de la Chine, pour contribuer à la paix et la stabilité et à la promotion de la transparence  : http://www.wassenaar.org/introduction/index.html [10] http://europa.eu/legislation_summaries/human_rights/fundamental_rights_within_european_union/r12535_fr.htm [11] Avis CNCDH du 8 février 2007 http://www.cncdh.fr/sites/default/files/07.02.08_avis_projet_loi_intermediation.pdf [12] Voir notamment : « Le flux des armes en direction de l’est de la RDC » 2005, « Dead on time » AI Transarm 2006, http://aser-asso.org/rapports.php?only=ong [13] http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N07/442/33/PDF/N0744233.pdf?OpenElement [14] Projet de loi intermédiation 25 juillet 2006 : http://www.assemblee-nationale.fr/12/projets/pl3269.asp ainsi que http://www.senat.fr/leg/pjl06-323.html [15] http://www.poa-iss.org/BrokeringControls/French_N0744233.pdf [16]http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000020546737&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte= [17] http://www.scjn.gob.mx/Documents/Der_Mujeres/files/_anexo-2/01_prosecutor_contra_akayesu.pdf [18] Notamment dans l’esprit du « non paper » français 22 mai 2006 : http://www.osce.org/fr/eea/19197





Le marchand d’armes Russe Rosoboronexport présent au salon Eurosatory 2014 : qu’en disent les populations syriennes ?

20 06 2014
Photo Benoît Muracciole

Photo Benoît Muracciole

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines), s’est étonnée de la présence ostentatoire de Rosoboronexport à Eurosatory 2014, salon biennal de l’armement qui ferme ses portes, ce jour, à Villepinte (93).  Le marchand d’armes russe est en effet un des principaux fournisseurs du régime de Bachard al Assad, responsable de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de graves violations des droits de l’Homme contre la population syrienne. C’est ce que la commission des Droits de l’Homme, ainsi que les commissions d’enquête des Nations unies ont dénoncé depuis plus de 2 années[1], suivies en cela par de nombreux pays de la communauté internationale, dont la France elle-même. ASER ne peut s’empêcher de relever cette très cynique contradiction.

La récente ratification par la France du Traité international sur le commerce des armes (TCA)[2] aux Nations unies, aurait dû pourtant inciter le gouvernement français à une plus stricte vigilance quant à la participation à ce salon d’une telle entreprise, complice des crimes commis par Damas. Cela est d’autant plus préjudiciable pour l’image de la France qu’elle a été un des pays les plus actifs pour inscrire la question des droits de l’Homme au cœur de ce traité, à la rédaction duquel ASER, ONG accréditée aux Nations unies, a étroitement contribué.

ASER rappelle la publication prochaine du rapport sur les exportations d’armes par la France et sa présentation au parlement. ASER attend de ce rapport qu’il réponde enfin aux demandes, réitérées depuis de longues années, d’une description plus précise des matériels exportés, à l’instar de celle affichée dans le registre des Nations unies. Sur la base des descriptions antérieures, il était jusqu’ici impossible d’identifier les armes exportées, et donc d’en connaitre les éventuels usages pour de graves violations des droits de l’Homme et/ou du droit international humanitaire, dont le contrôle constitue la quintessence du TCA.

 

 

 

Membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères (RAIAL), ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines) lutte pour le respect des Droits de l’Homme dans les transferts d’armes, et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces publiques.

ASER est accrédité ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies.

 

Contacts : http://aser-asso.org/index.php

Pour demandes d’interview ou participation à une émission sur la question des armes : Stéphane Muracciole : +336 99 75 41 80

 

[1]http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/IICISyria/Pages/IndependentInternationalCommission.aspx

[2]  Le TCA est présenté à la signature des Etats membres depuis le 3 juin 2013 au sein de l’Assemblée générale de l’ONU. A ce jour, il  a rassemblé 118 signatures et 41 ratifications. Il en faut 50 pour son entrée en vigueur.





Brésil : La police se « foot » des droits de l’Homme

12 06 2014

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Depuis quelques semaines, presque toute la planète à la « tête au Brésil » pour cette grande fête du ballon rond qui s’ouvre aujourd’hui.  C’est l’occasion pour elle de voir comment depuis la mi juin 2013 des milliers de manifestants ont été injustement brutalisés, blessés, arrêtés en violation du droit brésilien et du droit international relatif aux droits de l’Homme dont le Brésil est Partie[1]. Ces militants protestaient dans tous le pays contre l’investissement démentiel de 8 milliards d’euros[2] du gouvernement de la Présidente Dilma Rousseff pour une coupe du monde de football, alors que les problèmes d’éducation, de santé,  de chômage, de transports, et de sécurité persistent encore. L’ancienne gloire de la « Seleçao », Romario élu député du Parti socialiste brésilien, dénonce également une corruption qui a fait explosé le coût du spectacle et que chaque brésilien paie à la hauteur de 40 euros.

