Flashball, savoir dire stop !

19 03 2014

ASER_BD

TRIBUNE MEDIAPART

Georges Guillermou et Jean Johier, vice-présidents d’Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER) et Benoît Muracciole, président de l’association, demandent au ministre de l’intérieur la suspension de l’usage des flashballs et la mise en place d’« une étude indépendante, transparente et impartiale dont l’objectif sera d’évaluer la pertinence de leurs utilisations ».


 

Le 1er février 2014, Steve, 16 ans, a été grièvement blessé par le tir d’un lanceur de balle de défense (LDB) 40×46 dans la ville du Port, à La Réunion. Indépendamment des circonstances, que l’IGPN est chargée d’éclaircir, rien ne justifie qu’en France, en 2014, un jeune lycéen perde un œil pour s’être trouvé dans ou à proximité d’une manifestation.

Certes, les forces publiques du maintien de l’ordre ont besoin de moyens adaptés pour accomplir leur mission et répondre aux situations de violence que génère notre société. Et, en conséquence, il appartient au ministre de l’intérieur de les doter des équipements adaptés, en réunissant les conditions optimales pour que soient respectés le droit et les principes sur lesquels la France s’est engagée dans ce domaine : des missions clairement définies, une exigence de formations initiales et continues, l’obligation de rendre compte chaque fois qu’il aura été fait usage d’une arme de la dotation réglementaire, et la nécessité de contrôles internes et externes qui garantissent la meilleure sécurité des personnes en présence.

Or, malgré l’adoption en 2009 d’une nouvelle doctrine d’usage du Flashball super pro et du LDB 40×46 par la police et la gendarmerie nationales, elle-même précisée en novembre 2012, force est de constater que les raisons invoquées pour leur utilisation sont trop souvent contestables. Rappelons à ce sujet la proposition de loi du 29 mai 2012 portée par 21 sénateurs, à laquelle nous souscrivons, qui demandait « un moratoire sur l’utilisation de ces armes dangereuses pour faire un état des lieux de leur utilisation ».

Lorsque le Flashball et le LBD ont été introduits en France en 1995, il s’agissait, pour le ministère de l’intérieur, de doter les forces publiques de nouvelles armes permettant de répondre de manière proportionnée aux violences auxquelles elles pouvaient se trouver confrontées dans l’accomplissement de leur mission. Reprenant les principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu adoptés en 1990 dans son article 5, reprenant le Code européen d’éthique de la police (Conseil de l’Europe) adopté en 2001, ainsi que le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois dans son article 3, l’usage du Flashball super pro et celui du LDB 40×46 doivent d’abord reposer sur le principe majeur de la proportionnalité de la réponse.

Celle-ci est désormais encadrée en France par le Code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationales, en vigueur depuis le 1er janvier 2014 et qui, dans son article R. 434-18, précise que « le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ».

De nombreux incidents graves mettant en cause l’emploi de ces armes dites « de force intermédiaire » ont été examinés dans le Rapport rendu en mai 2013 par le Défenseur des droits. Et plusieurs de ces affaires ont donné lieu à condamnation judiciaire, dont la plus récente a été prononcée contre l’Etat par le tribunal administratif de Paris, le 17 décembre 2013, après la blessure de Clément Alexandre résultant d’« une balle de défense tirée par un policier » lors de la fête de la musique à la Bastille, le 21 juin 2009. Différentes enquêtes menées révèlent des défaillances souvent partagées entre les acteurs du terrain et leur encadrement, la méconnaissance des textes et des obligations attachées à la mise en œuvre et à l’usage de ces armes dangereuses, ainsi que les limites du crédit à accorder au seul contrôle hiérarchique et interne des institutions concernées. Il est en outre indispensable que l’intérêt de la sécurité en ce domaine intègre de manière formelle et très concrète la dotation de plus en plus fréquente des polices municipales de telles armes, comme celle de Marseille tout récemment.

Il est donc urgent que le ministre de l’intérieur suspende l’usage de ces armes, et diligente une étude indépendante, transparente et impartiale dont l’objectif sera d’évaluer la pertinence de leurs utilisations dans l’exercice du maintien de l’ordre public et de s’assurer que celles-ci ne contreviennent pas au respect de la déclaration universelle des droits de l’Homme.

Benoît Muracciole, président d’Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER)
Georges Guillermou, commissaire principal honoraire de la police nationale, vice-président d’ASER
Jean Johier, commandant honoraire de la police nationale, membre d’ASER





Y-a-t-il un droit international pour les palestiniens des territoires occupés ?

7 03 2014
capture d'écran du rapport

capture d’écran du rapport d’Amnesty International sur la Cisjordanie

 

Cette question peut apparaître comme exagérée et provocatrice. En effet, quel État de droit, membre des Nations unies et allié de nombreuses démocraties comme les États Unis et la France, ne respecte pas les droits de l’Homme ? Les impertinents répondront sans hésitation : l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Qatar…  ce qui n’est pas faux, mais qui penserait encore trouver encore dans cette liste Israël en 2014 ?

