Quels risques pour la France après la vente des Rafales à l’Egypte ?

2 04 2015

topelement

Petit rappel :

 

En janvier 2011 ce que l’on appel alors le « printemps arabe » éclot en Tunisie puis se propage en Egypte et au Moyen Orient. La vague est forte, poussée par une jeunesse éduquée et sans travail qui rêve de renverser les régimes corrompus et promouvoir les droits de l’Homme. L’onde de choc est puissante et même s’il est encore trop tôt pour en juger, il se pourrait bien que ces révolutions soient un plus grand bouleversement à venir que la chute du mur. La Chine l’avait d’ailleurs bien compris, craignant un effet domino, avait pris des mesures de sécurité conséquentes pour prévenir tout mouvement de revendication dans ses frontières[1].

 

Les chancelleries occidentales, au nom des droits de l’Homme, vont apporter un soutien « mortel » aux peuples d’Afrique du nord en violant allègrement le droit international en Libye[2]. Les armes – notamment françaises, britanniques et russes – vont alimenter les groupes armés. Le démantèlement de la Libye et des pays du Moyen Orient est en marche ainsi que la fragilisation de toute l’Afrique de l’Ouest.

 

Le révolté fait volte face… Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas[3].

 

Si la réponse « géo-guerrière » du gouvernement français à ces points de conflits se fait avec un habillage « droit international » (qui ne résistera pas longtemps à une analyse future d’historiens indépendants) au Mali[4], en République Centrafricaine, il ne se cache plus de rentrer pleinement dans un alignement avec les stratégies étasuniennes en Irak. L’armée française se retrouve ainsi intégrée dans le dispositif des États Unis pour bombarder les takfiristes au point de déclarer par la voix du contre-amiral Éric Chaperon, commandant du groupe aéronaval : « Pour la première fois dans un dispositif américain, le rôle du porte-avions sera tenu par un porte-avions français »[5]. Seul un volte face d’Obama, qui avait alors hésité face à la complexité des interactions entre les groupes armés dans la région, empêcha au dernier moment l’armée française de bombarder la Syrie. Mais par la voix de son Président, sans vote à l’Assemblée Nationale, la France se réinvestit dans des guerres qui pourraient ressembler à celles engagées autrefois et qualifiées de post coloniales.

 

Une des conséquences de cette régression de la politique occidentale est l’affrontement Ouest Est avec la Russie – le dialogue, difficile, avec la Russie fut enterré lors de l’intervention de l’Otan en Libye – notamment en Syrie et en Ukraine[6]. Toutes ces « entrées » en guerre semblent ignorer l’existence d’un monde en pleine révolution et capable de parfaitement décrypter les intérêts des pays occidentaux :

Les sociétés civiles d’Afrique et du Moyen Orient.

 

Malgré la promesse de protection des droits fondamentaux des populations par ces mêmes pays occidentaux, ce sont bien elles qui paient le plus lourd tribu de ces interventions[7].

D’abord avec une politique dévastatrice d’exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires où les drones étasuniens accumulent les pertes civiles[8]. Puis avec le dictat « démocratique » des États Unis et de ses affidés qui imposent les élections en Afghanistan ainsi que les vainqueurs faisant fi des résultats[9]. Enfin le soutien indéfectible à la politique du gouvernement nigérian contre Boko Haram[10], à la politique d’apartheid d’Israël contre les palestiniens et à celles des monarchies totalitaires du golfe. Faut-il souligner que le bombardement des houthistes yéménites par l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et le Qatar est une violation du droit international et tuent quelques civils dont au moins 60 enfants[11]. L’Arabie Saoudite toujours qui mobilise 150 000 soldats contre le Yémen et qui soutient les takfiristes, responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Irak et en Syrie. L’Arabie Saoudite enfin qui est le premier client français pour les contrats d’armement.

 

Car l’élément central, mais pas unique, de ce soutien est représenté par la formation militaire – dont on a vu l’efficacité de l’Afghanistan, en passant par l’Irak, le Mali, le Nigeria et la République Démocratique du Congo[12] – et par la livraison de milliards d’euro d’armes classiques à ces mêmes régimes au mépris des droits de l’Homme[13].

 

Il y a bien là matière à une colère profonde et légitime de la part de cette jeunesse qui revendique un respect indivisible de leurs droits fondamentaux, à commencer par être maître de leur propre destin.

 

C’est en cela que la vente du matériel militaire français, dont les 24 rafales, à un gouvernement issu d’un coup d’état[14], est une gifle supplémentaire à toutes ces sociétés civiles. Graves violations des droits de la personne voire crimes contre l’humanité, le gouvernement de Al Sissi appelle pourtant à un minimum de discernement. Mais dans la course effrénée aux bons résultats du commerce des armes de la France, et peu importe si ces avions ont de fortes chances d’être payés par le contribuable français[15], le gouvernement français envoie un message clair à la jeunesse des pays du sud[16] :

Quelles que soient vos aspirations à un monde respectueux des droits de l’Homme, nous soutiendrons vos bourreaux.

 

Voilà comment s’alimentent – et pour combien de générations ? – la colère et malheureusement parfois aussi la haine d’un occident incapable de sortir de sa vision ethnocentriste du monde, creuset idéal pour les fanatiques de tous bords. De ces campagnes occidentales, dont la barbarie ressemble à celles « attilesques » du Vème siècle, que va-t-il rester dans 20/30 ans ?