 

Ces revendications des brésiliens pour le  respect des droits économiques sociaux et culturels qui sont partis indivisibles des droits de l’Homme ont été « accueillis » par la force publique dans une violence qui apparaît largement arbitraire.  C’est ce que relève le rapport d’Amnesty International « « Ils utilisent une stratégie de la peur : Le Brésil doit protéger le droit de manifester[3] ».  L’usage disproportionné par la force publique, notamment dans  l’utilisation des armes intermédiaires[4] –gaz lacrymogènes, aérosols, gaz poivre, grenades incapacitantes et balles en plastique et en caoutchouc – montre que le cadre opérationnel des ces derniers viole les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu.

 

C’est ce que disent les nombreux témoignages recueillis sur place dont celui de Zoel Salim, directeur du centre médical Pinheiro Machado à Rio de Janeiro : « la police militaire avait  lancé des grenades lacrymogènes dans le hall des urgences de l’hôpital, le gaz s’était répandu dans tout l’hôpital». Hôpitaux, stations de métro, restaurants, nuls lieux ne semble être protégés de l’action des forces de l’ordre. Il faut dire que pour s’assurer de leur impunité, ces derniers utilisent la technique des plaintes pour outrage à agent[5] dont le nombre fait craindre qu’elle ne s’intègre dans une stratégie globale d’intimidation des victimes.

 

Dans les favelas aussi une campagne de pacification avait été lancée par le gouvernement brésilien, officiellement pour  assurer la sécurité de leurs habitants et lutter contre les gros trafiquants de drogues qui pour certains les contrôlent. Ces dernières années, notamment grâce au travail d’ONG comme Viva Rio, Luta pela Paz, Rio de Paz, les violences avaient diminuées. Depuis 2013 les techniques de « pacification » choisis par le Gouverneur de l’État de Rio Sérgio Cabral semblent avoir renvoyé les favelas au niveau de violence de 2010[6].  Les graves violations des droits de la personne due à l’intervention des représentants de la force publiques n’ont pas cessé, et la justice semble éprouver des difficultés à trouver les coupables.

 

En août 2013 c’est un maçon Amarildo de Souza, de la favela de Rocinha la plus grande de Rio de Janeiro, qui a disparu après qu’il ait été emmené par la police. Les caméras du commissariat montre son arrivée, mais malgré les déclarations des policiers qui assurent l’avoir libéré, personne ne l’a revu et il n’y a pas de traces de sa sortie sur ces mêmes caméras. En octobre 2013 25 policiers ont été mis en examen pour torture – simulacre de noyade, asphyxie avec un sac plastique, chocs électriques – ayant entraîné la mort de M. de Souza et pour sa disparition forcée[7].

 

Dans la zone de Pavão-Pavãozinho, dans le quartier de Copacabana, deux jeunes – Douglas Rafael Pereira da Silva, âgé de 26 ans et Edilson Silva dos Santos, 27 ans – ont été tués le 22 avril dernier. Les témoignages recueillis désignent la police ;  la mère de Douglas aurait été menacée par un homme alors qu’elle réclamait justice pour son fils[8].

 

En 2004 j’étais alors responsable de la campagne « Contrôlez les armes » pour Amnesty International France et nous avions participé, avec Sauro Scarpelli du Secrétariat International d’Amnesty, au Forum Social Mondial à Porto Allegre. Nous voulions y diffuser la campagne afin de montrer que le projet de traité sur le commerce des armes s’adressait également aux pays victime de la violence causée par dissémination des armes légères et de petits calibres, mais aussi par la responsabilité des forces publiques  mal entrainés et encadrés dans les violations des droits de l’Homme. En rentrant par Rio nous avions visité des favelas où les habitants vivaient cette  dramatique situation, otages entre la violence des cartels de la drogue et celle de la police. Des gamins armés de fusil automatiques étaient sensés y maintenir l’ordre de la pègre locale. Les membres de l’ONG qui nous avait alors accueillis étaient en continuels contacts radios afin d’éviter tout affrontement avec l’un ou l’autre camp. Au moment où nous quittions l’une des favelas, des policiers du secteur se rassemblaient, vérifiant leurs armes comme de vulgaires gangsters, pour récupérer une part des bénéfices du trafic de drogue ou les armes qu’ils avaient revendu aux trafiquants[9]. En 2014 la situation apparaît être la même pour leurs habitants : Il est temps de changer.

