Droits de l’Homme et usage des matériels de surveillance électronique

10 07 2013
Articles 11 à 16 de la déclaration universelle des droits de l'Homme.

Articles 11 à 16 de la déclaration universelle des droits de l’Homme.

Que le Président de l’Etat Plurinational de Bolivie, Evo Morales, ait été empêché de survoler des pays européens, dont la France, est une chose assez rare pour être notée. Ces gouvernements européens ont pris cette décision parce qu’ils soupçonnaient Edward Snowden, le lanceur d’alerte, d’être dans l’avion du Président bolivien. Le comique de l’histoire est que  ces gouvernements se sont peut être même engagés à interdire le survol leurs territoires sur la base de renseignements obtenus… avec les systèmes d’espionnages britanniques, français et étasuniens fort justement décriés[1].

Mais au delà de la crise avec le gouvernement bolivien, qui continue de faire perdre crédibilité et puissance aux démocraties occidentales, il y a au moins deux points que ces gouvernements n’ont pas respectés dans le droit international.

Premièrement, les pays européens auraient du porter assistance au lanceur de d’alerte simplement parce qu’il a défendu courageusement l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’Homme : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes[2] ».  Car si Edward Snowden, comme d’autres encore, a violé une loi nationale [3], il l’a fait dans un état de nécessité, celui qui permet à tout individu de commettre une infraction pour le respect d’un principe ou d’un article de loi supérieur[4]. C’est précisément ce que  Edward Snowden, John Kiriakou, Shamai K. Leibowitz et  Bradley Manning[5] ont fait, lorsqu’ils ont enfreint une loi étasunienne pour dénoncer une plus grande violation, celle de l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Au même titre que les Etats qui peuvent évoquer cette « état de nécessité » pour leur sécurité – j’espionne telle et telle personne parce qu’il y a un doute raisonnable qu’elle soit impliquée dans la préparation d’un acte de terrorisme. Par contre il y a une réelle difficulté voir une impossibilité à justifier cet espionnage appliqué à tous les citoyens, c’est justement ce que les lanceurs d’alertes dénoncent.

Le deuxième point concerne l’engagement de ces mêmes Etats au sein de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En effet , comme nous l’avons cité plusieurs fois dans de précédents blogs, l’article 3 de la Convention demande :

« 1. Aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’Etat intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.[6] »

Il s’agit donc simplement, pour les Etats ayant ratifié la Convention, d’accorder le droit d’entrer sur leur territoire à toutes personnes ayant des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Et il se trouve que Edward Snowden avait des motifs sérieux de croire qu’il risquait la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En s’appuyant notamment sur les déclarations du rapporteur spécial des Nations unies contre la torture à propos du soldat Bradley Manning : « qu’il avait souffert de conditions de détention qui contrevenaient à l’article 1 ou l’article 16 de la convention contre ainsi que de l’article 7  du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[7] ».

Je ne reviendrai pas sur les propos peu avisés du ministre de l’intérieur, arguant qu’il n’était pas possible d’étudier la demande d’asile car Edward Snowden était à l’étranger, car l’article de Médiapart[8] a montré sa profonde méconnaissance du droit d’asile.

Enfin pour couronner le ridicule des excuses faites par le gouvernement français au gouvernement bolivien[9], l’article 53-1 de notre constitution précise : «  La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif[10]. »

Voilà une belle occasion de perdue pour la France de montrer au monde l’indivisibilité des droits de l’Homme . Dommage , car cette absence de vision politique ( il ne s’agissait pas cette fois d’un coup financier que notre pays ne pouvait supporter ) continue d’accompagner la lente descente de la place de la France dans le concert des Nations.

Benoît Muracciole


[1] Nous n’oserons poser la question de l’efficacité de tous ces systèmes de surveillance…

[4] Additif au huitième rapport sur la responsabilité des États, par M. Roberto Ago -Le fait internationalement illicite de l’État, source de responsabilité internationale Extrait de l’Annuaire de la Commission du droit international 1980  : http://untreaty.un.org/ilc/documentation/french/a_cn4_318_add5-7.pdf ainsi que : « un droit fondamental vieux de 3 000 ans : l’état de nécessité Philippe Jean Hesse : http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df2hesnec.pdf   et pour la France : http://fr.jurispedia.org/index.php/%C3%89tat_de_n%C3%A9cessit%C3%A9_%28fr%29

[8] « La justice américaine ayant délivré un mandat d’arrêt international à l’encontre de l’ancien consultant, ce dernier aurait effectivement été interpellé et placé sous écrou extraditionnel s’il avait posé le pied sur le sol français…   rien n’aurait alors empêché Edward Snowden de déposer une demande d’asile, qui aurait dû être examinée. » http://www.mediapart.fr/journal/international/050713/snowden-en-france-les-arguties-du-pouvoir-pour-dire-non

[9] Les aurait il fait si Snowden avait été dans l’avion ?

 


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