Zero Dark Thirty ou Zero mensonge ?

7 02 2013

Abou ghraib

Le film de Kathryn Bigelow raconte donc, dans une réalisation efficace, la traque et l’exécution extrajudiciaire de l’ancien supplétif de la CIA[1] : Oussama Ben Laden. Le film montre comment, notamment grâce à l’utilisation de la torture, son messager Abou Ahmed finit par être identifié et ainsi mener la CIA à la cache du dit Ben Laden. Le scénariste, la réalisatrice et le producteur n’ont pas souhaité alerter les spectateurs sur l’aspect controversé de leur thèse malgré ce qui leur avait été demandé[2].

Les réactions de politiques et d’analystes des renseignements à cette présentation de l’information ont été rapides et importantes. Nombreuses sont celles qui contredisent la véracité de la version présentée par le film[3].  Il nous semble donc intéressant de revoir leurs arguments pour tenter de démêler les fils d’un film qui pourrait rappeler la période où certains réalisateurs se laissaient entraîner dans des actions de propagande cinématographique[4].

Un des premiers Sénateurs importants à intervenir sur la question de la torture et de son efficacité dans la traque de Ben Laden fut sans doute John McCain[5]. Dans une déclaration du 12 mai 2011, il cite Leon Panetta, alors directeur de la CIA, qui lui répondait sur cette question :

«  La piste de Ben Laden n’a pas été trouvée grâce à une information de Khalid Sheikh Mohammed, qui a été « waterboarding[6] » 183 fois… en fait il n’y a pas eu d’information fiable obtenue grâce à  des méthodes d’interrogations renforcées… ». Dans sa réponse, Leon Panetta va plus même loin: « … en fait les informations obtenues par ces techniques auprès de Khalid Sheikh Mohammed étaient fausses et trompeuses ».

Ray McGovern, un ancien analyste de la CIA est encore plus  définitif : « la torture ne marche jamais… l’histoire montre qu’une bonne information ne vient jamais de techniques d’interrogatoires violentes »[7].

Du coup, peut être à cause de l’approche de la remise des oscars[8], les interventions dans les médias  de la réalisatrice et du scénariste se sont multipliées. Dans les arguments principaux servis il y a le choix bien sûr qu’ils ont fait de : «  montrer la réalité sans prendre parti[9] ». Et Bigelow ajoute : « Je pense qu’il a été trouvé grâce à un ingénieux travail d’investigation. Mais la torture, comme nous le savons tous, a été employée durant les premières années de la traque. Cela ne veut pas dire que cela a été la clé. Cela veut dire que c’est une partie de l’histoire que nous ne pouvons pas ignorer » ce que plus grand monde ne conteste aux Etats Unis[10].

Mais disant cela Bigelow ne dit plus la même chose que dans son film et c’est cette accumulation de messages à peine contradictoires qui donnent l’impression de quelque chose qui pourrait s’apparenter à de la manipulation. Il est encore très facile pour la production de mettre un avertissement au début du film pour préciser qu’il ne s’agit que d’une fiction ou simplement avertir le spectateur que la version présentée est contestée.

Finalement, Katrhyn Bigelow nous affirme qu’elle ne prend pas partie et qu’elle souhaite faire prendre conscience de l’utilisation de la torture. Déclaration non seulement louable mais qui pourrait montrer son engagement dans la recherche de la vérité. Pour cela nous lui suggérons de rappeler que dans l’article 7 de la Cour Pénale Internationale, la torture est un crime contre l’humanité[11]. Et de préciser également qu’il n’y pas de prescription pour de tels crimes. Elle pourra ainsi répondre à ceux qui ne souhaitent pas voir de poursuites judicaires pour les responsables de tels actes ainsi que pour les donneurs d’ordres[12].

Enfin, le 4 février dernier, cette fois avec le titre supplémentaire d’ancien secrétaire d’Etat à la défense, Leon Panetta affirme que la plus grande partie des renseignements qui ont permis de débusquer Ben Laden ne viennent pas des interrogatoires où « cette tactique » avait été utilisée et qu’elle n’était pas nécessaire dans le renseignement[13]. Ce qui n’est plus tout à fait la même déclaration faite à John McCain en mai 2011.

Après la décision du Président des Etats Unis d’interdire la torture en 2009, il nous reste au moins trois questions sur les intentions du film :

Existe-t-il dans la projection politique future des tenants de ces « techniques » une intention d’autoriser à nouveau la torture, en cas de retour des Républicains, au point d’avoir manipulé l’équipe du film ?

En ce cas, le film a-t-il servi comme test d’opinion, grandeur nature, auprès de la population étasunienne ?

Où n’est ce qu’un excès de suffisance, d’absence d’éthique, de la part de la production qui a oublié les règles les plus élémentaires de l’investigation ?

Le temps nous donnera peut être la réponse, mais aujourd’hui la torture reste une grave violation des droits de l’Homme, un crime contre l’humanité, imprescriptible, et elle est inefficace sur le plan du renseignement.

Benoît Muracciole


[1] Voir The Terror Trade Time Amnesty International juin 2002 et http://consortiumnews.com/2013/01/16/the-depressing-zero-dark-thirty/

[4] Notamment « La Ligne Générale de Eisnstein, « Blood Of The Sun » de Frank Lloyd,  « Bon Voyage » et « Avenure Malgache » d’Alfred Hitchcock, « 49th Parallel » de Michael Powell…

[6] Technique de simulation de la noyade

[8] Prévus le 24 février prochain

[10] A part peut être la protection rapprochée de George W Bush et quelques fondamentalistes des services de sécurité étasuniens

[12] Dont John MacCain et Barak Obama pourtant farouche opposant à l’usage de la torture : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-04-19/barack-obama-interdit-la-torture-mais-entend-proteger-ceux-qui-l/1648/0/336193

[13] A noter que ce n’est plus tout à fait la même déclaration faite à John McCain en mai 2011 : http://www.youtube.com/watch?v=-5g8MuPKECEhttp://www.aljazeera.com/news/americas/2013/02/20132431016830768.html.  A noter que « la Voix de la Russie » a compris exactement le contraire avec le titre : « Leon Panetta : Ben Laden a été localisé grâce à la torture » http://french.ruvr.ru/2013_02_04/Leon-Panetta-Ben-Laden-a-ete-localise-grace-a-la-torture/


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8 02 2013
Muracciole Stéphane

Peut-être as-tu raison, peut-être pas. Et si les déclarations de Panetta et autres tenants de la version  »pas d’utilité pour la torture dans le renseignement »,  »pas d’informations obtenues par ces procédés dans la traque de Ben Laden », étaient une manière de se défausser ? « Pas nous », « pas ça » … Comment pourraient-ils avouer ou confirmer le contraire ?
Alors la manipulation ne serait-elle pas de leur fait, qui essaient de nous faire croire qu’ils n’y ont pas touché ?
Débat qui n’empêche qu’en effet la torture soit une ignominie.
S/Mµ

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