 

Cette coupe du monde peut être une formidable opportunité pour le gouvernement brésilien pour reprendre ses engagements devant les nombreuses Conventions qui engage sa responsabilité en matière de droits de l’Homme. La formation des responsables de l’application des lois, en conformité avec les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu en serait un symbole fort. Dilma Rousseff a montré au monde entier que son pays pouvait se dresser avec détermination dans la défense de l’Article 12 de la déclaration universelle des droits de l’Homme[10]. En accueillant et en protégeant Glenn Greenwald, le journaliste soutien du lanceur d’alerte Edward Snowden qui a révélé au monde les violations systématique du droit à la vie privée par la NSA[11], le Brésil pouvait devenir le Hérault des défenseurs des droits de la personne.  Il reste donc à ce grand pays de saisir la balle au bond, et de mettre en place sans délai une enquête indépendante et impartial pour que soient jugé tout représentant des lois impliqués dans des violations des droits de l’Homme, et de mettre en place un recrutement et une formation adéquate qui permette de véritablement protéger tous les citoyens. C’est le moment de montrer aux citoyens du monde, que dans la société comme au football, il est essentiel de jouer en respectant les règles.

Benoît Muracciole

 

[1] Charte des Nations unies, Convention américaine relative aux droits de l’homme, Commission interaméricaine des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Convention des droits de l’Enfant…

[2] Plus cher que les deux coupe du monde en Afrique du Sud et en Allemagne

[3] Amnesty International – juin 2014 Index AMR 19/005/2014 french : http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR19/005/2014/en/36cf0db3-e0a8-43e8-90d3-0526b41fdd67/amr190052014fr.pdf

[4] Improprement appelées dans le rapport  armes « à létalité réduite » qui signifierait que la mort elle même serait réduite ?

[5]Cette infraction est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement

[6]http://www.theguardian.com/world/2014/mar/24/brazil-army-rio-slums-violence-world-cup

[7]http://toulouse.catholique.fr/IMG/145/ACAT_2014_03-Bresil-VA4.pdf

[8] http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR19/003/2014/en/812c85fc-2915-4e59-bc70-dc84f640fe21/amr190032014fr.html

[9] Voir aussi les films : Cidade de Deus ; Tropa de Elite 1 et 2, Linha de Passe…

[10] Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation : https://www.un.org/fr/documents/udhr/

[11]http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/l-affaire-snowden-est-parti-du-br-sil





Taser en France : ces morts qui n’auraient pas du l’être

5 06 2014

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TRIBUNE MEDIAPART

Benoît MuraccioleGeorges GuillermouJean Johier et Leila le Boucher Bouache, d’Action Sécurité Ethique Républicaine (ASER), association qui alerte depuis des années le ministère de l’intérieur sur les dangers du Taser, réclament un moratoire pour l’emploi des pistolets à impulsions électriques et un état des lieux complet de leur utilisation.

 

Officiellement, 3 personnes sont mortes dans notre pays suite à l’utilisation à leur encontre d’un pistolet à impulsion électrique de marque Taser[1]. L’un d’entre eux, Loïc Louise un étudiant de 21 ans[2], est décédé le dimanche 3 novembre 2013 à la Ferté-Saint-Aubin (Loiret) après avoir reçu une décharge électrique tirée par un gendarme. Selon des témoignages recueillis, le jeune Loïc était alcoolisé, torse nu et non armé ; il serait resté inconscient et menotté au sol pendant un quart d’heure, avant qu’un de ses amis puisse l’approcher et se rendre compte que son pouls ne battait plus. Un de ses cousins, mineur, a également été ‘’tasé’’.

Il est bien entendu trop tôt pour cerner les responsabilités dans ce terrible drame, mais suite notamment aux informations diffusées sur ce cas par Mediapart le … mai, nous nous autorisons à nous poser quelques questions :

 

De quelle nature était la menace que le jeune Loïc Louise et ses deux cousins ont fait peser sur l’un ou les neufs gendarmes présents ?

 

L’emploi du Taser a-t-il été fait dans le  respect du principe de nécessité et de proportionnalité inscrit dans les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois,ainsi que dans le Code de déontologie de la Police et de la Gendarmerie nationales[3]  ?

