Il y a 10 ans était assassiné Pascal Kabungulu Kibembi; Quelle justice en République Démocratique du Congo (RDC) ?

31 07 2015

Pascal

 

En octobre 2001, la guerre bat son plein dans ce pays entre  l’Angola, le Burundi, l’Ouganda, la Libye, la Namibie, le Rwanda, le Soudan, le Tchad, le Zimbabwe et les groupes armés … Marcel Akpovo, Andrew Philip et moi même avions rencontré Pascal Kabungulu Kibembi à Bukavu. Nous étions dans une mission d’Amnesty International sur les graves violations des droits de l’Homme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés par les groupes armés dans le pays, dont les troupes gouvernementales de la RDC. Dans cette dénomination il y avait à l’époque les troupes gouvernementales des pays cités, plus de nombreux groupes armés non étatiques (une quinzaine environ) qui étaient sous contrôle/influence d’un des pays impliqué en RDC.

Nous étions accueillis par l’ONG  les Héritiers de la Justice dans la ville de Bukavu et c’est lors de notre rencontre avec Pascal que nous avions collecté des cartouches de Kalachnikov qui avaient été utilisées lors du viol puis du meurtre d’une jeune étudiante. S’il est une région du monde où la faiblesse, voire l’absence, de contrôle des transferts d’armes a eu des conséquences dramatiques pour la population civile, c’est bien la région des grands lacs. En 2005 Amnesty International lançait un rapport qui montrait comment, malgré les millions de civils morts des suites directes et indirectes de la deuxième guerre en août 1998, des tonnes d’armes continuaient d’arriver jusqu’en République Démocratique du Congo.

C’est cela aussi que dénonçait avec courage Pascal Kabungulu. Comme beaucoup de défenseurs des droits de l’Homme, il mettait au-dessus de sa propre vie, celles des plus faibles. Il a été assassiné devant sa femme et ses enfants il y a dix ans, le 31 juillet 2005 et depuis, plus rien pour lui et sa famille. La justice s’est arrêtée, les commanditaires et les hommes qui ont exécuté les ordres ne sont toujours pas jugés. Il y a une année encore les Héritiers de la Justice dénonçaient le blocage du processus et estimaient qu’au fil des années, la quasi-totalité des prévenus incarcérés dans la prison de Bukavu s’étaient évadés[1].

Depuis ce sont des centaines de défenseurs des droits de l’Homme qui ont été soit menacés, soit assassinés. L’échec annoncé du procès des responsables de l’assassinat de Floribert Chebeya (Président de la Voix des sans Voix) et de la disparition de son chauffeur Fidèle Bazana[2] en est une dramatique illustration. Même si les audiences continuent encore à ce jour, un des principaux présumés responsable de ces deux assassinats, le général John Numbi est absent du box des accusés[3].

Dans ce pays dont le conflit, qui ne cesse toujours pas[4], a fait plus de 5 millions de morts directs et indirects entre août 1998 et avril 2007[5], de trop nombreux policiers et militaires agissent en violation du droit international relatif aux droits de l’Homme, et cela dans une presque totale impunité. C’est encore une fois sur les défenseurs des droits de l’Homme que se retrouve la pression. La moindre tentative de dénonciation des graves violations des droits de l’Homme par les forces gouvernementales ou les représentants des nombreux groupes armés de la région des grands lacs est un risque pour les défenseurs[6].

Même si la récente mise en résidence surveillée en Grande Bretagne d’Emmanuel Karenzi Karake – pour actes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et terrorisme commis au Rwanda et en République démocratique du Congo entre le 1er octobre 1990 et 2002[7] – est peut être le signe d’un réveil de la justice internationale, elle ne doit pas nous faire oublier la responsabilité des pays exportateurs d’armes dans leurs livraisons auprès du gouvernement congolais.

La levée de l’embargo sur les armes – pour ce qui concerne le gouvernement de Joseph Kabila – ne doit pas faire oublier non plus  aux États de l’Union Européenne qu’ils sont tenus par la Position commune et le traité sur le commerce des armes[8]. La première interdit toute exportation « s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne[9] », or ils ont exporté plus de 9 millions d’euro en 2013[10]. Le deuxième engage les États : «à  l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation. » Les États Unis avaient restreint leurs transferts d’armes en 2013[11], mais comme pour la Chine et la Russie, il est difficile d’accéder aux informations sur leurs exportations d’armes en direction de la RDC.

Il semble pourtant que le caractère répétitif  des graves violations des droits de l’Homme et l’absence de respect des principes des Nations Unies dans le recours à la force et aux armes à feu dans ce pays, devraient inciter tous les pays exportateurs à suspendre leurs exportations d’armes. Ce serait le premier pas vers une exigence de justice pour Pascal Kabungulu et les millions de congolais vivant sous la menace et/ou la violence des armes.

Benoît Muracciole

 

 

 

[1] http://radiookapi.net/actualite/2014/07/31/bukavu-plaidoyer-pour-la-poursuite-du-proces-de-lassassinat-de-pascal-kabungulu/

[2] Mort en juin 2010 suite à des actes de tortures : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/06/25/des-peines-de-mort-contre-les-assassins-du-militant-des-droits-de-l-homme-floribert-chebeya-au-congo-kinshasa_1776557_3212.html

[3] http://www.rfi.fr/afrique/20150727-proces-chebeya-debut-plaidoiries-proces-appel-fin-instruction-pistes-numbi

[4] http://ipisresearch.be/publication/23-27-july-2015/#NK

[5] Mortality in the Democratic Republic of Congo An ongoing crisis : http://www.rescue.org/sites/default/files/resource-file/2006-7_congoMortalitySurvey.pdf

[6] file:///Users/benoitmuracciole/Downloads/AFR6214652015FRENCH.pdf

[7] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/02/07/un-juge-espagnol-emet-40-mandats-d-arret-contre-les-chefs-de-l-armee-rwandaise_1008523_3212.html#LgzfeoD2GUIZ6ux0.99

[8] Ainsi qu’aux 44 autres qui ont ratifié le traité : http://www.un.org/disarmament/ATT/

[9] Critère 2 : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32008E0944&from=FR

[10] Seizième rapport annuel établi en application de l’article 8, paragraphe 2, de la position commune 2008/944/PESC du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires ; EU arms exports per destination in 2013 ; pages 97-98 : https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2015/07/rapport-coarm-annc3a9e-2013.pdf . La France déclare avoir livré 1,2 millions d’euros d’armes entre 2009 et 2013 : Annexe 8 Rapport au Parlement 2014 sur les exportations d’armement de la France : https://armerdesarmer.files.wordpress.com/2011/12/rapport-parlement-2014.pdf

[11] Democratic Republic of Congo: Background and U.S. Policy ; Page 4 : https://fas.org/sgp/crs/row/R43166.pdf


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