Après la désastreuse défaite lors de la guerre du Liban en 2006 et l’opération plomb durci en 2009, il semblait que les massives violations graves des droits de personne ainsi que du droit international humanitaire – dont des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité – par l’armée israélienne avaient persuadé le gouvernement israélien de se mettre en conformité avec le droit international existant. Ce n’est malheureusement pas ce que le rapport d’Amnesty International « Trigger-happy israel’s use of excessive force in the West Bank[1] » nous dit. Entre janvier 2011 et décembre 2013 – d’après les chiffres du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) [2] – 41 Palestiniens ont été tués dont au moins 4 enfants en Cisjordanie

Qu’ils soient des manifestants ou des observateurs, les citoyens palestiniens ont du subir la dure loi des armes en violation du droit international relatif aux droits de l’Homme ainsi que du droit international humanitaire. Le bilan pour l’année 2013 est de 25 personnes tuées et des centaines de blessés par un usage disproportionné de la force en violation des principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feu. Le rapport cite de nombreux témoignages ou des membres des forces israéliennes ont tiré sans raison sur des enfants avec des gaz lacrymogènes et des balles de métal enrobées de caoutchouc.

Parfois même les soldats tirent avec de véritables balles sur les jeunes hommes, et parfois des enfants, qui lancent des pierres. Pour Majd Lahlouh, 21 ans,  et Karim Abu Sbeih, 17 ans, cela leur sera fatal. Le 20 août 2013 lors d’une opération de l’armée israélienne à Jénine, alors qu’ils avaient résisté avec d’autres à cette intrusion des forces armées israéliennes en lançant des pierres et un cocktail Molotov ; ils le paieront de leur vie. C’est le cas aussi de Wajih al-Ramahi, 15 ans qui lui jouait au football avec ses amis dans l’après midi du 9 décembre 2013. Sans que l’on sache véritablement s’il avait fini par rejoindre les jeunes qui jetaient des pierres, il a été tué d’une balle tirée par un des soldats. En 2010 le gouvernement israélien a mis en place un « Military Advocate General Corps » pour enquêter sur les actions contestées des forces armées israéliennes. Le peu de résultats de cet organisme – en terme de poursuites judiciaires des auteurs des graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, dont des homicides illégaux – donne plutôt le sentiment d’une impunité.

Les nombreux conflits observés à travers le monde, dont le conflit voisin en Syrie, avaient peut être fait oublier la dramatique situation des Palestiniens des territoires occupés. En effet, malgré l’ouverture de nouvelles négociations entre les autorités palestiniennes et israéliennes, c’est la politique de la tension qui semble toujours commander les actions des forces israéliennes. Le débat ouvert lors de la création de l’État d’Israël – entre ceux qui pensaient qu’il était possible de vivre en paix avec les palestiniens et les pays arabes et ceux qui jugeaient que seule une politique de tension avec leurs voisins les protégeraient de toute attaque – reste tranché au sein du gouvernement israélien, en faveur de la dernière option. Cette logique d’affrontement décrite par Clausewitz : « chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes. Telle est la première action réciproque et la première extrémité que nous rencontrons[3] » semble pourtant amener à la destruction pure et simple des adversaires[4].

C’est également ce que répètent sous une autre forme dans « The Gatekeeper[5] », les anciens directeurs du Shin Bet[6], les services de renseignement israélien : « il n’y aura pas de paix possible pour Israël avec cette politique sécuritaire[7] ».

La France depuis 2008 a livré pour plus de 100 millions d’euros de matériel de guerre en direction d’Israël, plus de 10 millions en 2012, et ce malgré les nombreuses alertes émises par les ONG, dont ASER. Il semble urgent que notre pays reconsidère les autorisations d’exportations en direction d’Israël, selon les termes inscrits dans les articles 6[8] et 7 du traité sur le commerce des armes, que la France a signé en juin dernier et qu’elle s’apprête à ratifier dans le mois qui vient.

Article 7 du traité sur le commerce des armes :

Exportation et évaluation des demandes d’exportation

1. Si l’exportation n’est pas interdite par l’article 6, chaque État Partie exportateur, avant d’autoriser l’exportation d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de tout autre bien visé par les articles 3 ou 4, selon ce qui relève de sa juridiction et conformément à son régime de contrôle national, évalue, de manière objective et non discriminatoire, en tenant compte de tout élément utile, notamment de l’information fournie par l’État importateur en application de l’article 8 (1), si l’exportation de ces armes ou biens :

a) Contribuerait ou porterait atteinte à la paix et à la sécurité;

b) Pourrait servir à :

i) Commettre une violation grave du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission;

ii) Commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en faciliter la commission;

iii) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission; ou

iv) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs à la criminalité transnationale organisée auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission.

2. L’État Partie exportateur envisage également si des mesures pourraient être adoptées pour atténuer les risques énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 1), y compris des mesures de confiance ou des programmes élaborés et arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs.

3. Si, à l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation.

Benoît Muracciole


[3] De la guerre. Traduction intégrale de Denise Naville ; Editions de Minuit, 1980.

[4] Ce que René Girard défend depuis des années avec la théorie mimétique de la rivalité et qu’il reprend avec Benoît Chantre dans : Achever Clausewitz ; édition Flammarion, 2011.

[6] Ami Ayalon, Avi Dichter, Yuval Diskin, Carmi Gillon, Yaakov Peri et Avraham Shalom.

[7] Il est d’ailleurs intéressant de noter que la vie n’a pas été simple pour les hauts responsables israéliens qui ont tenté de briser ce cercle  de violence : Yitzhak Rabin et plus tard Ariel Sharon.