 

Enfin, lorsque le jeune homme s’est écroulé, après avoir été tasé, les gendarmes ont-ils suivi les prescriptions d’usages qui demandent : « la présentation aux services d’urgence est impérative lorsque la personne a été touchée sur une partie vitale ou si elle présente des signes de troubles importants ou persistants[4] » ?

 

En attendant de pouvoir répondre à ces questions nous réitérons notre demande d’un moratoire pour l’emploi des pistolets à impulsions électriques – en accord avec la proposition de loi du 29 mai 2012 portée par 21 Sénateurs – afin de faire un complet état des lieux de leur utilisation.

 

Depuis près de 10 ans nous alertons le ministère de l’Intérieur français sur les dangers de cette arme. Une écoute polie de sa part nous fait comprendre que le message n’est pas passé quant à la nécessité d’en encadrer très strictement l’usage. Les deux doctrines d’emploi de la police et de la gendarmerie nationale en service aujourd’hui en témoignent. Aucune d’entre elles, à notre connaissance, ne présente les garanties d’usages sollicitées par la Commission contre la torture de l’ONU. En 2010, l’autorisation de doter à nouveau les polices municipales du Taser[5], malgré une annulation par le Conseil d’État en 2008, confirme l’absence de prise de conscience de la dangerosité de cette arme par les plus hautes autorités de l’État français. Pourtant, les 550 personnes décédées aux États Unis suite à son utilisation (dans plus de 60 cas les médecins légistes ont formellement indiqué que l’usage du Taser avait été la cause de la mort ou y avait contribué) en sont un cinglant désaveu[6]. Cependant, ces chiffres terribles ne reflètent que partiellement les dangers de cette arme. En effet, comme le notait la Commission contre la torture de l’ONU en novembre 2008, l’utilisation du Taser X26 «() serait de nature à violer les articles 1 et 16 de la Convention contre la torture et les mauvais traitements[7] ».

 

Nous renouvelons ici nos demandes et recommandations :

 

  1. La promulgation d’une doctrine d’emploi des armes à impulsion électrique (AIE) qui reprenne la rigueur du cadre d’emploi des armes à feu pour tous les services concourant aux missions d’ordre et de sécurité publiques en France.
  2. Une formation obligatoire et continue de tout responsable en charge du respect et de l’application de la  loi doté de cette arme, selon les principes édictés par le Comité Européen de Prévention de la Torture.
  3. La publication de la doctrine d’emploi, ainsi que d’un rapport annuel dressant le bilan de la totalité des faits d’usage des AIE et de leur contexte, et proposant les modifications à mettre en œuvre. Cette dernière disposition, commandée par une nécessité de transparence, devant venir conforter le rapport de confiance descitoyens envers leur force publique.

 

 

Benoît Muracciole Président d’Action Sécurité Ethique Républicaine (ASER)

Georges Guillermou Commissaire principal honoraire de la police nationale Vice- Président d’ASER

Jean Johier Commandant honoraire de la police nationale ASER

Leila le Boucher Bou

 

[1] Dont Mahamadou Maréga, mort le 30 novembre à Colombes (Hauts-de-Seine); il avait 38 ans. Sur ce cas, le Défenseur des droits demande au ministère de l’Intérieur d’engager des «poursuites disciplinaires» à l’encontre de policiers -Décision du Défenseur des droits n° MDS 2010 – 167). Dont aussi un homme de 45 ans à Crozon dans le Finistère le 4 avril d’avril 2014.

[2] Louise Fessard Médiapart mai 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/270514/est-ce-une-decharge-de-taser-qui-tue-loic-louise?page_article=2

[3] En vigueur depuis le 1er janvier 2014 et qui, dans son Article R. 434-18, précise que « le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ».

[4] Rapport du Défenseur des droits 2012 ; page 9.