 

Il est urgent pour le gouvernement français de se remettre à penser les relations internationales dans un temps qui dépasse le traitement de l’information en continu. Ce n’est pas avec une réflexion de l’épaisseur d’un écran de télévision que notre pays peu aspirer au respect et à la sécurité. Des millions de jeunes à travers le monde avaient une espérance dans notre culture du  pays des droits de l’Homme, c’est cette espérance trahie qui aujourd’hui constitue le plus grand danger pour notre société, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.
Benoît Muracciole

 

[1] http://www.courrierinternational.com/breve/2011/02/28/le-printemps-arabe-met-les-autorites-sur-le-qui-vive ; http://www.politique-actu.com/dossier/strategie-arabe-chine-mohamed-troudi-chercheur/364301/ ; http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/10/06/la-chine-et-la-russie-craignent-que-le-printemps-arabe-donne-des-idees-a-leurs-populations_1582757_3218.html

[2] Notamment avec la violation de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU

[3] L’homme révolté ; Albert Camus ; 1951 ; édition Gallimard.

[4] Surtout pour protéger Areva au Niger

[5]  http://www.lemarin.fr/secteurs-activites/defense/21154-le-charles-de-gaulle-va-relever-un-porte-avions-americain

[6] Même si François Holande et Angela Merkel, conscient de la proximité de ce conflit aux frontières de l’UE freine encore un peu l’envoie d’armes, les États Unis ont envoyé des conseiller pour former une garde nationale ukrainienne : http://rt.com/usa/225499-us-military-instructors-ukraine/

[7] Des centaines de milliers de morts, des dizaines de milliers de personnes torturées, des millions de blessés, de réfugiés et de déplacés…

[8] http://www.washingtonpost.com/world/national-security/drone-strikes-killing-more-civilians-than-us-admits-human-rights-groups-say/2013/10/21/a99cbe78-3a81-11e3-b7ba-503fb5822c3e_story.html

[9] http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/09/21/ashraf-ghani-declare-vainqueur-de-la-presidentielle-afghane_4491502_3216.html

[10] Voir Nigeria: More than 1,500 killed in armed conflict in North-Eastern Nigeria in early 2014 ; Amnesty International ; AFR 44/004/2014: http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR44/004/2014/en/543f7ac9-6889-4f02-bf5a-d73832e04229/afr440042014en.pdf et Nigeria: War crimes and crimes against humanity as violence escalates in north-east: http://www.amnesty.org/en/news/nigeria-war-crimes-and-crimes-against-humanity-violence-escalates-north-east-2014-03-31 ; http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2829p008.xml5/

[11] http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/03/31/une-soixantaine-d-enfants-tues-dans-les-combats-au-yemen-depuis-une-semaine_4607057_3218.html

[12] https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/02/22/quel-bilan-de-la-logique-des-autorisations-des-transferts-darmes-en-afghanistan/ ; https://armerdesarmer.wordpress.com/2014/11/10/de-la-juste-interpretation-du-respect-des-droits-de-lhomme-dans-le-recours-a-la-force-sur-le-continent-africain/

[13] Rapport au Parlement 2014 sur les exportations d’armement de la France

[14] Qui possède pourtant plus de 400 avions d’attaques : http://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_de_l%27air_%C3%A9gyptienne

[15] Avec une garantie à 100% de la Coface : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/02/16/le-contrat-de-vente-du-rafale-a-l-egypte-en-cinq-questions_4577395_3234.html

[16] http://www.lepoint.fr/monde/avec-ses-rafale-la-france-torpille-la-revolution-egyptienne-13-02-2015-1904817_24.php


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2 04 2015
Bernard BEKA-KOUNAKOFF

La révolution égyptienne qui portait des idéaux de démocratie et de développement des Droits de l’Homme a hélas débouché comme toujours sur la mise en place du traditionnel militaire de service au commande du pays…
Dépossédés de leur révolution et anéantis dans leur idéal de marche vers un monde démocratique  » à l’occidental » les égyptiens ont retrouvé un pays du passé…
Qu’il s’agisse de la vente des Rafales ou de tout le reste de cette escroquerie politique ou la France se rend complice d’un pouvoir en place qui use des éternels moyens de répression;
Qu’il s’agisse de nos interventions en Afrique actuellement;
Qu’il s’agisse des délires de notre gouvernement de vouloir à l’aveugle bombarder la Syrie;
Nous voilà pas loin de retourner vers un moyen-age des guerres coloniales et nous les occidentaux recommençons à nous prendre pour les maitres du monde sans écouter les peuples d’Orient.

Et nous semblons étonner que ces derniers cultivent à notre égard des haines colossales.

Les négociations actuelles sur le nucléaire iranien vont encore changer la donne…

Que sera le demain quand l’Iran redeviendra un acteur-phare du concert international et quels sont les échanges occidentaux autour de ces accords de désengagement nucléaire avec l’Iran…que recherchons nous dans ces tractations?Bien des questions sont en suspend et nous avons à envisager des enflammement encore plus terribles dans cette partie du monde…

Qui sait des discussions souterraines sont peut-être en train de nous refaire un « Yalta » du Proche et moyen-Orient!!!?

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