[5] Décret n° 2010-544 du 26 mai 2010

[6] Chiffres depuis 2001, dans plus de 60 cas de décès, les médecins légistes ont indiqués que le Taser en avait été la cause ou y avait contribué.. Index: AMR 51/061/2013 23 Amnesty International septembre 2013 ; Page 23 : http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR51/061/2013/en/76dbc20a-726a-4cb6-876a-a36c383348d0/amr510612013en.pdf

[7] Committee against torture Thirty-ninth session Geneva, 5-23 November 2007 paragraphe 14 : http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/docs/followup/39th/PortugalCOBsExtractsfollowup.pdf remarques réitérées lors de la quarante-quatrième session 26 avril – 14 mai 2010 ; para 30 : http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/docs/CAT.C.FRA.CO.4-6.pdf. Article 1 : « …le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis… ». Article 16  : « Tout Etat partie s’engage à interdire dans tout territoire sous sa juridiction d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. En particulier, les obligations énoncées aux articles 10, 11, 12 et 13 sont applicables moyennant le remplacement de la mention de la torture par la mention d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CAT.aspx





8 nouveaux pays ratifient, ce mardi, le traité sur le commerce des armes classiques, adopté à l’ONU en avril 2013

3 06 2014

ASER_BD

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Paris, le 2 juin 2014

 

 

Ce mardi 3 juin 2014 à New-York (USA), 8 nouveaux pays[1] déposeront les outils de ratification du premier traité international sur le commerce des armes (TCA) de l’histoire, adopté à l’ONU il y a un peu plus d’une année. En rejoignant les 32 pays qui l’ont déjà ratifié[2], ces pays s’engagent à transposer le TCA dans leur ordre juridique interne et à appliquer, notamment, le principe de l’évaluation du risque d’usage des armes dont ils autoriseraient l’exportation.

Il ne manquera donc plus que 10 ratifications pour atteindre le chiffre de 50 attendu afin que ce traité entre en vigueur et devienne un instrument juridiquement contraignant pour ces états parties. La mobilisation exceptionnelle obtenue autour de ce texte depuis plus de 10 ans, grâce au constant investissement de certaines ONG et de nombreux États comme la France, permet d’espérer cette entrée en vigueur avant la fin de 2014.

ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines), qui a contribué à ce travail en relation avec de nombreux gouvernements, tient à saluer ces nouvelles ratifications. La portée universelle du droit international, présent au cœur des critères du TCA, est le meilleur garant de la protection des droits de l’Homme et du droit international humanitaire pour tous.

Aujourd’hui encore, quelle que soit l’impossibilité parfois d’estimer le nombre de personnes tuées du fait de la dissémination des armes classiques – notamment  dans des pays comme l’Afghanistan ou la République Démocratique du Congo –, ce sont des millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui subissent, au quotidien les violences directes et indirectes perpétrées à l’aide de ces armes. Les dramatiques situations vécues en Centrafrique, en Irak, en Lybie, au Mali, au Soudan du Sud et en Syrie, ou au Guatemala, au Honduras et au Brésil – où des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont perpétrés contre les populations par des gouvernements ou des groupes armés non étatiques  – donnent quotidiennement la mesure de cette réalité.

Pour confirmer cet élan de ratification du TCA, les 118 états déjà préalablement ‘’signataires’’ de ce texte parmi les 156 états ayant initialement voté en sa faveur, se devront de mettre en cohérence leurs actes avec leur engagement. Et ainsi faire de ce traité un authentique outil universel de défense des droits de la personne. Ils donneront alors aussi un signal fort à la Chine et à la Russie – 2 des 10 plus grands exportateurs d’armes du monde – afin qu’ils rejoignent les tenants de ce pacte, déterminant pour l’histoire de ce XXI° siècle.

 

[1] Australie, Autriche, Belgique, Burkina Faso, Jamaïque, Luxembourg, Samoa, Saint Vincent et les Grenadines.

[2]Albanie, Allemagne, Antigua et Barbade, Belgique, Bulgarie, Costa Rica, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grande Bretagne, Grenade, Guyana, Hongrie, Irlande, Italie, Islande, Japon, Lituanie, Mali, Mexique, Nigéria, Norvège, Panama, République de Macédoine, Roumanie, Salvador, Slovaquie, Slovénie, Trinidad et Tobago.

 

Membre du Réseau d’Action International sur les Armes Légères, ASER (Action Sécurité Éthique Républicaines) lutte pour le respect des droits de l’homme dans les transferts d’armes et dans l’exercice du maintien de l’ordre par les forces de police. ASER est accrédité ECOSOC Civil Society Network, aux Nations unies.

 

[1]Albanie, Allemagne, Antigua et Barbade, Belgique, Bulgarie, Costa Rica, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grande Bretagne, Grenade, Guyana, Hongrie, Irlande, Italie, Islande, Japon, Lituanie, Mali, Mexique, Nigéria, Norvège, Panama, République de Macédoine, Roumanie, Salvador, Slovaquie, Slovénie, Trinidad et Tobago.